Des histoires de statues vivantes ? Oh, dear. Elle adorait – et elle détestait. Adorait car tout ce qui touchait au fantastique, aux mythes, aux histoires murmurées dans l’épaisseur secrète des nuits, la laissait irrémédiablement rêveuse et mystifiée. Mais détestait car… Dublin ! Dublin ! Dans sa ville ! – Où elle n’avait pas mis les pieds depuis ses seize ans, certes. Mais elle considérait toujours Dublin comme étant sa ville et voyait encore Cambridge comme une simple étape. Un jour, elle retournerait en Irlande. Quand elle serait prête à affronter ses démons – et ce n’était pas demain la ville que ça arriverait. Quoiqu’il en soit… Ce docteur était vraiment surprenant !
« Il va falloir que je retrouve ce docteur-tout-court ! Je n’avais jamais entendu parler une telle histoire à propos des statues de Dublin ! Et pourtant j’y suis née ! Elles font quoi au juste ces statues ? J’aimerais pas apprendre que je risque de me transformer en statue parce que je passais mes mercredis après-midi sur la place, hein ! Tu imagines, je vais être toute grise toute sableuse après, berk ! Il a de drôles d’histoires en tout cas ce docteur. Et quelle idée de se mettre à Dublin ces statues, elles ne pourraient pas aller à Notre-Dame de Paris, ce ne serait pas plus logique avec les gargouilles, hum ? Dublin… Dublin c’est pas une ville pour des statues qui bougent ! C’est fait pour des danses et de la musique, mais pas des statues ! Je ne sais pas si tu y as été, mais je t’assure, moi, ce n’est pas une ville pour des statues qui bougent, ça fait trop peur, le reste de l’Irlande a déjà bien assez de mythes… Si en places les statues bougent sur la place ! J’irai parler à ce docteur, hein ! Qu’il aille soigner ces statues ! »
Elle imaginait déjà les statues en train de faire tomber la poussière de leur pierre sur les passants, laissant petit à petit leur chair s’imprégner du granit jusqu’à, un jour, en être la matière intégrale ainsi les statues n’auraient plus qu’à conquérir le monde ! … Si elle tombait sur un télépathe un jour, elle finirait à l’asile. Mais cette histoire de statue la fascinait réellement, car c’était un nouveau conte à explorer et elle ne se lassait pas des fables. D’autant plus que celle-ci avait un lien avec Dublin où elle avait vécu ! – Et Rory également, mais elle l’ignorait encore.
Complètement folle, plus que lui ? La rousse éclata de rire à son tour, ses cheveux s'agitant autour de sa tête.
Voir Rory autant rire ne faisait que la faire rire davantage – comme si on ne l’entendait pas assez – et elle alla tapoter le dos de son ami quand il finit par se calmer.
« Ça va aller l’artiste ? » demanda-t-elle, amusée, se retenant de rire. « Un mouchoir peut-être pour essuyer ces précieuses larmes ? – Tu crois que ça se vend, un mouchoir de Rory le peintre imprégné de larmes ? Tu pourrais le mettre sur une toile tiens. Tu le colles sur une toile et pouf ! Ça devient… « L’essence de l’émotion » et je suis sûre que tu vas vendre ça des millions tiens ! » inventa-t-elle (encore) en s’esclaffant (encore).
Tout en plaisantant, elle cessa de tapoter le dos de Rory et lui tendit un mouchoir (quoi, l’histoire du tableau, ça pouvait fonctionner !).
« En tout cas, c’est un plaisir de te faire te tordre de rire ainsi ! Et sois sur tes gardes alors… Il se pourrait bien que tu puisses crier geronimo un de ces quatre ! »
Elle était vraiment sérieuse, il était fort probable que, Rory lui ayant dit qu’il était capable de la suivre, elle débarque un beau jour dans sa vie et l’entraîne pour aller… Traverser un lac sur de gros ballons en mangeant des glaces, tiens. La difficulté étant bien sûr de ne pas faire tomber les glaces, ce serait du gâchis. Après, que soi-même l’on tombe à l’eau… Ce serait rafraîchissant !
Et puis, le Quincy était une personne avec qui Charlie adorait passer du temps, elle savait qu’elle pouvait laisser son imagination déborder tout entière et qu’inévitablement ils finiraient par s’amuser ensemble.
« Vous allez voir Capitaine, le moussaillon va bientôt gagner en grade ! » répliqua-t-elle en lui tirant la langue à son tour, naméoh !
L’atmosphère était légère avec lui. C’était un peu comme quand Elwyn venait chez elle. Elwyn, so many years ago. Meilleur ami de son grand-frère, elle n’avait rien trouvé de mieux à faire que de s’en enticher et il n’avait pas eu meilleure idée que de l’aimer en retour. La maison des Lestwood oppressait Charlie. Mais quand Alban et Elwyn étaient là, tout allait mieux et le jeune homme était un vent de liberté dans son univers. Elle pouvait vivre en sa présence, elle n’avait plus à se faire silencieuse pour ne pas brusquer sa mère car Heather en général était absorbée dans la contemplation des dessins que l’ami d’Alban lui amenait. Et bien, là, avec Rory, c’était pareil. Quand les gens autour d’elle avaient trop peur de ses idées, de sa folie, elle savait qu’elle pouvait frapper à la porte du peintre et qu’avec lui, elle pourrait vivre sans se contenir, qu’elle pourrait être.
La suite de leur discussion était beaucoup moins allègre. Rory venait de se découvrir un frère caché, tout juste venu à Harvard pour le retrouver, et aussitôt parti après la réaction du Quincy... Taram avait dû être vexé que Rory coupe les ponts certes, mais peut-être aurait-il pu attendre un peu avant de partir ? Cela dit, c'était une situation complexe et l'un comme l'autre avaient eu des réactions justifiables.
« Comment l'as-tu appris, c'est lui qui te l'a dit ? Il est parti où maintenant ? » s'enquit-elle. « Il avait dû rêver d'une autre confrontation... Le fait que tu le repousses a dû le blesser. Mais qu'il soit parti est peut-être une bonne chose tu sais, ne regrette pas. De cette façon, vous pouvez tous les deux prendre du recul et comme ça, il voudra peut-être revenir en se rendant compte que vos deux réactions n'étaient dues qu'au choc ! Tu n'as aucun moyen de le contacter ? Si tu lui écrivais tout ça, il comprendrait je pense, surtout que s'il a fait cette démarche c'est qu'il avait envie de te connaître... Il n'y a pas de raison pour que ça ne s'arrange pas en ce sens ! » poursuivit-elle, se rapprochant de Rory et passant un bras autour de ses épaules, posant sur lui son regard cuivré, plus douce que dans ses moments diffus de folie, aussi chaleureuse mais dans une mesure tempérée. « Et bien sûr qu'il te pardonnera ! Maintenant qu'il t'a rencontré, même si ça ne s'est pas super bien passé, il n'a pu que se rendre compte que tu étais un génie et tu vas lui manquer et il sera obligé de revenir tu vas voir ! » ajouta-t-elle, frottant son épaule en soutien, lui adressant un sourire bienveillant.
Elle comprenait que Rory ait été perturbé durant ce Spring Break. En fait, c’était la situation de Reaghan à l’envers. Sa meilleure amie était venue pour parler à son frère Andy et l’Eliot se voyait du jour au lendemain affublé d’une sœur. Dans cette situation, c’était Rory qui se découvrait un frère tout à coup. Charlie avait quelque peu blâmé Andy de ses réactions premières envers son amie, mais maintenant qu’elle entendait le point de vue de Rory sur ce versant de la situation… Elle ne pouvait que comprendre le malaise et le désarroi qui pouvait en résulter.
« Oh, mais oui ! Qu’as-tu dans ton antre à me proposer, Capitaine ? » lui demanda-t-elle avec un sourire quand il lui proposa de boire quelque chose.