La neige commençait à fondre légèrement dehors, mais le froid était toujours aussi persistant. J’avais passé ma matinée dans mon lit, je prenais pas mal de somnifères en ce moment, car c’était le seul moyen que j’avais trouvé pour pouvoir dormir correctement. Une semaine. Cela faisait une semaine que je n’avais pas touché à la drogue, et une semaine, c’est vraiment énorme. C’était pour ça que sans somnifères, il m’était impossible de dormir : c’était surtout le soir, que les effets du manque se faisaient sentir : j’étais tout tremblant, j’avais la gorge sèche et je ne pensais qu’à une chose : me défoncer la gueule. Heureusement que j’avais vraiment envie d’arrêter, et même si j’avais faillis replonger le soir de la Saint-Valentin pendant le bal, Roxanna était arrivée juste à temps pour m’empêcher de faire cette connerie. Heureusement d’ailleurs, car il suffisait d’une seule fois pour que je replonge. Le plus dur était encore devant moi. J’avais eu deux heures de Chimie organique l’après-midi et je décidais d’aller faire un tour au cimetière après les cours. J’étais rentré quand même chez les Mather, pour pouvoir poser mes cours dans ma chambre et prendre tout ce qui fallait pour pouvoir nettoyer les tombes : je n’avais pas été au cimetière depuis que j’avais enterré ma mère et mon fils, il y a quatre mois. Je n’avais pas eu le courage d’y retourner depuis, préférant faire la fête et me défoncer la gueule tous les soirs afin d’arrêter de penser que toutes les personnes autour de moi finissaient par mourir, et que je me retrouvais au final, tout seul.
Il faut dire que je n’avais pas eu une vie facile. J’avais été guéris d’une leucémie alors que j’avais à peine six ans, j’avais perdu mon père lorsque j’avais neuf ans, ma première petite amie était décédée il y a trois ans et il y a quatre mois, mon fils et ma mère étaient morts, renversés par une voiture alors que ma mère emmenait Kyle au parc. Comment ne pas penser, après tout ça, qu’on porte la poisse ? C’était pour ça que je paraissais certainement, pour les autres comme quelqu’un d’assez peu sociable, comme quelqu’un tirant toujours une sale tronche. En même temps, il y a une semaine, j’avais même prévu de mettre fin à ma vie, et si je n’en avais pas parlé à ma meilleure amie, Apple, je serais très certainement passé à l’acte. Mais heureusement pour moi, celle-ci avait fini par le savoir et elle a su m’empêcher de faire des conneries, notamment en me présentant Roxanna. Je n’étais pas sûr que j’aurais réussi à aller un tantinet mieux, sans Roxanna. J’étais vraiment tombé amoureux d’elle et elle me donnait envie d’aller de l’avant, d’oublier mon passé ou de faire de celui-ci une force. Ce qui ne tue pas nous rend plus fort, non ?
J’avais donc décidé d’aller au cimetière. C’était mal, de ne pas y aller et de prendre soin de leurs tombes, car je les avaient aimés et ils étaient toujours là, quelque part, pas très loin autour de moi, j’en étais certains. Et ne pas aller les voir ici, n’allait pas m’aider à faire mon deuil. Il me fallait, faire mon deuil pour pouvoir aller de l’avant. Vers seize heures, j’étais donc en route pour le cimetière. Le gardien avait pris soin de bien balayé les allées entre les tombes afin que la neige ne salisse pas tout. De toute façon, tout était en train de fondre petit à petit. Je m’arrêtais face aux trois tombes : celle de mon père, celle de ma mère et celle de mon fils. Je fronçais les sourcils en posant le seau d’eau que j’avais rempli à l’entrée du cimetière, avec dedans une éponge. Les tombes étaient vraiment crades, mais il n’y avait que moi pour m’en occuper, et comme je n’étais pas venu depuis longtemps… Je rangeais mes mains dans mes poches, regardant surtout la tombe de mon fils. Il aurait eu 4 ans dans quelques jours. La vie était vraiment injuste. Après quelques minutes, je me décidais à me mettre à genoux, face d’abord à celle de mon fils afin de retirer toutes les saletés qui couvrait le marbre, je risquais d’avoir pas mal de boulot…
(Jude Montgomery)