Léopoldine Y. Swarovski ► Astrid BF ► Finie.

Le bruit de mes chaussures sur l'asphalte semble un instant couvrir le flots des pensées qui m'assaillent. Triste illusion. Courir a toujours su m'apaiser, me permettre de me défouler, de tenter de battre mon pire ennemi, moi-même et ce coeur qui n'en fait qu'à sa tête. Mais aujourd'hui pas même la course ne peut me faire oublier ne serait-ce qu'un instant ce qui me hante depuis que j'ai appris la nouvelle. Solweig est morte. Solweig s'est suicidée. Je ne comprends pas. Je n'arrive pas à concevoir qu'un truc pareil se soit produit. Comment ... ? Merde quoi, elle n'avait que dix-neuf ans ! Qu'est-ce qui peut bien lui être arrivé pour qu'elle en arrive à penser que se balancer au bout d'une corde était la meilleure solution ? Qu'est-ce que je n'ai pas vu ... ? Inspire un temps, expire en deux. Inspire en un temps, expire en deux. J'ai lamentablement failli. J'étais la plus âgée de nous trois, celle qui s'était jurée de prendre soin de Sol et Didi, celle qui doit mourir bientôt et paradoxalement celle qui se "porte" le mieux ... Candice a été victime de la bombe et chaque fois que je la vois boiter avec son atèle je me sens coupable d'avoir fait cette crise et de ne pas avoir été là ce jour-là. J'aurais pu programmer insister auprès de l'hôpital pour y alller le week-end. Je me suis préoccupée de ma propre santé et les autres ont souffert pendant ce temps ... Ca aurait pu être moi. J'aurais pu ... J'aurais pu lui proposer d'aller courir avec moi au stade et il ne lui serait rien arrivé. Et qu'importe si le simple bruit de l'explosion aurait pu faire lâcher mon coeur. J'ai lamentablement failli. Solweig est morte. Le mot est si définitif. Sans appel. Elle ne reviendra plus. Je ... Sèche-moi ces larmes, tu ne peux pas ... Tu dois rester forte. Pour Candice. Inspire en un temps, expire en deux. Diantre c'est si dur ! Pourquoi ? ...

BOUM. L'impact et la chute furent tellement rapides que je n'ai pris conscience de ce qui était arrivé qu'une fois que mon poignet ait émis un crac inquiétant. Les étoiles viennent tenir compagnie aux larmes dans mes yeux alors que je cherche à comprendre ce qui vient de se passer. Je courrais, je réfléchissais à ... à ... Et puis soudain ... De toute évidence j'ai du heurté quelque chose ou quelqu'un alors que j'étais ailleurs. Je lève les yeux et aperçois une main masculine, quelque peu hésitante, tendue vers moi. Je m'apprête à la saisir quand je cherche à découvrir le visage de son propriétaire. Qu'est-ce que ... ? Ce regard ... Je ... Non ... C'est impossible ! Je me remets sur pieds sans son aide, peine à le regarder droit dans les yeux. Je porte une main à la bouche en signe du désarroi le plus complet. Perdant toute l'éloquence qui fut jadis mienne je lui assène ces mots qui me sortent de je ne sais où : « Non ... Tu n'es pas là ... Pas maintenant, non, vas-t'en ! » avant de m'enfuir en courant. Les larmes ruissellent sur mes joues retrouvant le chemin de leurs soeurs, laissant des sillons qui me semblent creusés avec une lame chauffée à blanc alors que les rafistolages au scotch de mon coeur en carton se décollent brutalement. Les blessures refont surface comme si elles dataient d'hier. Je croyais être plus forte que cela. Mais que fait-il ici ?! Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi ?! Comment peut-il me regarder avec un tel regard après tout ce temps ? Je ... Quatre années de silence, quatre années à tenter en vain de comprendre, quatre années à tenter d'oublier, quatre années à tenter de se reconstruire. Quatre années évaporées en un regard. Par sa présence. Me voici redevenue cette petite fille perdue, désemparée face à l'abandon de la personne qu'elle considérait comme étant la plus importante.

L'eau glacée dégouline abondamment sur mon corps nu recroquevillé et grelottant mais je n'en ai que faire. Je me sens "bien" ici, dans cet environnement froid et austère. Ou du moins je n'ai nulle envie de bouger, de m'extraire de cette sorte de cocon pour rejoindre le monde extérieur. Ils sont tous adorables, insouciants, attentionnés mais ils ne comprennent pas. Ils ne sont pas idiots et beaucoup ont indubitablement traversé des épreuves bien pires mais ... Ceci est mon fardeau. Je refuse de les y mêler.
Mon regard désormais sec est fixé sur un éclat du deuxième carreau à droite du lavabo.alors que je tente vainement de retrouver les mots du XVe amendement de la Constitution. Je l'avais apprise entièrement pour un exposé en 10th grade et jusqu'à présent je m'en souvenais comme au premier jour. Je ne parviens pourtant pas à réciter ces fichus mots, je suis bêtement bloquée. "The right of citizens of the United States to vote shall ..." Il trouvait ça stupide cette manie de réciter la Constitution Américaine. Non non, tu ne peux pas penser à lui maintenant, il ne peut pas ... Non ! Je dois me concentrer sur autre chose. Je ne peux pas le laisser m'atteindre à nouveau. "shall not be denied or ..." Arg. Mais pourtant je ... Non. Je ne veux pas savoir, quoi qu'il ait à dire pour sa défense, si tant est qu'il souhaite s'expliquer, je ne le laisserais pas tout foutre en l'air à nouveau. "abridged by the United States or by any State on ..." Je ne dois pas lui permettre de s'immiscer à nouveau dans cette vie qui ne l'intéressait plus. Ce n'est pas parce qu'il se pointe après quatre ans d'absence que ... Mais qui suis-je en train de duper ? C'est ridicule. Je n'en serais pas capable ... Je n'ai pourtant pas d'autre choix. "account of race, color, or" Tout est déjà suffisamment pénible en ce moment. Bon sang, Sol n'est même pas encore enterrée ! Pourquoi faut-il que les choses se compliquent toujours davantage ? "The right of citizens of the United States to vote shall not be denied or abridged by the United States or by any State on account of race, color, or previous condition of servitude." « Atchoum ! »