City Lights {{ Gildice

Veste enfilée, casquette sur la tête, il lança un dernier coup d'oeil à son téléphone avant de le fourrer dans la poche de son pantalon et quitter le café où il avait passé du temps à réviser. Le sac sur son épaule, il s'apprêtait à rentrer chez lui, prenant exceptionnellement le bus. Voiture en révision, il ne la récupérerait que demain soir et devait se débrouiller entre temps, sa soeur n'ayant pas les mêmes horaires que lui. En vrai, prendre le bus ne le dérangeait pas. Ca lui permettait de se perdre dans son petit monde le temps d'un trajet sans avoir à se soucier de son environnement. Arrivé à l'arrêt, il s'installa sur le banc en soupirant, sachant qu'il devait encore attendre quelques minutes. Il soupira, tranquille, laissant l'arrière de sa tête se poser contre la vitre derrière lui. Il n'y avait, pour l'instant, personne à l'arrêt en dehors de lui. Le ciel était sombre, un léger vent un peu frais se faisait sentir et le ciel menaçait d'être pluvieux. Vivement le printemps, pensait-il ; cette météo maussade était pesante à force. Si la pluie ne le dérangeait pas, la lumière blafarde du jour au travers d'épais nuage l'irritait. Son visage détendu s'élongea un court instant le temps d'un bâillement qu'il ne cacha pas et il ferma les yeux, bras croisés sur son ventre. Dans sa tête, il refaisait tout son planning ; ce soir, stream détente et discussion, petits jeux en ligne avec les abonnés, avec à la fin un giveaway du jeu Half Life : Alyx accompagné d'un Occulus Rift. C'était plaisant de pas avoir à se soucier de l'argent et d'être sponsorisé par des boîtes de jeux vidéos, permettant ainsi des élans de générosité sans avoir à surveiller son compte en banque. Puis, il lui sembla entendre du mouvement non loin ; son oreille se tendit et, lentement, il rouvrit les yeux, tournant la tête pour voir qui venait d'arriver au même arrêt de bus que lui. « Ah » lâcha-t-il, visiblement surpris par la personne qui arrivait. Candice ?

Les mains palpaient la surface des poches en quête d’un volume inespéré. Stoïque, l’étudiante ne bougeait plus, pétrifiée par la crainte d’avoir perdu le passe-droit de son Eldorado personnel. Par chance, Candice ne tarda pas à dénicher le trousseau qu’elle avait enfoui au fond de son jean avant de prendre son service. Elle soupesa l’ensemble de clés et de petits personnages en plastique accrochés à celles-ci, avant de les remettre en place dans son pantalon. Sac à dos à l’épaule, blouson enfilé et ses converses aux pieds, elle salua le reste de l’équipe accumulé dans les vestiaires. Un bref « salut » avait suffi. Rien de trop cérémonieux même si elle appréciait grandement la compagnie de ses collègues. Une fois la porte passée, la jeune femme prit une profonde inspiration, car l’air avait beau être sacrément vivifiant à cet instant de la journée elle ne s’en lassait jamais. Jamais. Le calme après la tempête.
D’un pas dynamique elle ne tarda pas à rejoindre l’arrêt de bus où elle patientait tous les soirs quasiment. Durant sa marche, quelques gouttes vinrent s’emprisonner dans ses mèches sombres, mais cela ne semblait nullement la déranger ; a vrai dire Candice était ailleurs. Son esprit ruminait sur la même chose depuis quelques temps.
Il ruminait tant et si bien qu’elle ne ressentait qu’un sentiment amer envahir toute sa poitrine et même le fond de sa gorge maintenant. La pluie importait peu.
Gilbert. L’origine de cet infâme ressenti. Sa main accrochée à la sangle de son sac se crispa subitement, blanchissant les jointures de cette dernière, lorsque le nom résonna dans sa boîte crânienne. Afin de chasser cette spirale qui rongeait sa personne, Candice vissa ses écouteurs dans ses oreilles puis se posta à proximité de l’arrêt, son regard rivé sur l’écran de son cellulaire.
Cependant, tandis que son pied battait le rythme de la musique assourdissante dont elle se gavait, elle remarqua une silhouette située non loin d’elle. Curieuse, elle releva ses iris claires en direction de la personne installée là. Un hoquet plus tard elle regrettait son geste. L’air aussi bête que surprise qu’elle affichait trahissait ne serait-ce qu’un quart des milliers de jurons déferlant dans son esprit déjà torturé par les basses criardes de la chanson qu’elle continuait d’écouter. L’univers ne pouvait pas choisir pire moment… Evidemment. C’était de la torture pure et simple.
Néanmoins il était trop tard. Les deux jeunes adultes se contemplaient en chien de faïence. Dans un élan insensé, Candice humecta ses lèvres puis le salua d’un bref mouvement de tête ; l’efficacité pure pour être polie, mais pas trop.
« S’lut. »
Au moins cela lui évitait le calvaire d’une quelconque conversation ! Le bus ne devrait plus tarder de toute façon. Du moins c’est ce pour quoi l’intello de service priait ardemment en cet instant.

Candice Purnell. Une jeune femme qu'il avait sincèrement du mal à saisir et qu'il ne comprenait pas. Il se souvenait qu'elle l'avait approché avec enthousiasme au début, s'était présentée, qu'il n'avait pas su associer le virtuel et le réel au premier coup d'oeil ; et la seule chose qu'il savait après ça, c'était qu'elle était en colère contre lui et semblait le détester. Si d'ordinaire il se fichait d'être apprécié ou pas, dans son cas c'était un peu particulier car après avoir découvert quelle était son identité, il avait cherché à savoir. Il se souvenait de sa présence dans les streams, des commentaires sur Discord, alors pourquoi cette subite froideur ? De ce qu'il avait remarqué de leurs discussions passées, elle était au contraire douce et joviale avec lui. Il ne se souvenait pas l'avoir vue s'énerver ou mal parler à qui que ce soit en ligne, même quand il y avait des trolls qui avaient envahi sa chaîne à un moment. Du coup, pour lui, son comportement ne faisait aucun sens ; comment pouvait-elle être si amicale avant puis subitement l'ignorer et le détester après l'avoir vu ? Était-il différent de ce qu'elle pensait ? L'avait-il blessé ? Aurait-elle préféré ne jamais le voir ? Foutaises, c'était elle qui l'avait approché. Ou bien... est-ce que c'était compliqué parce qu'elle était une femme ? A se rappeler l'existence d'Aelynn, c'était une possibilité.
Elle le saluait, froidement donc sans surprendre Gil qui resta un instant silencieux, se demandant comment alléger l'atmosphère. Les ambiances pesantes, très peu pour lui. Son regard bifurqua un instant sur le goudron de la route alors qu'il demeurait bêtement silencieux, bouche pendante, puis il se leva, presque brusquement. Autant y aller franco non ? Il s'avança vers elle et secoua sa main devant elle pour être sûr qu'elle ne se détourne pas en feignant ne pas l'avoir vu. « Heeey ! Candice, c'est ça ? T'es une amie de Milo aussi non ? Tu prends souvent le bus ici ? » Non franchement, on avait connu mieux comme approche, mais c'était un début. Il affichait un sourire qui se voulait amical même s'il devait bien admettre qu'en vrai, il était un peu... curieux. Et méfiant ; en quelques sortes. Allait-elle le repousser, lui dire de lui ficher la paix ? C'aurait été bien dommage. C'était évident que quelque chose clochait et qu'elle ne l'aimait pas alors ne pouvait-il pas arranger le coup ? Ne serait-ce que pour Milo ? Il s'imaginait qu'être pris entre deux feux n'était pas forcément confortable. Une voiture dépassa l'arrêt de bus et dans les secondes qui suivirent, il se mit à pleuvoir légèrement ; pluie que lui ne sentait pas sous sa casquette et sa veste.

Il y avait eu cette brève accalmie en laquelle Candice avait fonder tous ses espoirs. Elle y croyait profondément. Ardemment même. Les chaussures encrées dans l’asphalte détrempé, elle avait évité de faire le moindre mouvement pour attirer l’attention du… « demeuré » présent à ses côtés, mais malgré tout ça, malgré tout cet investissement, ce contrôle de soi, il avait fini par agiter sa large paluche devant sa figure.
Un sursaut avait subitement animé la carcasse paralysée de la demoiselle dont le mouvement de recule avait été à peine contenu. Ses yeux ronds comme des soucoupes fixèrent l’audacieux en question à mesure que le rythme cardiaque de la pauvre fille s’apprêtait à crever le plafond ; Candice n’arrivait pas à y croire : il venait de lui parler, l’air de rien. D’ordinaire elle aurait apprécié, elle aurait même été ravie, flattée, pourtant là ce n’était clairement pas le cas. D’une paume mal assurée elle ôta un écouteur pour entendre plus distinctement ce que cet imbécile venait de lui souffler. Les minutes défilèrent. Un calvaire nécessaire pour dompter ce palpitant dont la rythmique était de plus en plus anarchique. En vérité, Candice oscillait entre deux choix en cet instant : répondre poliment ou l’envoyer bouler.
Plus les secondes s’égrainèrent, plus la belle perdait pied. Son envie de hurler après celui qu’elle avait si longtemps admiré se faisait de plus en plus forte, s’opposant à sa nature profondément irréprochable. Il l’avait si profondément blessé lors de leur première rencontre ! C’était impardonnable ! Monstrueux. Quel fut donc son choix ? Celui de toujours.
« O-ouais, c’est ça. » Commença-t-elle penaude en affichant le même air fermé à tout échange. « Je connais Milo oui et je prends le bus tous les soirs après le taff. Je bosse comme serveuse a-au café.»
Qu’est-ce qu’il en avait à foutre de sa vie ?! L’étudiante se sermonna durement en son for intérieur, elle venait d’user de sa salive pour rien, pour un idiot. C’était pathétique de discuter l’air de rien ! Pathétique et lâche. En dépit de cette guerre qu’elle menait avec elle-même, la brunette avala sa salive pour poursuivre.
« Je ne t’avais jamais vu par ici. »
Génial. Bravo. Une médaille pour la remarque la plus CONNE de toute la journée. Un facepalm interne plus tard, la jeune femme se râcla la gorge, l’air mal à l’aise.
« Tu… tu rentres chez toi ? »
Décidément on n’arrêtait pas le progrès. Candice semblait s’enfoncer toujours un peu plus et bientôt elle finirait par toucher le fond. Aussi espérait-elle que le bus arrive pour l’emmener loin, très loin, de cette situation qui lui donnait presque le tournis.

C'était étrange et incompréhensible en vrai. Autant Adhara était capable de lui renvoyer pleinement à la face pourquoi elle ne l'aimait pas, sans même qu'il ne lui demande, autant Candice était fermée, froide, et ne faisait aucun sens. Même Milo ne semblait pas en connaître la raison alors comment lui pouvait-il deviner ? Les réponses qu'elle lui offrait n'avaient rien d'engageant. C'était comme si elle se contentait du minimum et fuyait l'échange autant que possible. Le sourire de Gil, progressivement, diminuait sans totalement disparaître. Il cherchait à comprendre et à ne pas mal interpréter, lui qui était roi pour ne pas comprendre les choses compliquées des relations humaines. Son regard se perdit à nouveau alors qu'il hochait la tête, cachant ses mains dans ses poches, ne sachant pas quoi dire dans l'immédiat ; par chance, elle fut celle relaçant la discussion. Rapidement, le regard brun du typé asiatique se reposa sur Candice et il lui offrit un nouveau sourire avec une réponse qu'il voulait toujours chaleureuse. « Mh. Ma voiture est en révision donc je prends le bus. Je révisais dans un café voisin. » A l'autre bout de la rue, le bus fit son apparition. Gil observa le véhicule, puis la jeune femme, se demandant si la discussion allait déjà prendre fin. Le sentiment qu'elle allait s'enfuir dès qu'elle en aurait l'occasion trottait ardemment dans son esprit et plus il y pensait, plus ça le dérangeait. Décidé à faire taire cette impression, il se décida à continuer la discussion, à la forcer quand bien même elle l'ignorerait. « Le bus arrive. J'en ai pour une vingtaine de minutes avant de changer. » A la fin de sa phrase, le bus arrivait, se stoppant devant Gil qui se décala pour laisser le passage à Candice en première ; il lui emboîta le pas pour monter, valider son ticket et... s'apercevoir qu'il n'y avait aucune place et qu'ils ne pouvaient même pas aller plus loin. Levant le bras pour se tenir à la barre au dessus de lui, il fit face à Candice pour continuer à discuter. Même si elle le fuyait. Même si elle n'en avait pas envie. Parce que lui, il voulait comprendre. « C'est toujours aussi blindé à cette heure ? Y'a aucune place. Tu vas loin ? » Pour savoir si elle allait disparaître dans un arrêt ou pas ; pour savoir si c'était là une chance d'avoir un semblant de discussion avec elle et peut-être savoir pourquoi il semble l'indisposer à chaque fois qu'il apparaître quelque part. C'était étrange de la voir sourire puis subitement se renfermer dès qu'elle le voyait. Lui, en tout cas, avait bien vu cette différence et plus il en était témoin, plus ça le travaillait. Ne voulait-elle juste pas lui expliquer, au moins ça ?

De nouveau Candice avait cru deviner un échappatoire avec l’arrivée du bus. Son paysage s’était éclairci, l’air avait retrouvé le chemin de ses poumons et… et ses espoirs se retrouvèrent à terre comme les précédents. Gil allait monter dans le bus avec elle et il allait falloir supporter la situation vingt putain de minutes, ce qui, à l’heure actuelle, était comparable à une véritable éternité pour la jeune femme. Qu’importait son désespoir intérieur, car elle se retrouva à esquisser un sourire faible, presque contenu, comme signe de joie. C’était une simple façade qu’elle tenait à bout de bras pour ne pas exploser là, tout de suite.
Comme à son ordinaire, elle monta en premier dans le véhicule en remerciant à la va vite le fait que son compagnon d’infortune lui laisse la place. Toutefois, ce fut en réalisant qu’elle était cloîtrée dans l’espace bondé que son cerveau manqua d’imploser ; elle était maudite ou quoi ? Coincée entre une écolière et le streamer, Candice abdiqua face à son sort funeste. La situation auparavant gênante devenait vertigineuse.
Aussi tenta-t-elle de prendre une profonde inspiration avant de reporter ses prunelles sur l’écran à peine perceptible de son téléphone. Même cette technique se retrouvait inefficace, d’autant que bouger au milieu de toutes ces personnes s’avérait particulièrement pénible. A regret elle le rangea dans sa poche puis observa les alentours sans grande conviction jusqu’à ce que le dénommé Gilbert ne s’adresse à elle. Au fond elle accueillit cette démarche plus joyeusement, mais ce fut pour la seule et unique raison que se sentir écrasé entre tous ces corps inconnus l’incommodait profondément.
La moindre parcelle de ses membres tendue tel un arc prêt à expédier une flèche, Candice respirait à un rythme dérisoire. Pour apaiser le torrent d’émotion faisant fourmiller l’extrémité de ses doigts elle décida de se focaliser sur sa distraction du moment : la conversation. Le visage un poil plus confiant qu’au préalable, elle toisa les traits délicats de l’étudiant auquel elle faisait face. Son cœur tombait peu à peu en morceau… Mais il fallait tenir bon.
« Non, j’avoue que d’ordinaire c'est moins... bondé. »
Un léger mouvement d’épaule afin d’accentuer son incompréhension.
« Peut-être que tout le monde fait réviser sa voiture. »
La connerie avait fusé toute seule. Candice avala sa salive avec une lenteur calculée avant d’oser reporter son attention sur son interlocuteur ; aujourd’hui n’était définitivement pas sa journée.
« Je vais jusqu’au terminus en fait. » Confessa-t-elle dans un murmure.
Elle bougea à peine, tout juste de quoi gesticuler dans cet espace riquiqui qu’on lui accordait. Le résultat fut qu’elle se rapprocha d’un centimètre à peine, d’un centimètre de trop. Sa zone de confort personnel se retrouvait happée par Gilbert, dévoré même, et alors que sa colère grandissait, son regard s’attardait sur ce qu’elle serait condamnée à contempler. Quel crétin il était !
Foutu prénom à la con ! Foutu streamer de mes deux ! Candice en avait presque la gerbe aux bords des lèvres et son cœur suivait de près.

Les regards qui fuient, les présences forcées, contacts non désirés ; il y avait plein de choses dans le bus qui mettaient certaines personnes inconfortables. Si Gil, lui, s'en foutait un peu, il n'avait en revanche pas lâché Candice du regard. Tellement que c'en était presque malaisant qu'il la fixe autant. Elle bougeait son épaule, le corps balançant doucement au gré des secousses du bus sur la route. La réflexion qu'elle lâcha sur les voitures en révision surpris agréablement Gil qui sentit son sourire s'accentuer, puis un bref rire lui échapper. « Sûrement ! » En dépit de la distance qu'elle voulait forcer, elle était tout de même capable de lâcher une vanne en réponse à son propre problème. Au moins, elle l'écoutait.
La pression retombant légèrement, Gil remarqua bien la présence diminuant mais ne sembla pas s'en formaliser outre mesure. Non, il ne bougea pas, la regardait sans que son expression ne change. Au contraire ; cela lui permettait de parler sans avoir à gueuler et que tout le monde ne profite de leur conversation. « Jusqu'au terminus... Ca fait une trotte. » Et puisqu'il était curieux, puisqu'elle n'avait pas le choix que de l'écouter, de lui parler, répondre, de subir sa présence au maximum, il allait en profiter. Quitte à être lourd, très certainement. « Ca fait quoi, presque une heure ? Mmmh, y'a pas mal d'arrêts... T'es généralement seule ou y'a de la compagnie pour te tenir occupée ? Non pas qu'être seule soit mal. J'imagine que la musique est une compagnie suffisante, hein ? » S'il n'y avait pas eu ce mur de froideur habituel entre eux, très certainement se serait-il invité à prendre un des écouteurs sans lui demander son avis pour découvrir ce qu'elle écoutait. Seulement là, il avait le sentiment que s'il forçait un peu trop c'était une baffe en pleine face qu'il allait se manger et ça ne l'enchantait guère de se faire malmener à peine entré dans le bus. Peut-être avant qu'il ne s'en échappe, en guise d'au revoir digne de ce nom, pour être sûr de faire bonne impression, non ? Son regard luisait de curiosité et son visage restait accueillant. Il n'y avait aucune hostilité dans son aura, ni dans sa gestuelle. Juste de la curiosité et une grande attention à l'égard de Candice. S'il voulait la comprendre, c'était certainement dans les détails qu'il devait s'attarder et comme Gil et la gène ne faisaient pas la paire, il détaillait la jeune femme sans aucune honte. Son regard, ses joues, ses lèvres, ses cheveux, ses mimiques, sa tenue ; tout. Mais est-ce que ça allait l'aider pour autant ? Il le saurait plus tard.

Au moins la blague en avait fait rire un sur les deux. Ce n'était pas très importanr, à peine une victoire, puisque la seule chose que Candice ressentait à ce moment fatidique s'appelait : la gêne. Cette distance fine entre eux, ce regard inquisiteur, c'était des paramètres préoccupants contre lesquels elle ne pouvait véritablement lutter bien que la perspective soit tentante. Tandis qu'elle fuyait une énorme fois les prunelles d'un noir liquide du gamer, elle fixa son attention sur une vitre détrempée par la pluie. Les fines gouttelettes se frayaient un sillon sur la surface lisse, proposant une sorte de cartographie particulièrement artistique. Oui, c'était de l'art. Un art si pure et si naturel qu'il était criant de vie, de beauté et de simplicité. Cette courte parenthèse apaisa la demoiselle alors même qu'une voix la ramenait à la réalité.
Battant des cils, Candice prit conscience de la réflexion en question : aller en bout de ligne était en effet plus long que les bonnes vingt minutes dont il bénéficiait.
Comme simple réponse il eut un haussement d'épaule. Il valait toujours mieux de vivre seule que dans la maison de sa mère. Cette antre démoniaque était un carcan insupportable auquel il était préférable de ne pas penser tant cela avait le parfum de l'enfer. L'appartement était donc la solution au problème. Une réussite dont Candice éprouvait de la fierté.
Arborant une moue songeuse, pour ne pas dire rêveuse, la jeune femme aux boucles brunes claqua sa langue dans sa bouche une fois comme signe de sa concentration, mais le tout vola en éclat lorsque une avalanche de question l'ensevelit toute entière. En plus de la fixer comme une bête de foire, voilà que Gilbert se permettait d'agir comme un proche ce qui n'était nullement le cas.

À grand peine l'etudiante dissimula sa stupéfaction. Les fourmis qu'elle ressentait encore dans ses phalanges picotèrenr sa chaire à mesure qu'elle construisait une série de réponse dans son esprit embué par un epais voile de confusion.
"Euhm... Je... Oui, c'est ça. Une heure." Dit-elle en avalant sa salive "Et c'est vrai qu'on a pas besoin de compagnie quand on a une bonne Playlist."
Encore et toujours, Candice creusait sa tombe. Du bout de ses doigts elle tenta de se détendre en jouant avec le câble de ses propres écouteurs, mais ce fut sans succès.
Regarder les gens autour pouvait être un exercice intéressant en temps normal, sauf qu'en on est soi-même le centre de l'attention et malheureusement Gilbert ne semblait pas décider à ne pas regarder la jeune femme sous toutes ces coutures. Ça en devenait vraiment étrange !
Candice s'était toujours considérée comme standard, banale, habituelle. Rien chez elle ne pouvait donc mériter cet air captivé, pour ne pas dire inquisiteur, du jeune américain.
Chassant ses pensées d'un revers de main mental, la jeune femme opta pour une diversion.
"Et toi t'écoute quoi ?"
Contre attaque cette fois-ci. Maintenant c'était à son tour de parler ! Et connaissant Gilbert il parlerait, beaucoup, longuement, de quoi les occuper une bonne partie du trajet et c'était pile l'effet recherché. Peu importait si il dérivait sur des groupes chelou ou des raps douteux! Déjà qu'il la fixait, elle ne serait sûrement pas la seule à parler de ses préférences en matière de musique.

Réponse facile, timide ? Bizarre. La mettait-il aussi mal à l'aise que ça ? Elle semblait surprise qu'il la questionne, s'intéresse à elle - ou bien comprenait-il tout de travers ? Elle écoutait quoi ? Quel type de musique ? Quels artistes ? Mainstream ou creusait-elle les pépites ? itunes ? Spotify ? Youtube ? C'était plus qu'une avalanche de questions qu'il pouvait lui envoyait, mais il se contenta d'opiner du chef. Il remarqua du coin de l'oeil ses doigts jouer avec le câble de ses écouteurs ; il y jeta un très rapide regard avant de se reconcentrer sur son visage, cherchant à deviner ses pensées. Il ne réalisait vraiment pas que l'insistance de son regard était tout spécifiquement la cause de l'étrange ambiance qui s'instaurait et dont lui-même était curieux.
Le silence retombait quelques secondes alors qu'il réfléchissait, puis ce fut la question à son sujet qui le sortit de ses pensées. Une question précise le concernant ; et le sourire revenait au grand galop. « Ce que j'écoute ? » Coins de lèvres relevés, dents blanches dévoilées ; et il sortait son téléphone. « J'imagine qu'avec les stream tu sais déjà que les playlist gaming avec de l'EDM j'écoute pas mal, ça se font plutôt bien en fond sonore et ça met dans l'ambiance. J'aime bien les musiques de jeux vidéos en général. » disait-il en regardant son écran de smartphone. Son corps se pencha davantage vers l'avant pour se rapprocher de Candice et demeurer proche, peut-être trop mais il ne le remarquait pas ; il lui montra l'écran de son téléphone. « C'est un vrai bordel mon Spotify en vrai, je serais incapable de te donner précisément un nom, mais xKito a généralement des bonnes playlists, elle a aussi une chaîne Youtube où elle poste des trucs. Y'en a quelques unes que j'aime bien, genre celle-là, ou celle-là. Ah, je sais, attends. » Sa main quittant la barre du bus pour se ficher dans sa poche, il finit par sortir une petite boîte qui renfermait des écouteurs bluetooth. Il se saisit d'un pour le mettre dans on oreille, attrapa la deuxième pièce, rangea l'étui puis s'approcha de Candice pour venir lui-même le lui mettre dans l'oreille, doucement, où elle avait précédemment retiré son écouteur. « Tu connais sûrement Linkin Park, n'est-ce pas ? Y'a une cover de Shadow of the day que j'aime beaucoup. Tiens, écoute. » ( ♪♫ musique ) Appuyant sur lecture, Gil tendit à nouveau le bras au dessus de lui pour se tenir à nouveau à la barre, son regard venant se reposer sur Candice. La lèvre inférieure capturée sous ses dents, il laissait la musique passer tout en continuant, encore, de regarder la jeune femme. Allait-elle aimer ? Détester ?

Si Candice avait pu juste plaquer une de ses paumes sur le visage de Gilbert pour  cacher ses yeux, elle se serait sentie plus légère, mais sa bienséance d’enfant sage lui interdisait un geste de ce genre et encore plus si cela impliquait de rentrer en véritable contact physique sans l’accord du concerné. Elle prit donc sur elle, son cerveau semblant beuguer de façon aléatoire, clignotant parfois en affichant un superbe « 404 error » sous les parois de son crâne. Pourtant, jusqu’ici, elle était satisfaite du contrôle qu’elle exerçait sur la situation ; c’était un maigre lot de consolation à vrai dire, car dans son esprit la guerre faisait toujours rage. Ça en devenait schizophrénique : d’un côté la Candice douce et de l’autre la furie désirant tout détruire son passage. Un chaos sans nom.  Lentement, elle se perdit dans ses pensées, un refuge confortable, jusqu’à ce la voix qui l’avait longtemps bercé la tire de cet univers cotonneux pour affronter le sourire colgate total de son interlocuteur. Son cœur en rata un battement. Pourquoi était-il si amical ?! Pourquoi s’intéressait-il à elle à la fin ?! Il était gonflé quand même ! C’était lui qui avait fait mine de ne pas la reconnaître et maintenant il voulait une atmosphère de bons potes ?! Quel crétin !
Alors qu’elle allait l’interrompre, ou du moins qu’elle rassemblait ses forces pour le faire, elle fut embarquée dans le flot de paroles de celui-ci, la clouant sur place. Impossible de refuser. Impossible de se rendre détestable. Tout en déglutissant, elle lui accorda une réponse timide.
« Oui, je vois. Après j’ai plus trop le temps avec les cours et le boulot, donc peut-être ça a évolué. » Fit-elle.
C’était un mensonge éhonté. Si elle ne le regardait plus c’était pour une bonne raison. Elle le savait, ses tripes même le savaient, et sa réaction face au stream qu’il avait effectué avec une « amie » une poignée de jour plus tôt en témoignait. La rage qui l’avait consumé en apprenant la nouvelle s’avérait encore vive et il était préférable pour le mental de l’étudiante qu’elle songe à autre chose ; ce fut sans succès bien évidemment. Pendant ce court laps de temps, Gilbert semblait dans son monde et tandis qu’il se penchait, la jeune femme se recroquevillait de plus en plus. Il était à peine plus grand qu’elle, mais Candice se sentait minuscule et voilà qu’en plus de lui parler il se rapprochait l’air de rien, venant cette fois s’approprier les derniers centimètres d’oxygène dont la jeune femme pouvait bénéficier ; quel culot !
Dans sa tête, l’étudiante hurlait, jurait, brisait, déchirait. Pourtant, lorsqu’on l’observait à cet instant précis on ne devinait qu’un visage attentif supplanté de deux yeux ouverts sur l’écran lumineux du téléphone qu’elle avait sous le nez.  Elle semblait s’accommoder de cette proximité. Oui, sembler était le verbe idéal.
Ainsi, elle laissa Gilbert poursuivre sur sa lancée en demeurant silencieuse, son attention se promenant sur la suite de morceaux qu’elle contemplait d’un air neutre ; il y avait plusieurs titres qu’elle reconnaissait, mais elle n’en montra rien, préférant se concentrer sur le fait de contenir ces deux personnalités opposées. Ce fut presque une surprise quand elle sentit les doigts de son interlocuteur se glisser jusqu’à son oreille tant elle avait omis de le regarder et au fond, ce contact qu’elle souhaitait désagréable, l’apaisa légèrement. C’était une blague ?! Il se prenait pour qui bordel ?! Décidément quel abruti !
« Merci. »
Inutile d’expliquer le pourquoi du comment, voilà qu’elle le remerciait sans véritable raison. Peut-être parce qu’il venait de relever son bras ? En tout cas, il ne la lâchait toujours pas du regard et ça, il n’y avait rien à faire, ça ne passait pas. Les joues teintées d’un carmin discret, Candice sa râcla la gorge avant de fermer les yeux afin de se focaliser sur les notes délicates de la musique envahissant son être.
Adieu la guitare brutale, les cris déchirants de métalleux en colère, il n’y avait plus que de la douceur. Il n’y avait plus que cette voix et ces notes. Pendant, une seconde, elle avait sincèrement souri ; le décalage avec le caractère bruyant, lourd, voir même déplacé de Gil était bluffant.
Une fois le morceau terminé, elle osa ouvrir de nouveau ses prunelles sur le monde. Cet interlude lui avait faite oublier le bus, les gens, Gil un peu aussi, et le retour à la réalité la fit soupirer secrètement ; elle avait vraiment hâte de rentrer chez elle. Vraiment. Secouant légèrement la tête comme signe d’approbation, elle se décida à ouvrir une nouvelle fois la bouche ; chaque phrase était un combat…
« C’est cool. Un rythme assez chill, ça pourrait faire un bon fond pour réviser. »
Et là, que devait-elle faire ? Rendre l’écouteur ? Oui, sûrement. Pourquoi ses muscles ne réagissaient pas dans ce cas ? Pourquoi continuait-elle d’avoir ses lèvres retroussées par une mince trace de sympathie ? C’était pitoyable, mais ça restait toujours mieux que de l’incendier.