la fin d'une vie ou le début d'une nouvelle. (louve)

T'es vraiment trop triste. Tu n'arrives pas à te faire à l'idée. Pour toi, ce n'est qu'un mauvais rêve. Un jour, tu vas te réveiller et Khaled sera à tes côtés. Ou alors, Charlotte t'annoncera au moins que tu n'es pas enceinte, qu'elle a fait une connerie, qu'elle s'est plantée. Ce n'est pas possible que les deux soient vrais. Ce n'est pas compatible. Tu déglutis et expliques à ta soeur que tu n'as pas envie d'être aussi grosse qu'elle. Tu esquives un sourire malgré tout, pour lui montrer que tu es plus forte que tout ça. Tu secoues la tête quand elle t'assure que tu seras plus grosse encore genre, cinq pastèques. Je le serais pas. Je peux pas devenir aussi grosse... Mon corps le supportera pas. Et si c'est pas ton corps qui craque et bien, ça sera ta tête. Ça sera surement ta tête. Tu joues avec la cuillère tandis que ta soeur t'accoude de son côté du comptoir. Tu la questionnes du regard un court instant avant de froncer les sourcils. Tu vas me regarder manger tout le pot ? Sérieusement Louve, prends au moins une cuillère, je sais pas... Tu lèves les yeux au ciel d'un air désespéré avant de replanter ta cuillère dans le pot pour ne pas te faire engueuler. J'arrive pas à me dire que je vais être maman... Je suis trop jeune pour ça... Khaled avait raison. Je suis loin d'être prête...

La voir dans cet état te fait de la peine plus que ça ne te ravit. A mille lieux du sourire qui serait sur tes lèvres si t’étais à l’origine de sa peine. Tu supportes pas ça, la voir aussi bas pour un pauvre type qui a pas su porter ce qu’il a entre ses jambes. Pire, la voir se retrouver seule face à une grossesse pas prévue et apprise bien trop tard. Des jumeaux, la goutte de trop. Tu tentes tant bien que mal de lui arracher un sourire, ne relâchant pas la taquinerie habituelle qui règne entre vous. Autrement, ça ferait qu’empirer la situation, pas vrai ? « Des vergetures, c’est tout ce que t’auras. A moins que t’aies de la chance et que t’hydrates si bien ta peau qu’elle craque pas. Mais à part ça, je vois pas ce qui risquerait d’arriver… tu deviendras pas plus moche, tu l’es déjà t’inquiètes pas ! » Un sourire de plus, ton regard planté sur elle. Et puis, elle finit par te demander si tu comptes réellement la regarder manger ce pot toute seule, te disant au passage que tu pourrais à minima prendre une cuillère toi aussi. « Suffisait de le dire. » que tu lances en reculant pour attraper une cuillère que tu poses devant toi. « C’est bon, j’en ai une. Mange maintenant. » Elle t’a pas demandé de la planter dans le pot après tout, juste de prendre une cuillère aussi, pas vrai ? Et puis, elle repart dans ses tracas. Elle te dit qu’elle est trop jeune pour devenir maman, que Khaled avait raison. « Khaled ? Rien du tout. Oublie ce prénom pour commencer si tu veux pouvoir remonter la pente. Il mérite pas que tu parles de lui, c’est qu’un enfoiré. » Meilleur ami ou pas, tu comptes pas lui pardonner ce qu’il a fait à Coco. « Mais t’as plus le choix Colombe. Ils sont là, que tu le veuilles ou non. Ca ira. Nous aussi on est là, on t’aidera, tu seras pas seule. T’as plein de personnes sur qui compter. Dis-toi que des gamines tombent enceinte à quatorze ou quinze ans. T’en as vingt-et-un. » Relativiser.

Ca t'es tombée dessus comme ça, t'y peux rien. Tu prenais la pilule parce que Khaled s'était fiât à l'idée d'avoir un bébé une fois que tu aurais terminé tes études. Si ce n'était pas le cas alors, il fallait d'abord que vous vous mariez. Vous aviez prévu de le faire, cet été. Tu voulais avancer avec lui parce que tu l'aimais plus que tout. Sauf que le destin en a voulu autrement. Tu ne sais pas s'il a senti le coup venir, tout ce que tu sais c'est qu'il a fini par se casser. Tu l'as informé de ta grossesse. Tu l'as appelé en pleurant une bonne dizaine de fois. T'as saturé sa messagerie, tu l'as harcelé de sms et t'as été voir ses parents. Ils sont prêts à t'aider. Ils sont vraiment ravis de devenir grands parents une nouvelle fois. Seulement, tu ne sais pas s'ils te mentent en te disant qu'ils n'ont pas de nouvelles non plus de leur fils ou s'ils le protègent. Toi, tu vas chialer les jupons de ta soeur parce qu'il est hors de questions que tu le dises aux parents pour l'instant. Elle te parle de vergetures. Elle t'explique que tu ne peux pas être plus moche que tu l'es déjà. Bref, des pics qui doivent te remonter le moral. Sérieusement Louve, j'y connais rien à la grossesse... Va falloir que tu me donnes un coup de main. T'es désespérée et elle te fait manger. Tu ne veux pas être la seule à prendre des kilos alors, tu l'invites à prendre une cuillère et c'est ce qu'elle fait. Enfin, elle la prend pour continuer à parler en faisant de grands gestes avec alors que t'es en train de te manger tout le pot. Plus tu manges et plus tu te plains. C'est ton meilleur ami et le père de mes filles... Donc forcément, tu continueras encore et toujours de parler de lui. Il fait partie de ta vie, à tout jamais. Tu soupires bruyamment et reprends une cuillère. Elle t'annonce que tu n'as pas le choix et que tu ne seras pas seule. Tu rigoles nerveusement avant de reprendre : Marin va me tuer avant que j'ai eu le temps d'accoucher de toute façon. Je sais pas pourquoi je flippe. S'il le fait pas, c'est papa qui va s'en charger.

Elle a peur, Colombe, et tu la comprends. Tu la comprends parce que la première fois où t’as appris que t’étais enceinte, au même âge qu’elle, t’as paniqué. T’as pas su comment réagir, quand bien même ça faisait moins de trois mois. Mais ce que tu sais, c’est que t’as regretté ton avortement dès l’instant où t’es entrée dans la clinique. Est-ce que seulement t’avais le choix ? Absolument pas. Parce que Marin et Colin se trouvaient derrière toi pour te forcer la main, parce qu’ils t’ont faite chanter en te menaçant de prévenir votre père et qu’il couperait aussitôt tes vivres. Et t’étais seule, toi aussi. T’étais seule, sans personne pour assumer ton bébé avec toi. Alors oui, tu comprends sa crainte, mais tu restes persuadée que laisser tomber ses bébés lui feraient plus de mal que de bien. « Ca va, je suis rodée maintenant, je t’aiderai. Ce sera pas facile mais ça ira ! Puis dis-toi que l’avantage, c’est que j’ai subi ça avant toi et que j’aurai pu servir de cobaye pour que ça se passe bien pour toi. » T’essayes de te montrer plus sérieuse, l’ironie ne l’aidant visiblement pas à relativiser ne serait-ce même qu’une seconde. Tu la regardes qui mange et tu l’invites surtout à tirer un trait sur Khaled, mais elle répond aussitôt, supposément qu’elle n’arrêtera pas de parler de lui. « C’est plus le cas depuis qu’il s’est barré, je l’avais prévenu. Et si je le vois, compte sur moi pour l’émasculer. » Il s’en sortira pas comme ça et c’est vraiment mal te connaître que de croire que tu resteras les bras croisés si un jour vos chemins se croisent à nouveau. T’essayes de la rassurer en lui disant qu’elle ne sera pas seule mais elle, elle rigole nerveusement et parle de Marin. « Qu’ils aillent au diable ces deux-là. Ils ont rien à dire, surtout pas Marin. Il avait qu’à rester là et ne pas se barrer en nous laissant seules. »

Tu flippes et c'est totalement normal. T'avais tout prévu dans ta tête. Tu voulais un beau mariage, t'avais prévu d'attendre un peu pour avoir un bébé ou du moins, vous aviez prévu de faire les deux avec Khaled. Khaled qui tenait finalement à ce que tu termines tes études. T'as jamais arrêté la pilule et finalement, ça t'es tombé dessus sans que tu t'y attendes. Tu ne sais pas si Khaled a senti le coup et a décidé de prendre ses jambes à son cou mais, tout est arrivé si vite et t'as pas eu le temps de comprendre quoique ce soit ou de décider ce que tu voulais faire. Maintenant, tu te retrouves là-dedans. T'as jamais été enceinte. T'as jamais avorté. T'as jamais envisagé d'avoir un bébé aussi rapidement parce que quand tu te sentais enfin prête, Khaled s'est rétracté. A deux, vous auriez géré, t'aurais même fini par être contente. Là, c'est trop dur. Tu hoches la tête positivement quand Louve te dit qu'elle a eu à gérer cette situation. Ouais, toi t'en auras juste un de plus avec deux bras en moins parce que tu n'as pas la chance d'avoir le père de tes gosses à tes côtés. Père qui s'avère être le meilleur ami de ta soeur qui finit par le renier face à son comportement puéril. Je lui ai envoyé des sms, j'ai laissé des messages sur sa boîte vocale, j'ai aucune nouvelle et je sais même pas si ses parents savent et n'osent pas me dire ou s'ils n'ont vraiment aucune info eux aussi... Quelque part, ça me fait peur. Imagine qu'il lui soit arrivé quelque chose... Tu déglutis parce que tu te fais un tas de films à propos de tout. Tu manges une nouvelle cuillère mais t'as envie de vomir alors, tu grimaces et la plantes dans le pot avant de le reculer. J'peux plus manger... Surtout en parlant de Marin. Marin qui va se liguer à votre père et te détruire, c'est une certitude. T'as déjà la trouille comme si c'était Satan en personne. Ils vont pas vouloir que je le garde... Ni lui, ni papa... T'es au courant... Evidemment qu'elle l'est puisqu'elle est passée par là alors qu'elle, elle a Basile.

Elle est là, face à toi, probablement plus faible que jamais. Au final, elle te fait de la peine et ça n’a pour effet que de réveiller le démon qui sommeille en toi. T’es enceinte jusqu’au cou, à quelques semaines de ton accouchement, mais t’es quasiment prête à crever ce que t’as longtemps considéré comme étant ton meilleur ami. Tu l’avais prévenu. Tu lui avais dit que s’il faisait du mal à ta sœur, c’est à toi qu’il aurait à faire. Et Dieu sait que personne n’a envie de se frotter à toi tant tu peux devenir incontrôlable. « Il lui est rien arrivé, arrête de croire ça. Ses parents seraient au courant et te l’auraient dit. Il a dû partir comme un chien, la queue entre les jambes. Il savait qu’un truc clochait et que t’allais pas bien, non ? Il a juste dû avoir la trouille et pas réussir à porter ses putains de couilles. » T’es probablement un peu dur envers lui et envers elle indirectement. Mais les faits sont là : il a disparu du jour au lendemain sans donner de nouvelles après avoir bossé à l’hôpital. Impossible qu’il lui soit arrivé quelque chose sans que personne n’en entende parler, pas même ses parents. « Ca va, t’as bien mangé Coco. » Suffisamment en tout cas et tu peux comprendre qu’elle n’en puisse plus, alors tu ne dis rien de plus lorsqu’elle repose sa cuillère dans le pot. Tu le laisses face à elle, au cas où elle souhaiterait en reprendre à un moment ou à un autre. Mais elle parle de Marin et de votre père et, toi, ça te fout hors de toi. « On en a rien à foutre d’eux. Papa ne pense qu’à sa gueule et Marin a changé, il est devenu comme lui. C’est pas la solution de ne pas les assumer Colombe, je t’assure que tu le regretteras un jour ou l’autre et que tu t’en mordras les doigts… Fais pas comme moi, les écoute pas. » T’as pas envie qu’elle traverse ce que t’as traversé toi-même. T’as pas envie de devoir la ramasser à la petite cuillère.

C'est Khaled qui t'a couru après. C'est lui qui a toujours voulu de toi. Il a eu un coup de foudre, c'est ce qu'il a dit. Toi de ton côté, tu l'as fait ramé pendant un certain temps. Vous vous êtes embrouillés à plusieurs reprises. Tu lui as reproché le mariage de Las Vegas alors que vous étiez tous les deux complètement défoncés. Tu lui as demandé les papiers alors qu'il ne voulait pas les signer. Enfin bref, le début de votre relation a été chaotique. Il vous arrivait de vous engueuler, comme dans tous les couples. Il s'est beaucoup inquiété pour toi, surtout à la fin. Il ne trouvait pas ce que tu avais et d'un coup, il a disparu sans laissé aucune explication. Peut-être qu'il a su que j'étais enceinte avant que Charlotte ne me l'annonce... Khaled a toujours voulu le mariage avant les enfants et c'était peut-être ça le problème... Ton cerveau tourne encore et encore. T'as un tas d'hypothèse en tête et bientôt, tu deviendras malade à force de réfléchir. Tu repousses le pot de glace et tu pars dans une nouvelle discussion qui concerne cette fois-ci votre père et votre frère. T'as un peu plus confiance en Colin qu'en Marin. T'as toujours été plus proche de l'aîné que du plus jeune. Fauve ne te dira rien car vous n'avez pas vraiment de lien elle et toi. Vous ne vous supportez pas forcément. C'est plus Marin qui te fait peur parce que tu sais qu'il peut péter les plombs, le dire à votre père et qu'ils peuvent te forcer à faire adopter les bébés ou te mettre un nouveau contrat de mariage sur la tête bref, y a un tas de trucs possibles. Elle te demande ce ne pas les écouter. Elle prend ta défense face à Marin, chose qui arrive une fois tous les trente-cinq du mois. T'as le coeur qui s'emballe et finalement tu te lèves. J'crois que j'ai envie de vomir! Tu cours aux toilettes sans plus d'explications. C'est la glace, c'est forcément la glace, pas le stress. Non parce que ça va, tout va bien dans le meilleur des mondes.

« Non. » C’est la seule chose que t’as à dire sur ses hypothèses. Non, il ne se serait pas barré s’il avait découvert qu’elle était enceinte. Non, il n’est pas parti à cause d’elle. Non, elle n’y est pour rien. T’en es et t’en resteras toujours persuadée. Vous en venez d’ailleurs à poursuivre le débat sur les réactions que pourraient avoir votre père et votre frère, entre autre. En écartant même Colin du lot, lui qui a été le premier à refuser que tu gardes le bébé autrefois. C’est compliqué, tu le sais. Vous êtes compliqués, chez les Perol. Tout doit toujours être mesuré à l’avance, pire encore quand ça concerne la cadette, le joyau de votre paternel. Mais cette fois, tu refuses qu’elle les écoute. Et, sans t’y attendre, elle se lève et disparaît de ton champ de vision en te disant qu’elle a envie de vomir. Tu l’entends s’enfermer dans les toilettes et tu soupires. Tu t’y diriges et t’attendras qu’elle sorte de là pour l’aider, pour lui offrir encore et encore une oreille attentive si nécessaire.