waves (lukson)

La lumière de l’aquarium crée des particules de millions d’étoile sur les parois du centre aquatique et en cette soirée un peu orageuse, le monde avait disparu dans leurs appartements, laissant Carson à la merci d’un Luke qui n’avait plus de filtre. Ou était-ce l’inverse et l’on retrouvait Luke pris au piège par une jeune femme qui l’emprisonnait de ses charmes. En tout cas, rien ne prédisait qu’ils se retrouveraient là, tous les deux, ce jour-là, dans le grand livre de l’Univers. Et quand son air venait à manquer car un peu trop angoissé, il suffisait que son regard croise celui de Carson pour qu’il découvre que la vie avait une autre saveur. A cœur ouvert, il avançait alors d’un pas, réduisant la distance qui les séparait dans un néant spectral, et elle seule était capable d’entrer dans sa zone de confort. Il connaissait bien les cris de ceux qui faisaient douter de tout, qui mettait à genou. Mais les traces qui avaient entaché son esprit s’effaçaient quand il fut certain de la décadence dans laquelle il s’était embourbé. Tant pis. Il irait en enfer. « Je m’en fous, Carson, je m’en fous… » Et il monte sa main vers son visage pour venir récupérer sa mâchoire et sa joue dans sa patte d’ours mal léché. Il passe sa langue entre ses lèvres, histoire de les humidifier un peu, et ses yeux glissent des iris de Carson jusqu’à ses lèvres, plusieurs fois. Et comme un humain aussi faible soit-il, son visage se reposa, les traits détendus et les lèvres de Luke qui glissait contre celle de Carson. Voilà. Voilà qui était la consécration du combat intérieur entre son loup sage et celui un peu plus sauvage. Il prend une grande inspiration par le nez et il entrouvre légèrement ses lèvres pour donner la possibilité à Carson de répondre à son baiser, si elle en a envie. Il était prêt à lui laisser toutes les cartes en main, malgré la menace qui était en train d’arriver. C’était une peur du vide.

Si on plonge, on plonge ensemble. Sauf que moi, j'suis déjà au fond du gouffre, et si je peux le tirer vers la surface, rien qu'un peu, j'le ferais. Mais faut pas trop m'en demander, Luke, j'te tends la main une dernière fois, mais ma résistance, elle va finir par me lâcher. Alors j'insiste, je rappelle une dernière fois la situation. Quoi qu'il arrive, s'il approche, il plonge. C'est comme ça avec moi, du chaos, rien de plus. Et pourtant il fait un pas. J'arrête de respirer. C'est immédiat, presque trop violent. Même pour moi. Et j'me retiens de vaciller quand il approche encore. Quand ses mots me percutent comme une claque. Je m’en fous, Carson, je m’en fous. Et s'il le sait pas encore, il vient de donner un grand coup de pied dans mon chateau de cartes. A prendre mon visage dans le creux de sa paume, j'ai l'impression que c'est mon tour d'être dans une bulle de verre. Protégée de tout. Ma prison personnelle. Et quand ses lèvres trouvent les miennes, je sais déjà que je pourrais plus faire machine arrière. Mon corps qui bascule en avant, qui cherche le sien, ma langue qui, déjà, s'immisce entre ses lèvres pour trouver la sienne. Et j'ai la main qui s'agrippe à son épaule, tandis que mes appréhensions tourbillonnent, s'échappent et reviennent, sans trop savoir quoi faire. Et puis merde. J'm'en fous, j'suis déjà damnée, et lui, visiblement, se fiche bien de faire de même. Quand je recule, c'est avec peine. Quelques millimètres, centimètres tout au plus, assez pour murmurer « T'es pas un client. » Au diable les convenances, le vouvoiement, la distance. Brûle moi jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien.

Il décolle. Il est sur le point d’atteindre les étoiles. Il sent que son myocarde se contracte trop pour se frapper contre la cage thoracique et son corps parle à sa place. Elle répond au baiser et tout l’être de Luke entre en fusion pour jouer de sa langue contre la sienne. Intensité solaire. Elle le touche aussi, contact minime mais puissant qui a l’effet de l’écraser dans le sol. Elle sépare leurs lippes, annonce une condamnation tout autre que ce qu’il attendait, et il sent qu’elle aussi, elle s’approche de la lune. Alors il revient à la charge, ne veut pas la lâcher, et il la repousse contre l’aquarium des méduses. Il illumine le dessus du visage de Carson et ce petit rosé la rend angélique. Comment une si petite personne pour autant insignifiante dans le chemin de l’univers pouvait-elle chambouler autant sa misérable vie ? Elle était une fée dans son monde burtonnien, à l’effigie d’une forêt sombre et lugubre. Elle s’approchait de chacune de ses veines pour leur redonner vie et Luke pose une main contre le verre pour la maintenir. Il ne respire plus mais il s’en moque, pourrait mourir d’épectase juste d’un baiser tant il avait de la passion. Il glissait sa main libre sur sa nuque, attrapa les petits cheveux qu’il y avait là, juste derrière, ceux qui font mal mais qui excitent. Et il empoignait sa chevelure, en l’écrasant un peu. S’il avait pu faire fusionner leurs cadavres, il l’aurait fait. Il avait tellement envie de la respirer que ça en devenait maladif. Elle était foutrement mirifique Carson, et c’était éblouissant. Luke reculait ses lèvres pour les déplacer sur l’os de sa mâchoire et vers le lobe de son oreille. « Tu me déstabilises Carson. » Il perdait ses moyens et sa ligne de route. Il mettait de la spontanéité dans les aspects monotones de sa vie et elle ne se rendait pas compte –lui non plus d’ailleurs- à quel point son monde en serait bouleversé.

Il se rend pas compte de ce qu'il fait. A m'attraper dans sa lumière, il va finir par m'y faire croire. Croire que j'suis capable de sortir des ténèbres, rien qu'un peu. De briller, pour quelqu'un. Ecrasée contre la vitre de l'aquarium, j'pourrais bien fondre sous son poids que j'en aurais rien à foutre. J'ai ma main qui s'agrippe, plus fort, mes lèvres qui répondent, trop fort. Qui impriment son goût sur ma bouche, pour que j'puisse mieux m'en souvenir quand il sera plus là. Parce que ça peut pas être si beau, me souffle ma conscience, ce genre de douceur, aussi brute soit-elle, ne peut-être qu'éphémère. Et dans la lumière rose que dégage l'aquarium et ses méduses, Luke, il est beau. J'ai la tête qui bascule sous sa poigne, mon cou qui s'offre à ses lippes, mon myocarde au bord du précipice quand il souffle au creux de mon oreille. Et j'rassemble mon peu d'assurance pour répondre, un sourire mal assuré sur les lèvres : « Je sais. » Je sais parce que c'est mon cas aussi. J'le sais parce que tu bousilles tout pour reconstruire. Mais reconstruire quoi au juste ? Des rires d'enfants me ramènent à la réalité. Je recule, me dégage, presse mes lèvres l'une contre l'autre d'un air gêné, quand une famille entre dans la pièce. « On devrait... on devrait avancer. » J'ai perdu toute ma concentration pour la visite, mais clairement c'était pas le lieu pour s'égarer. Sans attendre son avis, j'avance. Incertaine de la suite. De ce qu'elle veut dire. Pour moi, pour lui.

Le rire des enfants qui brisent cet instant, c’est presque Damoclès qui s’abat sur eux pour leur rappeler qu’ils ne sont que des Hommes à la faiblesse la plus humaine. Il respire mal Luke, trop prit par ce baiser d’une passion romanesque, et il s’oblige à reculer pour laisser Carson reprendre un peu d’air. Il n’avait jamais voulu autant plus que maintenant. Quelque chose se réveillait en lui qui était à l’abandon dans son cœur depuis des années et il ne voyait pas où le bout du tunnel s’arrêtait. Alors il suit le mouvement, il est juste derrière Carson, il marche dans ses pas et il respire presque derrière son oreille. Comment peut-il encore rester décollé d’elle après ce qu’il vient de se passer ? Les gens crient et s’amusent autour de lui, la vie continue quand il a l’impression qu’elle vient de s’arrêter contre ce tube plein de méduse. Elle l’illuminait, et Luke, il devenait un autre homme. Il sentait son cœur battre dans ses tempes, oubliant complètement où il se trouvait, et il observait Carson qui, elle, n’observait même plus les alentours, se contentant d’avancer mécaniquement. Il accélère un peu le pas, pour se retrouver à côté d’elle, comme un couple… ou un père et sa fille. C’était tordu. C’était malsain. Mais si toute la raison de Luke lui commandait de fuir de ce pas ce démon déguisé en déesse, son cœur lui, bordel, il l’ancrait à elle comme des milliers de câble resserrées sur chacune de ses veines. « Carson… » Et son prénom sonne comme une prière, il n’ose peut-être pas aller plus loin. Il n’a pas les mots pour expliquer ce qu’il vient de passer, alors il se contente de laisser le silence s’installer entre eux. Il redevient paisible, ce calme. Et ça apaise beaucoup.

J'avance, mais j'vois plus rien. Les poissons, les requins, toutes ces conneries elles me passent au dessus, la visite est devenue optionnelle. Tout ce que j'ai derrière la rétine, c'est lui. Luke, il vient de se glisser dans mes veines, il s'insinue jusque mon myocarde, et si j'ai bien conscience du danger qu'il représente, j'arrive pas à reculer pour autant. Prise au piège de ma propre idiotie, quand j'me suis toujours imposé cette barrière avec les clients. Sauf que c'est plus un client. Il a ce truc que les autres ont pas, ces regards que j'vois jamais chez les autres, une tendresse que j'aurais pas vu dans les yeux de ma propre mère. J'ai passé les 20 dernières années de ma vie sans but, et j'me surprenais, pour une fois, à vouloir être aimée. Rien qu'un peu. C'est peut-être déjà trop. Et alors que j'avance, j'me dis que peut-être que ça va passer. Que mon coeur battra moins fort s'il reste comme ça, à me suivre comme une ombre. Mais il aura suffit d'un mot. De mon prénom qui filtre ses lèvres, presque dans un souffle, pour que j'me retourne pour l'attraper par la main, le tirer dans un couloir, et j'me fous bien que ce soit pour le personnel ou pour aller au ptit coin, pour l'appuyer contre le mur et revenir à l'assaut de sa bouche. Comme une assoiffée en plein désert, Luke est mon oasis, et il a pas conscience de ce qu'il est en train de provoquer chez moi. J'ai les doigts agrippés à sa veste pour le retenir, mes lèvres qui cherchent les siennes, mes yeux qui le supplient. Je sais pas où on va, mais tais toi où je réponds plus de mes actes. Puis presque aussi sec, je recule, j'le fixe, je m'éloigne. Je disparais dans les couloirs tamisés, cherche un public qui saura me convaincre de calmer cette frénésie qu'il a provoquée.

Et Luke, il déserte la raison, il veut ignorer ce qu’elle lui souffle, comme un angelot sur son épaule quand le diable s’amuse à le pousser vers elle, ce bout de femme au regard tendre. Il avait envie d’apprendre à connaitre l’histoire derrière le faux sourire, il voudrait savoir l’apaiser quand elle se trouve dans le flou, il l’écouterait parler des heures, la voir s’émerveiller de choses inconnues. Il avait envie de toutes ces premières fois avec elle, que ça ne soit pas sage, ce n’était pas le problème. Il s’en moquait. Il trouverait des solutions, et c’était en l’arrachant de ce couloir qu’elle lui donnait la force de se laisser guider par un baiser envoutant, celui qui donnait à Luke les rênes pour diriger sa vie comme il le voulait même si c’était en nageant dans la merde et en trahissant chacune des deux femmes de sa vie. Il se laissait happer dans ses lèvres, sa langue chaude et suave. Il avait les mains sur ses hanches qu’il appuyait dans le sol tellement il y mettait de la force. Il fronçait les sourcils, aspirait son âme comme un avide de son bourbon. Il plantait des aiguilles dans sa peau au goût de Carson, et… et elle repartait. Elle prenait une fuite qu’il avait fait, lui, par le passé. Et Luke, il restait là juste deux ou trois secondes, sans la rattraper. Pas qu’il ne le voulait pas, mais il accusait le coup du poids de ses mensonges et de la lourdeur de ses sentiments qui témoigneraient des futurs aspects de sa vie. Puis, il se met à courir quand la foule se regroupe car le spectacle des dauphins va bientôt démarrer. Mais ça pourrait être des dragons qu’il s’en fichait. La foule l’empêchait d’avancer, et il ne la voyait plus. Où était-elle ? Il paniquait. Mais c’était elle qui disparaissait.