dancing on my own (lukson)

J'attends sagement que la voiture démarre, après avoir sagement décliné la proposition de l'homme de me raccompagner chez moi. C'est à l'autre bout de la ville, mais je m'en fous, j'me démerderais. Là, j'ai juste besoin d'air, et c'est le meilleur endroit pour respirer : le bord de mer. Alors je traverse, j'appuie mes mains sur la bordure qui sépare la route du sable, et j'me fais violence pour pas dégager mes talons pour aller là bas, tout droit, jusque l'eau. Oublier les lumières de la ville dans mon dos. J'me redresse, je pivote, et comme s'il sortait tout droit de mes pensées, il est là. Vacillant, probablement enivré par plus d'alcool qu'il n'en faut. Je le fixe, je dis rien. J'ai pas à te répondre, Luke. Encore moins quand t'es comme ça. J'te regarde comment, en fait ? Parce que moi-même, je sais pas. La mâchoire contractée, je détourne les yeux, j'ignore ton regard, j'préfère fixer les vagues. « C'est vous, qui me regardez. » Faiblesse, que de lui répondre. Je pince mes lèvres si fort que ça m'en fait mal. Puis je ris jaune, je recule, je tourne à nouveau les yeux pour le regarder, le laisser m'imprégner de son regard, son parfum, son tout. Alors que ça devrait être rien. « Vous êtes ivre, et vous aurez probablement oublié votre requête d'ici demain. Alors ça ira, merci. » Le ton est poli, mais mes yeux, ils parlent pour moi encore. L'amertume. La blessure qui devrait pas avoir lieu d'être. « Bonne soirée. » Dis-je simplement en regardant ses compagnons par dessus son épaule, au loin, avant de lui tourner le dos.

Peut-être qu’il n’était pas cohérent dans ses propos et que l’alcool était devenu son maître quand il n’était que sa marionnette, mais justement, ce n’était pas ce genre de breuvage qui libérait la parole et délivrait la vérité parfois coriace ? Il tenait mal sur ses jambes, elles étaient et à la fois, elles le portaient où il avait besoin d’aller et c’était devant Carson, l’air un peu trop imposant, puant le whisky à des kilomètres à la ronde. Luke ne voyait pas qu’il dérangeait, qu’il n’était pas dans son état normal. Pour lui, c’était juste sa jalousie mal placée qui parlait et son envie de dormir au pied du lit de la jeune femme pour la protéger des gros porcs comme ce soir-là. « Et… et si j’m’en rappelle ? Tu viendras ? » Il était malgré tout conscient que le lendemain, c’était samedi et que c’était le jour où il devait aller voir son fils à son match de foot, Luke Junior, mais il le louperait pour être un peu plus au contact de Carson. « Au faiiiit… ton ancien patron, il a pas laissé un… numéro de téléphone dans ton… répertoire ? Ou j’dois me… » Il sentait la bile lui monter, mais il prenait sur lui pour ne pas vomir. Rien de glamour ou quoique ce soit, il serrait les dents pour éviter d’en arriver là. «…où j’dois me faire tous les macs de la ville… ? » Et il sentait sa tête lourde, qui basculait, qui tombait ou qui se redressait trop vite. Il voyait la ville qui bougeait trop vite, alors qu’elle était vide, et il ne lâchait pas Carson des yeux malgré tout.

Il est ivre, plus que de raison. Un aveugle pourrait le savoir, rien qu'aux effluves alcoolisées qu'il me renvoie en se tenant si près. Trop près. A me demander un rendez vous, comme le ferait un adolescent. Sauf qu'après m'avoir tourné le dos aussi vite, tu crois que je peux te laisser faire volte face aussi facilement, Luke ? Ça se saurait, si la vie était si simple. Et pourtant, j'reste cette gamine en manque d'attention qui se perd, parfois. Surtout quand c'est lui, allez savoir pourquoi. J'le sens à mes paupières qui papillonnent, qui me trahissent malgré ma volonté de rester inébranlable, quand il maintient sa demande. Je baisse les yeux, je hausse une épaule. « Je sais pas. Peut-être. » Peut-être parce que j'suis sûre de rien avec toi. Devant n'importe qui, j'aurais déjà fait demi tour sans un mot. Et pourtant j'suis là, les mèches brunes balayées par le vent marin, les iris qui oscillent, entre le paysage et sa carcasse chargée d'alcool. Puis y a cette question. Mon regard qui se rétrécit, mes sourcils qui se froncent. « Qu..quoi ? » Ancien patron. D'où il sortait ça ? Pourquoi il parlait de ça ? Comment il savait ça ? où j’dois me faire tous les macs de la ville… ? Je fais un pas en arrière, immédiatement. La main qui se rattrape à la bordure de béton pour ne pas vaciller. « Qui t'a parlé de ça ? » Pourquoi tu parles de ça ? Pourquoi tu parles de lui, pourquoi tu veux aller faire le tour des macs en ville ? J'les poserai pas, mes questions. « Rentre chez toi. Ou peu m'importe où. » J'me casse. Un dernier regard, celui d'un putain d'animal effrayé, et j'le laisse planté là, tournant le dos pour retourner me barrer d'ici. 

C’était l’histoire d’une enquête qui durait depuis bien trop longtemps. Ce trou du cul qui s’amusait du corps des femmes, les faire s’utiliser pour des hommes sans cervelles qui payaient un prix minable. Un prix tout court, même. Et il avait eu les contacts de femmes, mais la seule qui avait retenu son attention, ça avait été Carson, aux pouvoirs envoûtants d’une princesse magique. Elle le fuyait, pourtant, après avoir paniqué par ses propos. C’était malsain, et il avait choisi les pires mots pour dévoiler une part de sa vérité. Parce que concrètement, qui était-il pour juger de ses passe-temps ? Puis de toute façon, l’alcool n’était-il pas le meilleur remède à l’hypocrisie dont il faisait preuve ? Alors quand elle prit la fuite, ses amis s’approchèrent de lui pour le soutenir, car il tombait presque debout. « C’était qui, Lucky Luke ?! Ta maîtresse ?! » Et ils rirent tous gras, avec de l’amusement et l’opposition à la gêne. Mais le flic, le chef surtout, il avait arrêté de rire. Parce que quand elle était partie, elle avait emporté avec elle une partie de ses envies futiles. Elle avait emporté la douceur qui apaisait un peu ses nuits saccadées par des cauchemars. Et putain, il avait vraiment déconné, Luke. Une deuxième fois. « Si vous saviez… » Une demi-vérité. Parce que spirituellement, il avait trompé sa femme plus de fois avec elle qu’avec toutes celles qui étaient passé dans les draps d’un vieux motel. Il ne considérait même pas ça comme de l’adultère. Par contre, oui, sentimentalement, c’était ça, la vraie infidélité. Quand il était en train de graver au fer brûlant les lettres C A R S O N sur les parois de son cœur. Et ça faisait mal parce que… et tout ressortait. Il vomissait tout son repas sur le bord de la route, le corps penché en avant et prit de soubresaut.