( quiet when i'm coming home and i'm on my own and i could lie, say i like it like that, like it like that. but nothing is better sometimes, once we've both said our goodbyes. let's just let it go, let me let you go. )
Tu es née à Florence, à l'orée d'une nouvelle saison, messagère de l'arrivée du printemps, dans la même demeure qui t'as ensuite vue faire tes premiers pas. L'absence de ton père ce jour-là était un avant-goût de son degré d'implication dans ton éducation à venir. L'avantage, c'est qu'il n'a jamais eu l'occasion de te donner le moindre faux espoir, tu as immédiatement appris à ne pas compter sur lui. Ta mère, quant à elle, n'avait pas prévu que tu arrives si tôt. Tous les préparatifs entamés depuis l'annonce de sa grossesse n'auront servi à rien, si ce n'est d'encourager son besoin irrépressible de contrôler ton existence. Tes premières respirations brûlaient tes poumons jusqu'alors inutiles, la lumière aveuglait tes ambres voilées par les larmes, l'air frais sur ta peau nue te faisait l'effet d'une caresse au papier de verre. Tu vivais tes premiers instants sur cette terre, pourtant ton destin était déjà tout tracé par celle qui venait de te donner la vie. Deux prénoms choisis depuis des mois et te voilà, Lucrezia Romina Strozzi.
Ton enfance s'est déroulée dans un calme oppressant. Petite fille, tu était très éveillée, curieuse, bavarde. Des qualités qui provoquaient l'appréhension de ta mère, à la fois fière de ces signes d'intelligence, et alarmée par ton indépendance précoce. Dans un désir de prévenir plutôt que de guérir, elle a rapidement œuvré à te conditionner pour faire te toi la fille parfaite qu'elle s'était imaginé avant ta naissance. Une jeune femme cultivée, ambitieuse, mais surtout obéissante. Tu as donc bénéficié d'une éducation millimétrée, rythmée par les cours de langue, d'économie, d'équitation et autres, mais également sensibilisée à toutes formes d'art. D'un point de vue strictement financier, tu n'as jamais manqué de rien. D'un point de vue émotionnel, c'est une autre histoire. Entre les exigences de ta mère et l'absence de ton père, tu n'as pas pu te construire de manière équilibrée. Ainsi, une fois majeure, tu as développé un irrépressible besoin d'indépendance, ce qui t'as poussée à faire des choix qui influeront directement ou non sur la personne que tu es devenue à ce jour.
Un jour tu as eu dix-huit ans. Quelques mois plus tard tu as passé ta
maturità, t'ouvrant de nouveaux horizons sur l'avenir, mais surtout des portes pour les écoles supérieures consciencieusement sélectionnées par ta mère. Jusqu'alors tu n'avais pas montré le moindre signe d'opposition envers elle et les projets qu'elle avait pour toi. D'ailleurs, tu aurait probablement accepté n'importe lequel des établissements qu'elle t'aurait présenté. Si tu ne l'avais pas rencontré lui. Un garçon, un mauvais garçon. Il était en tout point ton opposé, et c'était probablement la raison pour laquelle il t'attirait tellement. Cela ne lui a pas échappé et il ne lui en a pas fallu beaucoup pour te persuader de fuir avec lui pendant l'été. Il t'as convaincue de voler des bijoux et objets de valeur chez toi, la voiture de ton père et vous êtes partis. T'avais l'impression de vivre pour la première fois, tu te sentais invulnérable, t'étais persuadée que rien ni personne ne pourrait vous arrêter. En y réfléchissant, ces mois furent certainement les plus heureux de ton existence. Du moins, ils l'auraient été si cette virée ne s'était pas terminée de la façon dont ça s'est terminé. Après quelques semaines, le beau parleur a arrêté de parlé, pour finalement prendre la poudre d'escampette avec votre butin, te laissant seule sur une aire d'auto-route. Il t'a fallu plusieurs jours pour mettre ta fierté de côté et rentrer chez toi pour affronter la colère de ta mère. Celle de ton père également, à ta plus grande surprise. Mais, si la première t'en voulait d'avoir disparu, le second regrettait uniquement la disparition de son petit bolide. Cette fois-là tu as tiré une leçon fondamentale sur l'amour en général.
Après avoir mérité le pardon de tes parents, tu t'es pliée à leur volonté de te faire intégrer une grande école de commerce, dans le but d'un jour te voir reprendre les rennes de l'entreprise familiale : la parfumerie. Car si la famille Strozzi est une ancienne famille de la noblesse florentine, il leur a tout de même fallu remplir leurs comptes en banque d'une manière ou d'une autre. Tes aïeux ont opté pour l'industrie cosmétique, un choix qui te convient, du moins c'est celui qui te déplaît le moins. Tu as donc étudié trois ans le management et le marketing dans la très réputée école Bocconi à Milan, trop loin à ton goût de ta Toscane natale.
Puis t'es à nouveau venue l'envie de partir. Sauf que cette fois, tu fais les choses dans les règles. Tu exposes à tes parents ton projet de finir tes études aux Etats-Unis, et ils acceptent à l'unique condition que ce soit pour entamer une maîtrise à Harvard. Bien évidemment, tu acceptes dans la moindre hésitation. Harvard est un infime prix à payer pour ta liberté. Tu rejoins donc les bancs de la prestigieuse université dès la rentrée 2018, où tu choisis de te spécialiser en Administration et Relations Internationales. Tu emménages seule dans un appartement non loin du campus, à Cambridge et te renseignes même pour rejoindre une confrérie après le début des cours. Tu finis par te prendre au jeu, tu ressens même une pointe d'enthousiasme pour ce nouveau train de vie. Mais ce ne sont pas tant tes études qui te font vibrer, et d'avantage les secrets que tu ne tardes pas à élucubrer. Car si le jour tu joues les étudiantes et héritières modèles, la nuit tu vis une double vie. Tu fréquentes les bas-fonds, tu t'adonnes à des activités dangereuses et illégales. Courses de voitures, jeux clandestins débouchant sur divers petits larcins, tu te plais à t'inventer une vie différente de la tienne et te replonges dans la même adrénaline que les quelques mois d'aventure d'il y a quatre ans. Sans la dimension amoureuse et romantique, bien évidemment. Car cette trahison t'as laissée avec une roche à la place du palpitant.