Dans la vie, il y a deux catégories de gens : ceux à qui tout sourit et qui peuvent avancer sans embûches, aucunes, et ceux qui doivent se battre pour bâtir leur empire. Les Renfield étaient de la première catégorie, facilité, oisiveté, membres d’une sphère au-delà de la réalité, détenteurs de billets verts à outrance. Alen Renfield roulait sur l’or, il flambait et gagnait dans des casinos. Fils d’un magnat du pétrole, il dilapida bien vite sa fortune dans les jeux et le rejeton de l’empire Renfield devint le déchet des bas quartiers de Toronto. Humilié, rentier toute sa jeunesse, il ne savait que faire de ses mains à part empoigner la bouteille d’alcool qu’il empestait à longueur de journée. Delia, ô douce princesse capturée par l’ennemi du royaume, celui qui emprisonne et réduit en esclavage les plus grands. Pure parmi les damnés, naïvement croyait qu’avec un peu d’amour et de dur labeur, les choses deviendraient plus tendres. Doucereux mensonge qu’elle murmurait aux oreilles de Maya, l’innocente. Enfant d’un lion et d’une biche, pièce rapportée au milieu du babillage paternel et de l’hypocrisie maternelle. Elle travaillait Delia, nommée gouvernante pour trois gamins d’avocats, elle accorda de moins en moins de temps à demoiselle Maya qui se raccrocha à la seule figure qui s’intéressait un peu à elle, lorsque cette dernière était sobre…son père. Peu à peu, les jeux remplacèrent la bouteille et la nounou remplaça son mari par son employeur. Pliant bagages, elle oublia sans doute le plus précieux, Maya.
Les rêves d’une gosse sont nombreux et peuvent être brisés par les actions de ses pairs. Maman avait tout gagné car la déchéance gagna la désormais guère innocente lorsqu’approcha l’adolescence. Sans but dans un Toronto devenu terne, les deux rescapés des Renfield mirent les voiles et embarquèrent pour l’Amérique. Terre de tous les possibles, demeure des plus grands, aspirants à beaucoup. Alena avait trouvé un emploi, il bossait dans un bar mais ce sommaire travail leur assura un toit, de quoi nourrir et même des sorties, comble de la joie ! Il fallut un moment à l’homme pour se rattraper et s’il traitait parfois souvent sa fille comme une bonne copine dès qu’elle entra au collège, tout lui allait tant qu’il était présent. Mais un papa qui laisse trop de libertés à sa fille peut donner une fille dont la probabilité de se brûler les ailes approxime les cent pour cent. Touché, coulé ! Pari gagnant puisque ce qui suivit dévia de l’image édulcorée de l’adolescente ambitieuse et populaire.
Demoiselle dont les yeux ne se sont jamais clos face au danger, rivalisant d’ingéniosité pour frôler l’interdit. Elle n’était guère connue pour ses actions retentissantes mais pour son franc parler, ses crocs acérés, certains colportant des rumeurs toutes plus idiotes les unes que les autres sur Maya. Est-il vrai qu’elle aurait mis feu au bureau du proviseur ? Quoi qu’il en soit ses années lycées ramenèrent un semblant d’équilibre dans sa vie. Consciente de tous ses travers, elle n’attendait qu’une sanction, au pire une correction mais aucun rappel à l’ordre de son précieux père ne vint, était-il aveugle face au manque de repère de sa fille ? Alors, elle continua et son repère répondit au nom de Raleigh. Intouchable, ce n’est pas de cet homme-là qu’elle désirait se rapprocher mais quelque chose dans la façon dont il la regardait la fit se sentir vivante. Son cœur s’accéléra un jour, le sang battit à ses tempes un autre et plus tard, ils sortaient ensemble. Elle a toujours laissé planer le mystère, cultivant son indifférence mais si ses yeux sont faits pour voir l’Apollon qu’est Raleigh, ses sens ont toujours été plus intuitifs. Il avait lui aussi ce magnétisme qu’elle se plaisait à cultiver…ce magnétisme qui serait sien, ne pouvant appartenir à une autre. Les mots étaient faciles, glissant sur ses lèvres comme des caresses qu’elle lui offrait. Elle ne trompait ni ne devait attirer son attention, puisqu’elle l’avait déjà. Il sut lire en elle, dénouer les pièces pour recomposer ses secrets. La drogue l’aidait à voir cette autre vie, ce royaume où elle pouvait se réfugier quand la réalité perdait de ses couleurs. Monochrome de gris, elle lui préférait les teintes acidulées offertes par l’effet des stupéfiants. Cette licorne qu’un jour elle avait convoitée était devenue sienne au cours d’un rail. Comment vouloir garder les pieds sur terre après cela ? Il ne la dissuada pas d’arrêter Raleigh même s’il aurait peut-être dû.
A l’aube de ses seize ans, il fut difficile de récupérer de l’argent dans le portefeuille de son père sans que cela passe inaperçu. Il commença à se douter que quelque chose clochait mais Maya était incapable de se sevrer. Bonne cliente et d’ordinaire bonne payeuse, son dealeur lui fit crédit jusqu’à ce qu’il s’impatiente. Les avertissements commencèrent par quelques visites puis il se rendit sur le lieu de travail de son père et finalement, il coinça Maya dans une ruelle alors qu’elle rentrait des cours, un soir où l’azur avait décliné depuis peu. Elle eut beau faire la forte, ce soir-là, son regard n’offrait que l’angoisse et la terreur comme spectacle, reflets fugaces dansant dans ses orbes. Il la bouscula et sortit un couteau, la dissuadant de crier. Les choses s’enchainèrent rapidement, elle se débattit, reçut un léger coup sur la hanche mais fit tomber son agresseur qui pointait l’arme blanche vers elle. Sans lumière, ils trébuchèrent et le couteau se planta dans le torse de l’homme. Effrayée et sous le choc, elle ne resta pas dans les parages et courut, courut sans s’arrêter pendant plus d’une heure. Evidemment, on retrouva le corps de l’homme…mort. Il ne manquerait à personne mais il fallut un coupable. Les mauvaises nouvelles s’enchainèrent puisque Maya se retrouva enceinte, sans que cela soit désiré. Redevenant soudain l’enfant terrifiée et innocente qu’elle fut autrefois, c’est auprès de Raleigh qu’elle alla se réfugier, lui fournissant la vérité sans détour. Il fut présent et la protégea auprès des autorités sauf qu’elle le démolit, question de survie. L’enfant qu’elle portait ne pouvait briller dans ce chaos et elle se refusa à avorter. Elle enfonça son compagnon auprès des autorités et il fut envoyé en maison de redressement, maison où elle ne mit jamais les pieds, ayant fui le pays. Son père rentra dans une rage telle qu’il la congédia. Seule, sans repères, c’est vers son serpent de mère qu’elle se tourna, trop heureuse d’aider sa fille dans la tourmente, l’accablant de ses mots mais l’aidant par profit. Ayant refait sa vie avec son employeur, les enfants de ce dernier n’acceptaient guère leur belle-mère et elle était dans l’incapacité d’enfanter à nouveau. Ainsi, elle vit là l’aubaine parfaite. Elle fit en sorte que sa fille reprenne ses études dans un lycée de Toronto puis à l'université et ait moins de temps pour s’occuper de son enfant, une autre demoiselle blonde. Peu à peu, l’enfant confondit mamie et maman et, si Maya ne s’évadait plus en se droguant, n’ayant plus rien consommé depuis l’annonce de sa grossesse, sa mère la poussa à partir, à s’essayer à sa passion, les planches.
Maya voyait très bien que sa précieuse serait plus heureuse au sein du foyer créé par sa grand-mère qu’auprès de sa mère déviante. Ainsi, elle accusa le coup et partit, écumant quelques rôles dans des pièces jouées à Boston, ville de ses premiers émois, il y a 3 ans. Néanmoins, son impulsivité ne lui valut pas que des critiques positives et, à l’oraison de ses vingt-six ans, Maya décide de faire ce qu’elle sait le mieux, prendre le large. Direction Harvard, guère très loin du théâtre, l’université où elle a laissé filer ses rêves d’antan, après avoir accepté un poste d’assistante. Mais que sait-elle de la vie là-bas ? Et sa fille qui lui rappelle chaque instant son père, n’aurait-elle pas dû faire partie du voyage du haut de ses neuf ans ? Peut-être que le continent américain et notamment Harvard parviendront-ils à démêler le chaos de sa vie ?