16 Septembre 1994. Je n’étais pas encore née que tout un peuple m’attendait. Imaginez cette célèbre dynastie américaine, dans laquelle je faisais une entrée fracassante. L’élite du monde. Quelle chance penseriez-vous. Et pourtant… Mon père, John Fitzgerald Kennedy Jr. « prince » chéri des Etats-Unis d’Amérique, plus beau parti de la ville et promis à un grand avenir politique. Ma mère, Carolyn Bessette, un mannequin New-Yorkais à la prestance d'une aristocrate, m’avaient mise au monde en cette pluvieuse journée de Septembre.
J’étais choyée. Notre penthouse avait vue sur Madison avenue et la 78ème. Gardes du corps, majordomes, nourrices, précepteurs étaient à mon service alors que je n’avais encore l’usage de la parole pour leur donner mes commandements. J’étais très entourée et très seule à la fois. Je me revois encore jouer à la dinette dans une chambre bien trop grande pour mon petit corps. Fille unique, mes parents n’eurent jamais le temps de me donner un petit frère ou une petite soeur.
16 Juillet 1999.J’ai quatre ans et demi et il est dix-neuf heures. Le mariage. Maman et sa soeur Lauren étaient en retard. J’étais avec papa et nous les attendions à bord du jet. Habillée d’une robe baby Dior, serre tête en perles d’eau douce sur la tête, je lisais tranquillement le nouveau livre sur les astres que papa m’avait acheté plus tôt. Il était avec son énorme téléphone noir avec une antenne, en ligne avec maman je crois. Il avait l’air nerveux et regardait le temps qu’il faisait par le hublot. Ce soir, il allait être notre pilote ! J’étais contente, et j’étais pressée de retrouver mes cousins Alek et Hope au mariage. Maman arrivait enfin avec tatie Lauren. Papa et maman se chamaillèrent un peu mais finirent par se faire des bisous. Elle m’attachait près d’elle un peu plus tard. « Maman, on va vraiment voir Hope et Alek tout à l’heure ? » Impatiente, je sautillais sur mon siège. « Oui petit coeur, mais seulement si tu me laisses attacher ta ceinture. » Maman était belle ce soir. Elle avait attaché sa chevelure blonde en chignon et portait une longue robe moulante noire un rouge à lèvres rouge et un collier de diamants. Je voudrais être comme elle plus tard. Nous décollions. Une fois dans les nuages, je me levais retrouver papa pilote. Il avait vraiment l’air nerveux. Je crois que c’était à cause des nuages. On y voyait rien. « Eleanor chérie, il faut que tu retournes t’attacher. » Je courrais voir maman trainant mon ours brun partout avec moi. « Maman ! Maman ! Papa dit qu’il n’y voit rien dehors, peut-être qu’il faut que tu l’aides à faire le pilote ? » Maman laissait tatie et rejoignait papa nerveuse également. Il était près de vingt-deux heures. Je les rejoignais avec Lauren, papa étaient en train de perdre le contrôle. Il essayait de ne rien transparaitre, mais je le voyais. Il me somma de retourner m’asseoir une seconde fois. Maman me pris dans ses bras et m’attacha sur mon siège, l’air un peu tracassé. Au même moment, de grosses turbulences la projetèrent contre le siège d'en face. « Maman ! » criais-je tout en essayant de me redresser. « Carolyn ! » cria tatie Lauren. Maman se releva et s’empressa de s’asseoir près de moi, jetant un regard apeuré à sa soeur. Je l’avais vu. Nous pouvions entendre papa tenter de communiquer avec des gens avec une sorte de téléphone. Il criait lui aussi. Tout le monde criait. Je commençais à paniquer doucement, regardant partout autour de moi, mais maman me serra dans ses bras. Je sentais qu’elle avait très peur elle aussi. « Chérie, tout va bien, tu es bien attachée, nous sommes presque arrivés. » me glissait-elle à l’oreille, la voix tremblante. Je serrais mon ourson entre mes petits bras. Nous perdions de l’altitude et je commença alors à crier alors que mon ourson fut à son tour projeté à l’autre bout de l’appareil. « On a pas attaché Charlie ! » Je me mis à pleurer. J’avais l’impression que mon coeur courrait partout lui aussi dans ma poitrine. Une nouvelle turbulence. Maman me serra davantage dans ses bras tandis que papa qui avait abandonné l’avant du jet, courrait s’attacher à son tour près de nous. Lauren a l'air de s'être endormie. Je me retrouve entre eux deux. Il me serrent fort alors que le jet à l’air de faire ce qu’il veut. Il nous balance dans tous les sens, bien que nous soyons attachés. J’ai l’impression que nous sommes en chute libre, mais l’avais compris dès le début. Je panique fort, mais reste silencieuse, apeurée, terrifiée. Je réfugie ma tête entre les bras de papa et maman qui me chuchotent chacun leur tour qu’ils m’aiment. Je ferme les yeux. On va trop vite ! Je crie …
27 Octobre 1999. Rester soudés, en famille. Je n’avais pas pu assister aux funérailles de mes propres parents mais l’Amérique entière si. Et elle était désormais braquée sur moi, malgré les précautions de ma famille. Ca leur faisait une bien belle histoire tragique. J'étais l'héroïne d'un film dont je ne connaissais même pas le nom. Néanmoins, je continuais ma vie d’enfant, presque comme si de rien était. Scolarisée au Lycée Français de New York, je gardais les mêmes nourrices, majordomes et précepteurs afin de ne pas me traumatiser davantage. Je n’étais pas une enfant si horriblement malheureuse, juste complètement perdue. Je crois que j’étais bien trop jeune pour comprendre toutes les subtilités de la perte, du vide. J’étais très réservée, ne parlait pas. Inquiets, le clan Kennedy me fit faire des tests. Une autiste dans la famille ? Non, un génie. 140 de quotient intellectuel. Le fait de le savoir ne changea en rien mes habitudes. Je demeurais curieuse, d’astronomie notamment, prétendant d’ailleurs vouloir devenir une astrophysicienne de renom, une fois adulte. Ce n’était pas dans les plans des Kennedy.
12 Aout 2010. Devenant au fil des années une jeune femme respectable, empreinte des conventions, d’éducation et des bonnes manières, ma famille me préparait petit à petit à mon entrée dans la société. Tout le monde ne voyait en moi que l’héritage que des fantômes avaient laissé derrière eux. Je ne savais pas tellement si cela me dérangeait, mais commençant à développer un attrait pour la vanité, l'opulence et le faste, je profitais de chaque situation, même si je ne pensais pas être en accord avec. Les soirées mondaines se succédaient, toujours entre dynasties. Je savais que c’était encore un prétexte pour nous faire nous acoquiner entre jeunes adultes en vue de futurs mariages arrangés, et tout cela me laissait de marbre. Je ne faisais aucun effort pour séduire, si ce n’était que ma maniaquerie maladive pour l’art de faire bonne figure. Après tout nous avions été biberonnés à ça, nous, élite de ce monde, futurs dirigeants de pays. S’il savaient à ce moment là quels troubles mentaux me rongeaient, ils auraient tout fait pour m’écarter du « trône américain », je ferais probablement la "reine" la plus cynique et antipathique que le monde ait connu jusque là. Cependant, je ne disais pas non. Je me plaisais de plus en plus à me sentir comme une bombe à retardement.
18 Juillet 2012. Depuis l’intérieur de ma limousine, j’observe chaque coin de rue de Boston. je n’y avais pas mis les pieds depuis ma dernière visite à Harvard, mais cette fois-ci, j’adoptais cette ville, ou plutôt cette ville m’adoptait. Mon majordome et ma nourrice déménageaient avec moi mais étaient arrivés un mois plus tôt afin de superviser les travaux de mon penthouse. Etant une première année j’habitais à l’intérieur du campus, mais j’avais besoin d’un endroit à moi pour le week-end. Et puis à quoi cela servait d’être une Kennedy si je ne pouvais pas avoir quelques traitements de faveur de la part d’une université qui profitait de grosses donations de la part de ma famille ? Je me posais tout un tas de questions. Quel genre de personnes j’avais envie de devenir ? Qui étais-je réellement au fond ? Moi qui n’avait jamais pu déceler la moindre lueur de bonté dans ma personne, l’hypothèse la plus plausible devenait Reine des glaces. Semer la terreur ? Non, j’étais bien plus subtile que ça …
28 Novembre 2012. Le bal des débutantes. J'ai dix-huit ans et je fais enfin mon entrée en tant qu'adulte dans la société, au Crillon à Paris. Mes tantes et oncles sont présents ainsi que toute l'élite du monde entier venu présenter leurs filles. Princesses, filles de, toute l'intelligentsia réunie. Vêtue d'une robe Lanvin, je porte le collier de perles de ma grand-mère, Jacquie. J'ai pour cavalier un stupide héritier du trône de Belgique, mais il fera l'affaire, il est bien plus beau que celui des autres, et ma vanité est telle que je n'adresse la parole à aucune des filles, si ce n'est de leur lancer mon légendaire regard de glace rien que pour les intimider. Ca me fait rire intérieurement. En descendant les escaliers, je marche exprès sur le satin de la robe d'une d'entre elles, juste pour la voir se rétamer. Mon coup réussi, on s'empresse de l'aider à se relever, étourdie, elle n'a pas vu que j'étais la cause de son humiliation. Plus tard dans la soirée, le bel idiot qui me sert de cavalier me somme de le rejoindre dans une des loges pour me parler. Un peu naïve, j'acquiesce, ma coupe de champagne à la main. Nous discutons et remarque qu'il n'est pas si idiot que ça finalement. Peu à peu, la tension commence à se faire, et moi qui suis toujours vierge, ne tiens certainement pas à perdre ma vertu d'une façon aussi prévisible que dans la bibliothèque du Crillon. Ses lèvres s'approchent des miennes, je laisse tout de même faire. C'est agréable. Mais lorsque je sens glisser le tulle de ma robe le long de ma cuisse sous ses doigts, j'attrape son poignet, et lui demande d'arrêter là. Il continue et les choses vont de plus en plus vite. En moins de deux secondes, je me retrouve sur le tapis, j'ai perdu une Manolo ainsi que le contrôle. Je profite de sa seconde d'inattention alors qu'il déboutonne son pantalon pour lui foutre un coup de poing, le rubis que je porte au majeur lui fait saigner l'arcade. Je me relève sans un mot, remets mon escarpin et sort tranquillement la pièce avant de quitter le bal en catastrophe. Arrivée chez moi, je ne tremble pas, je réalise ce qui aurait pu se passer, mais ne bronche pas. Fatiguée de mes émotions si rudimentaires, j'attrape une bouteille de whisky douze ans d'age et la fracasse contre le miroir qui trônait fièrement au dessus de la cheminée de ma chambre, et me met à crier, aussi fort que je peux, si cela peut aider à libérer quelque chose resté coincé en moi à mes cinq ans. Le désespoir de retrouver cette enfant à nouveau me fait enfin pleurer. Et je me mets à rire, étonnée moi-même de verser enfin des larmes. J'aurais bien été tentée de prendre le reste de bouteille cassée pour voir si j'arrive à ressentir de la douleur, mais ma philosophie du "mon corps est un temple" m'empêcher de me faire toute scarification... pour l'instant. Je jette le reste de bouteille au pied de mon lit à baldaquin et me laisse tomber dessus, engouffrée dans ma robe, le regard plongé dans le vide astral de mon lointain plafond. Je me sens moins vide qu'avant.
17 Juillet 2018. Je me rétablie tout doucement. De ma tentative, du départ de Franklin, de ma séparation avec Alejandro. J'avais besoin de partir un peu. D'Harvard, de Cambridge, de me reposer à New York. Noah avait tout organisé afin que la presse n'en sache rien, étouffer l'affaire. Une future présidente avec des problèmes psychologique, ça fait moyen. Mais j'avais envie de revenir. Reprendre le cours de ma vie. Et surtout comprendre la raison de cet appel. Quelqu'un m'avait dit m'avoir vue à Harvard, je n'y étais pas. Il m'avait alors envoyé une photo de cette fille, qui me ressemblait comme deux gouttes d'eau. Il fallait que j'en sache plus sur elle.