STORY OF MY LIFE
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Tu détestes parler de ton passé. Tu es quelqu’un qui essaie toujours de voir plus loin, de faire des projets, alors repenser à ton passé... c’est difficile et tu as l’impression de reculer plutôt que d’avancer. Mais puisqu’il le faut! Tu es née à Brooklyn, seul enfant de tes parents, heureusement. Ils n’étaient pas trop présents, en réalité, même s’ils ne bossaient pas beaucoup, c’est qu’ils se fichaient de toi. En effet, peu d’argent rentrait dans la maison, juste pour vous nourrir chacun et mettre un lit dans ta chambre. On pourrait dire que ça t’a rendu autonome assez jeune et que surtout, ça t’a créé une bonne carapace. À partir de là, tu savais que tu devais t’en créer une afin de te protéger du monde extérieur qui ne serait clairement pas facile. Malgré cela, tu étais un enfant très social. Tu allais parler à tout le monde, mais tu ne leur faisais pas confiance pour autant. Puis tes parents ne voulaient surtout pas que tu parles de ta condition à la maison, enfin à l’appartement qui était plutôt sale. Alors tu faisais semblant de vivre sur un nuage et tu t’amusais même parfois à t’inventer une autre vie. Sauf qu’en grandissant, pour que tes histoires concordent, il te manquait pas mal de choses. Tu n’avais pas les mêmes vêtements que les autres, pas le dernier accessoire à la mode. Tu as donc commencé à faire de petits vols, puis de plus grands. Jusqu’à ce que tu te fasses prendre la main dans le sac comme on dit et qu’on ait voir tes parents. C’est à ce moment-là que les services sociaux se sont rendu compte des conditions dans laquelle tu vivais, autant physiquement que mentalement. Physiquement, tu mangeais certes, mais au strict minimum. Et mentalement, tu ne recevais tout simplement aucun amour de la part de tes parents, ce qui faisait que tu étais plutôt froide. Tous ces manques avaient fait que tu t’étais concentrée sur autre chose pendant tout ce temps, comme les études. Tu avais les meilleures notes de ta classe. Ils te sortirent toutefois de ton milieu familial, pour te placer dans une famille d’accueil. Tu étais jeune, mais tu te disais que si tu n’allais pas vivre avec tes propres parents, tu n’allais certainement pas vivre avec d’autres gens, des inconnus. Tu as donc fait plusieurs fugues avant qu’on t’envoie en centre. Là-bas, tu étais avec d’autres filles de ton âge et c’est certainement l’endroit qui a le plus forgé la personne que tu es. Vous alliez à l’école à l’interne, mais vous développiez ensemble des trucs pour avoir tout ce que vous vouliez, matériel tout d’abord, puis par la suite physique. C’est là que tu as découvert les joies du sexe, autant avec les hommes qu’avec les femmes. En vivant en unité avec ces dernières, c’était le plus facile, le plus accessible. Heureusement, à 16 ans, tu as pu te trouver un boulot à l’extérieur. Ça t’a permis d’avoir plus d’argent, mais de tomber dans la drogue. En fait, c’est qu’alors que tu cherchais un boulot dans des restaurants ou des boutiques, c’est le propriétaire d’un bar qui t’a repéré. Puisque tu avais une gueule d’ange à cette époque, il pouvait te faire tous ses boulots qu’il souhaitait cacher et de ton côté, tu étais payée sous la table. Tu as bien remarqué que ton charme pouvait grandement t’aider dans tes ventes et tu as donc développé des techniques rapidement pour augmenter cela, ce qui rendait ton boss très fier d’ailleurs. Tu devenais une jeune femme et tu utilisais tes atouts. Tu as fonctionné comme cela jusqu’à tes 18 ans. À ce moment-là, tu fus «libre», enfin en dehors du centre. Tu avais assez d’argent pour te payer un appartement, mais toi qui vivais avec des dizaines de filles depuis des années, tu ne voulais pas te retrouver seule. Tu as donc demandé à ton boss des contacts, ce qu’il t’a donné. Il t’a dit qu’il avait des amis qui accueillaient des gens à court terme chez eux. C’était parfait, tu voulais te faire un réseau pour par la suite t’installer quelque part vraiment. Ce qu’il ne t’avait pas dit, c’est que ses amis demandaient quelque chose en retour de ce toit sur ta tête. Tu l’as bien vite compris alors que le premier soir, un homme est entré dans ta chambre. Alors que tu criais de surprise, il se déshabilla et vint te retrouver dans ton lit. La suite, vous la devinez. Et ce n’était que le début… Tu fus déplacée dans une autre ville pour que tu perdes tes repères, obligée de consommer, ce qui leur facilitait probablement la tâche par la suite. Tu devins rapidement accro à des drogues dures, mais surtout, prostituée. Tu as mis des semaines à essayer de t’échapper, à essayer de trouver quelqu’un pour te sortir de là… jusqu’à ce que ton client ne soit pas un homme en manque de sexe, mais un policier enquêtant sur ce réseau de prostitution. Tu étais sauvée, ou en tout cas, sortie de cet enfer. Tu étais encore dépendante et déchirée par l’humain. Toi qui avais déjà de la difficulté à faire confiance aux gens! Tu ne te voyais aucunement retourner à New York, c’est à ce moment que tu débarquas à Boston, grande ville où tout le monde ne connait pas l’histoire de chacun, mais qui semble sécuritaire. Tu t’installes dans un petit appartement et bosse comme serveuse dans un bar au centre-ville. Ce n’est pas cela qui t’éloigne du monde de la consommation, mais tu t’efforces de te montrer force, de faire croire aux autres qu’il est impossible de te contrôler. C’est à ce moment-là que tes habitudes d’adolescentes revinrent. Toujours rusée et un peu arnaqueuse, tu fus rapidement la meilleure serveuse de l’établissement, profitant de ton corps de femme et ton attitude de charmeuse pour convaincre les clients. Tu avais l’impression d’avoir du pouvoir sur ta vie, mais tu travaillais toujours sur ta compréhension de l’autre pour pouvoir t’améliorer. C’est à ce moment que tu eus envie de retourner aux études. Tu avais lâché ça à 18 ans, mais à présent âgée de 20 ans, tu te disais que tu n’allais pas travailler dans un bar toute ta vie. C’est là que tu choisis de postuler en psychologie dans plusieurs universités, dont Harvard. Tout le monde autour de toi te disait que c’était absurde, mais avec tes notes fortes et ton entrevue que tu maitrisas, tu fus finalement acceptée! C’est avec un peu de retard par rapport aux jeunes de ton âge que tu commenças en psychologie, avec une mineure en comptabilité. L’argent avait toujours été une obsession pour toi et cela ne changeait pas. Puis si tu voulais partir à ton compte un jour, cela t’aiderait certainement. Tout semblait bien aller par la suite. Tu étudiais, tu avais des bourses et tu continuais à bosser. Tu avais réussi à diminuer ta consommation et à te créer un cercle d’amis envers qui tu pouvais faire confiance. Niveau relation, tu n’as jamais appris à développer autre chose qu’une sexuelle. Et pas qu’une, plusieurs à la fois. Tu es comme cela, accro du sexe comme on peut dire, mais cela t’a apporté une nouvelle des plus marquantes il y a de cela bientôt 2 ans. Après plusieurs symptômes qui te terrifiaient complètement, tu te résignas à aller chercher un test de grossesse qui se révéla positif. Tu ne savais même pas de qui et dans le fond, tu ne voulais pas savoir. Dans tous les cas, tu n’avais pas de relation avec le père, et tu ne voulais pas être prise avec lui pour le reste de ta vie. C’est donc avec un «père inconnu» sur son certificat de naissance qu’Anna, comme la fille de Freud, est née en février dernier, te faisant manquer ton année complète à l’université. Vous devinez que cela n’a pas été des plus simples. Tout d’abord, tu as dû devenir sobre du jour au lendemain, en plus de quitter ton emploi. Tu as perdu tout ce que tu connaissais depuis tes années et tu as sombré dans une petite dépression, jusqu’à la naissance d’Anna. C’est elle qui t’a rapporté le sourire et la motivation. Après avoir passé l’été en entier avec elle, tu es retournée à l’école à l’automne. Les choses étaient toutefois bien plus compliquées. Tu as dû te prendre un appartement plus grand, avec deux chambres, tu devais payer toutes les dépenses d’un bébé, sans l’apport d’un père, en plus des frais scolaires. Tu avais peut-être une bourse, mais tu dois avouer qu’à la fin du mois… tu n’arrives pas. Tu vas devoir te trouver un travail bientôt, mais avec un bébé, tu trouves cela absurde de toujours devoir la faire garder, alors qu’elle passe déjà ses journées à la garderie. Tu retournes donc dans ce que tu connais, c’est-à-dire de petits boulots, de petites escroqueries. Après tout ce que tu as déjà fait, plus rien ne te fait peur. Si tu as besoin de te dénuder et faire une pipe pour pouvoir terminer le mois avec encore de la nourriture sur la table, tu le feras. Tu tiens tellement à Anna. Tu dois avouer que ta plus grande crainte est que les services sociaux te la retirent. Tu as déjà vécu ce processus et tu ne veux surtout pas qu’elle vive la même chose. Alors peut-être que tu n’es pas la meilleure mère, mais tu fais tout ton possible pour lui offrir les meilleures conditions pour grandir, à tes côtés.