( you break me down, you build me up, believer. oh let the bullets fly, oh let them rain, my life, my love, my drive, it came from pain, you made me a believer )
October 2008 - New-York, USA.
Les rires dans ton dos, les regards menaçants, les coups de coudes en pleine foule. T'as jamais rien fait pour mériter ça, pourtant c'est ton quotidien depuis plus d'un mois. Depuis que t'as invité Grace Dickson à dormir chez toi après l'école. Ce soir-là, elle a rencontré ta mère, la tristement fameuse Eleanor Shelby. Une femme respectable, dont les apparitions publiques se sont soudainement faites de plus en plus rares, jusqu'à ce qu'un jour plus personne ne puisse se souvenir de son visage en mentionnant son prénom. Un fantôme, une chimère, une énigme. Une source de commérages mal assumés. La vérité, c'est que ta mère elle est malade, et ça n'a pas échappé à la petite Grace. Quand t'y réfléchis bien, tu admets que c'est le lendemain de sa venue que les insultes ont fusé. Dingo, tarée, dégénérée. Maintenant, t'as la boule au ventre chaque matin en laçant tes lacets rien qu'à l'idée de devoir affronter une nouvelle journée. T'aimerais qu'aujourd'hui soit différent, mais t'as trop souvent joué les malades imaginaires pour éviter ton calvaire. Le regard larmoyant, tu supplies silencieusement ton père de te protéger avec la même force que lorsqu'il défend ses clients, mais c'est déjà trop tard, il t'as déjà tourné le dos, le nez plongé dans ses dossiers. T'es seule face à l'adversité. Tu l'as toujours été. T'as beau avoir un père, une mère et un frère, ils font déjà face à leurs propres problèmes. De toute façon, t'as toujours été la plus solide, t'as réussi à t'en convaincre. Le poids de l'angoisse s'ajoute à celui de ton sac à dos sur tes frêles épaules, et t'as besoin de quelques secondes pour t’insuffler un peu de courage avant d'enfin ouvrir la porte d'entrée. Les paupières plissées, éblouie par la luminosité de l'extérieur, tu ne reconnais pas immédiatement cette silhouette qui se dessine lentement dans ton champs de vision.
« Allez poil de carotte, on va être en retard. » qu'elle te lance avec son éternelle nonchalance. Elle arrive à t'arracher un sourire et à te faire sortir de ta tanière. Sa simple présence suffit à balayer tes doutes et tes prédateurs. Ronnie, ta soeur de coeur, ton ange gardien. L'ultime rempart entre toi et le reste du monde. Vous avez grandi ensemble, ses papas étant des amis de longue date de tes parents. C'est au sein de sa famille peu conventionnelle que t'as réussi à trouver un semblant d'équilibre, n'en déplaise aux plus conservateurs.
( you break me down, you build me up, believer. oh let the bullets fly, oh let them rain, my life, my love, my drive, it came from pain, you made me a believer )
February 2014 - New-York, USA.
Les yeux baissés sur le bout de tes chaussures vernies, tu traverses les couloirs de ton école en direction de ton casier. Aujourd'hui c'est la Saint-Valentin et t'as quinze ans. Autant dire que c'est la journée la plus compliquée de ta vie. La journée où la solitude est particulièrement difficile à supporter, où t'es tiraillée entre ton ego pragmatique et l'espoir illusoire que tout puisse changer aujourd'hui. Ton coeur s'est emballé à chaque fois que t'as croisé son regard depuis ton arrivée ce matin. Tu réalises d'ailleurs que c'est la première fois qu'il te regarde vraiment, il t'as même souri pendant le cours de chimie. Nate occupe tes pensées depuis deux ans maintenant, depuis qu'il a apporté sa guitare en cours pour parler de sa passion devant toute la classe. Toi t'avais fait un exposé sur la reine Victoria, un flop total. Bref, t'es amoureuse de lui, et comme toute adolescente qui se respecte t'espère qu'il vienne te déclarer sa flamme aujourd'hui. T'as beau avoir imaginé la scène des dizaines de fois dans ton esprit, t'arrives quand même à être étonnée lorsque le petit mot tombe à tes pieds en ouvrant la porte du casier. Par réflexe, tu le rattrapes vite avant que quelqu'un ne te le prenne, puis tu jettes un coup d'oeil autour de toi, afin de vérifier que personne n'ait vu la scène. Puis, les mains tremblantes, du déplies le papier et découvres le mot d'amour signé par Nate. Tu dois te mordre la lèvre pour ne pas hurler la tête dans ton casier. Si Ronnie était là, elle te dirait que t'es hystérique et qu'on a pas besoin des mecs pour être épanouie. Une chance que Ronnie ne soit pas là. Dans son mot, Nate te donne rendez-vous à 14h sous les gradins du terrain d’athlétisme. Certainement pour te déclarer sa flamme. C'est encore mieux que n'importe lequel des films romantiques que t'as l'habitude de voir les samedis soirs, parce que là, c'est la vérité, et c'est toi l'héroïne. Tu passes donc les deux prochaines heures à rêvasser, à sourire bêtement, à attiser la curiosité de Ronnie qui te demande quelle mouche t'as piquée. Mais tu restes silencieuse, soucieuse de protéger ton petit secret. Manquerait plus qu'elle veuille venir avec toi à 14h. T'as pas envie de passer pour la coincée qui demande à sa meilleure amie de l'accompagner à ton premier rendez-vous romantique. Tu finis par te rendre au lieu de rendez-vous, prétextant devoir aller aux toilettes avant le prochain cours. T'as le coeur en folie, le feu aux joues, la bouche sèche, les mains moites. Tu redoutes la crise cardiaque, mais il n'en est pas question. Pas avant d'avoir vu Nate, d'avoir entendu ce qu'il a à te dire. Sous les gradins, t'aperçois finalement sa silhouette, et un sourire gêné sur son visage. Serait-il aussi stressé que toi ? C'est ce que t'espères, mais tu comprends qu'il n'en est rien lorsque des rires parviennent jusqu'à tes oreilles. Une dizaine de personnes sortent de leurs cachettes sous ton regard désespéré. Nate murmure un "désolé", à peine audible, recouvert par les moqueries des autres. C'était donc un piège. C'est la première fois qu'on te brise le coeur. Heureusement, tu réagis assez vite pour t'enfuir avant que quiconque ne puisse remarquer tes yeux qui se voilent de larmes. Tu retournes en cours comme si de rien n'était et restes silencieuses quand Ronnie te demande pourquoi t'es en retard.
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April 2016 - New-York, USA.
Tu observes ton frère en silence. Perplexe. Parfois t'as l'impression de faire face à un inconnu. Où est passé le petit garçon que tu as jadis connu ? Qui est ce jeune homme tourmenté, assis de l'autre côté de la table ? Un jour, tu t'es réveillée, et tu as réalisé que Dean avait changé. Il avait troqué son innocence pour de la colère et un profond désespoir. Il ne riait plus à tes blagues, il ne se confiait plus à toi. Tu l'avais sûrement déjà remarqué avant, mais tu avais mis ça sur le compte de l'adolescence et maintenant t'en viens à regretter de lui avoir laissé tant d'espace, car t'as l'impression de l'avoir perdu. Depuis combien de temps n'as-tu plus entendu son rire résonner dans les couloirs du manoir ? Et je parle d'un vrai rire, le genre de rire qui vient du coeur, et non ce cynisme dont il fait preuve devant toi lorsqu'il a bu. Car il boit beaucoup Dean. Il fume par mal aussi. Il se réfugie dans ses addictions, incapable de communiquer sur ce qu'il ressent. De toute façon, t'es pas prête à l'écouter. Toi aussi tu as tes démons, mais contrairement à lui, tu gardes la tête froide. Dans le fond, tu veux sûrement pas voir sa souffrance, parce que t'as déjà assez de mal avec la tienne. Dean, tu le trouves lâche et égoïste. Et ça penseras de la sorte, jusqu'au jour où tu accepteras sa détresse. Bientôt, il ira trop loin dans ses excès et tu te verras le perdre pour de bon. Ce soir, Dean va sortir et il rentrera pas. Il finira à l'hôpital et tu n'entendras à nouveau sa voix que dans un mois, et là tu lui diras :
« Dean, parles-moi. ». C'est tout ce que Dean a toujours voulu. Qu'on l'écoute, qu'on lui prête de l'attention. Les Shelby se sont quatre inconnus vivant sous un même toit, étouffés par la fierté et les non-dits. Il n'y a plus d'espoir pour vos parents, mais pour toit et Dean tout n'est pas perdu.
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December 2017 - New-York, USA.
De retour à New-York pour les fêtes. T'as l'impression d'être une inconnue dans ta propre maison. T'y es pas retourné depuis si longtemps que t'avais presque oublié comment c'était. Le silence assourdissant, de ton père, de ta mère, de ton frère. Toi t'as changé, mais ici rien n'a bougé. Après un épisode dépressif, t'as passé l'été dernier en hôpital, avant de partir étudier en pensionnat en septembre. Probablement la meilleure décision de ton père concernant ton éducation. Loin de New York et de tes anciens bourreaux, t'as pu te reconstruire, repartir de zéro. Le seul inconvénient ? Ronnie. Là-bas, pas de téléphone portable, les étudiants sont coupés du reste du monde jusqu'à leur retour en société. C'est pas plus mal, mais du coup t'as pas eu de nouvelles de ta meilleure amie depuis quatre mois. C'est long quatre mois. Mais pas assez pour vous séparer. Dans le train du retour, t'as eu le temps de parler un peu avec elle, prévoir vos retrouvailles. C'est drôle, c'est la première personne que t'avais envie de revoir. Ta famille attendra le repas de ce soir. Tu poses ta valise dans ton ancienne chambre et prends le temps de pendre soigneusement ton uniforme avant de dévaler l'escalier de la demeure en direction de la porte d'entrée. En chemin, tu passes devant le bureau de ton père, dont tu aperçois la silhouette penchée sur son bureau. Puis la chambre de ta mère, toujours plongée dans l'obscurité. Celle de ton frère, en train de jouer aux jeux vidéos. Et t'entends Ronnie par la fenêtre du couloir, qui s'impatiente de te revoir. Non, rien n'a changé.
( you break me down, you build me up, believer. oh let the bullets fly, oh let them rain, my life, my love, my drive, it came from pain, you made me a believer )
November 2018 - Cambridge, USA.
Harvard, un rêve de gamines. Une décision prise avec Ronnie il y a quelques mois, lors de ton premier retour de pensionnat. Une étape cruciale dans vos vies, l'instant où vous prenez votre envol. Vous décidez de prendre un appartement ensemble, après une année de séparation. Tu décides d'y étudier l'architecture et l'histoire. Vous avez commencé les cours depuis quelques semaines, mais pas encore de confrérie à l'horizon. C'est quelque chose qui te tente, t'as envie de mettre tes années de harcèlement scolaire derrière toi, et enfin devenir une élève sociable. Au pensionnat, t'étais beaucoup restée dans ton coin, même si t'as jamais eu de mauvais rapports avec les autres élèves. Depuis, t'as mûrit, tu sais ce que tu veux. Ou du moins ce que tu ne veux pas. T'es pas pour autant crédule, tu gardes des séquelles de méfiance, mais t'as envie d'aller vers les autres. Tu veux recevoir l'approbation générale, te sentir à ta place pour une fois dans ta vie. A la maison, ça semble aller mieux, ou du moins tu as réussi à te détacher de cet environnement toxique. Dean prend sa vie en main. Ta mère est toujours malade, mais t'as appris à l'accepter. Ton père quant à lui, a admit être fier de toi. A demi-mots, certes. Mais tu sais qu'il ne te donnera pas plus, et tu vis avec. La vérité, c'est que tout semble aller bien pour toi. Peut-être un peu trop bien. Parfois, tu te réveilles en te demandant quand est-ce que tout va basculer. Tu sais que rien ne dure, surtout pas le bonheur. Avec toi, c'est des hauts et beaucoup de bas, alors t'as un peu de mal à profiter du peu qui t'es donné.