HARRY P. DARCY ► hugh dancy

Dans le train qui l'éloignait de son Ecosse natale, Harry ne pouvait s'empêcher de penser aux siens. A ce qu'il avait perdu. Tellement et si lointain à la fois. Il avait mis près de deux ans avant de se décider. Les voyages faisaient partie de sa vie, de son histoire, de ses œuvres. Ecrivain renommé depuis son premier livre édité à l'âge de 25 ans, il avait toujours su que l'écriture serait à la fois son antre et ses tourments. La première fois qu'il lui avait écrit ce poëme lui revenait soudainement en mémoire alors qu'une larme séchait au creux de son pouce. Ne pas pleurer. Ne pas penser à sa fin. Elle se prénommait Hannah, et était décédée un an après leur mariage. Il venait de se fêter ses trente-cinq ans. Pas un jour ne passait sans qu'il y pense, sans qu'il regrette. Les disputes, les malentendus, du temps perdu. Pas un jour ne passe sans qu'il songea à ses parents qui lui avaient supplié de rester. A sa psychiatre qui pensait qu'il n'était pas prêt. Aux amis qu'il laissait derrière lui. Mais voilà, Harry n'en avait jamais fait qu'à sa tête. Et en cet instant, malgré ses regrets, il savait qu'il avait pris la bonne solution.

S'évader en Italie, mûrir en France, parcourir la Russie...Il en avait fait des voyages. Mais aucun ne parvenait à lui faire oublier sa chère Hannah. Son âme sœur, sa moitié. Elle était institutrice. L'âme d'une enfance cachée sous un corps de jeune fille lorsqu'il l'avait connu. Ils se complètaient si bien qu'il doutait un jour de pouvoir retrouver pareille perle. Et puis, ce jour maudit. A l'arrivée des résultats de ses analyses, il se souvenait avoir eu le regard vide pendant une bonne dizaine de minutes alors qu'Hannah pleurait. De joie d'abord en apprenant sa grossesse. D'horreur en sachant qu'elle ne pourrait peut-être la mener à son terme. Et comme Dieu semblait en avoir décidé pour eux deux, elle s'en alla. A son sixième mois, emportant avec elle les remords de son cher et tendre, la colère d'un mari et la souffrance d'un père qui n'eut jamais le choix de faire le deuil de son enfant.

Les Etats-Unis furent un choix de bon sens. Malgré son accent à couper au rasoir, il parlait au moins la langue, bien que quelques mots avaient un sens différent de par chez lui. Personne ne le connaissait, pas en tant qu'écrivain en tous cas, il l'espérait. C'était surtout en Europe que sa réputation avait court. Ici, peut-être trouverait-il le repos ? Peut-être parviendrait-il à se mêler à nouveau au genre humain ? Car depuis Hannah, il sortait peu. Bien que plaisant aux femmes, - et aux hommes soyons honnêtes – il délaissait les soirées, ne savait plus danser, rougissait aux compliments qu'on lui faisait de bonne grâce, préférant le confort de son appartement et la solitude apaisante de ses murs.

Professeur de littérature,...pourquoi pas après tout ? Il est vrai qu'il fallait bien vivre. Peu inspiré depuis le décès de son épouse, l'enseignement lui paraissait effrayante, vertigineuse. Au point qu'il doutait même d'avoir postulé à un tel emploi quelques semaines seulement après avoir débarqué à Harvard. Il aimait les enfants pourtant. Mais à l'université, peut-on encore parler d'enfant ? Ils étaient si différents de la société anglaise. Des européens en règle générale. Si prompts aux bêtises, à la rebellion, à l'amusement aussi... La peur de ne pas s'intégrer ou d'être rejeté n'était rien en comparaison du souhait de transmettre, et d'apprendre à son tour. Allons bon, le courage revient. Entrons.