STORY OF MY LIFE
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Boston. Sa ville. C’est là qu’il est né, qu’il a grandi, et c’est là qu’il veut percer. Devoir partir pour réussir serait pour lui un véritable échec. Malheureusement pour lui et ses rêves de grandeur, il n’est pas né avec une cuiller en argent dans la bouche. Ses parents habitaient les Flats, mais dès son plus jeune âge, il lorgnait vers Beacon Hill et ses façades de briques rouges. Un jour, il s’offrirait une baraque là-bas et il fuirait la misère de ces quartiers ouvriers.
En effet, et malgré une existence laborieuse, ses parents ne roulaient pas sur l’or. Chaque extra était minutieusement considéré, soupesé, notamment en vue de financer les études du rejeton. Ils le rêvaient médecin ou avocat. Des rêves de ploucs à l’ambition étriquée, si on lui demandait son avis. Non, lui ferait du business. Jamais il ne serait comme eux, à consulter leur relevé bancaire avec angoisse dès le 15 du mois passé.
Il en venait à les mépriser pour leur manque d’ambition, pour la médiocrité de leur existence. Ils n’avaient rien, ils se faisaient entuber par la société, mais ils ne faisaient rien pour changer tout ça. Pourtant, ce n’était pas faute de ne pas s’en rendre compte. Toute la journée à se plaindre. De tout. De leurs patrons, des voisins, du gouvernement, de la famille. Mais rien ne changeait jamais. Toujours la même merde.
Grâce à cette envie farouche de réussir, il s’est investi pleinement dans ses études. Ou, plus exactement, dans les matières qu’il estimait utiles à sa future carrière. Au lycée il était également le rédacteur du journal du bahut, non pas par vocation, mais parce qu’il savait que ça jouerait en sa faveur en vue de l’obtention de bourses pour la fac. Tactique payante, vu qu’il en reçut une offerte par l’état du Massachussetts, ce qui l’aidera grandement à intégrer Harvard.
A côté des cours, il commença à réfléchir à des moyens de se faire un peu d’argent. Trouver un job étudiant était hors de question. On commençait comme ça et on finissait vingt ans plus tard comme ses vieux à trimer avec un boulot de merde et un salaire de misère. Non, lui voulait se faire de l’argent vite et sans prise de tête. Quelque chose qui pourrait figurer sur son CV, officiellement ou officieusement.
Il commença par gérer la carrière des sportifs les plus prometteurs du bahut. Rien de bien folichon, mais il monnayait des interviews, des apparitions dans des boîtes ou des bars de la ville, ce genre de choses. Ce n’était pas à proprement parler vraiment légal, mais à condition de rester suffisamment discret, ça permettait de mettre un peu de blé de côté.
Toutefois, c’est à l’âge de 16 ans que les choses sérieuses commencèrent réellement pour lui, quand il lança l’application qui allait lui permettre d’accéder à une certaine notoriété.
L’idée de base était simple, tellement simple en réalité qu’il s’étonnait souvent que personne n’y ait pensé avant lui : fusionner LinkedIn et Tinder. Quand on y réfléchit, qu’est-ce qui rythme la vie des gens ? Le boulot et le sexe. Le monde tourne autour de ces deux pôles. Il suffit de regarder le nombre de pubs, de sites, d’applis qui vous promettent de trouver le job de vos rêves ou le coup d’une vie. Seulement, personne n’avait visiblement pensé à offrir les deux services en même temps. Personne avant lui.
La promesse de PopItUp était la suivante : mettre en relation des patrons, des cadres supérieurs et des CEOs (a.k.a des gens pétés de thunes qui ne savent pas quoi faire de leur pognon mais qui sont un peu en détresse sentimentale pour beaucoup) avec des lycéens et autres demandeurs d’emploi motivés (a.k.a des gens plutôt bien apprêtés et propres sur eux, et qui sauraient bien quoi faire d’un peu plus de blé) dans un cadre qui dépasserait celui stéréotypé et complètement mité du CV et de la lettre de motivation. Ce qui pouvait se passer ensuite entre deux adultes consentants, ce n’était déjà plus son problème.
Dans son fonctionnement, l’application était résolument classique : une offre de base gratuite qui ne permettait pratiquement rien, et différents abonnements payants, avec tout un éventail de prestations proposées.
L’offre étudiant standard à 10 $ par mois permet de contacter jusqu’à 10 personnes chaque mois, sur la base d’une photo de profil et d’une vague description de son secteur d’activité. En devenant VIP (et ce pour la modique somme de 50 $ par mois), il est désormais possible de contacter autant de personnes que l’on souhaite. De plus, les résultats financiers de chaque entreprise sont accessibles, ainsi que l’espace personnel de la personne visitée (étalement de richesse, invitation au voyage, tout ça tout ça).
Côté employeurs, les tarifs s’échelonnent entre 100 (visualisation d’un simple CV standard, retourne sur LinkedIn, crevard !) et 500 $ par mois. Pour ce prix-là, l’utilisateur a accès au profil privé complet de l’étudiant/demandeur d’emploi, profil qui lui permet de choisir les atouts qu’il souhaite mettre en avant pour faire décoller sa carrière. S’il est intéressé, il peut également contacter la personne et discuter opportunités avec elle.
Ces tarifs pourraient paraître exorbitants à un œil non averti, mais quand on connaît le temps et l’énergie nécessaires pour dégoter un bon collaborateur (ou une bonne escort), on finit par réaliser qu’il s’agit en fait d’un investissement extrêmement raisonnable.
Comme on pouvait s’y attendre, le concept de PopItUp suscita un tollé parmi les médias traditionnels. On parla de disparition des valeurs morales, d’avilissement, d’esclavage moderne, de proxénétisme. Et plus on en parlait, plus le succès de l’application était au rendez-vous, à tel point qu’il fut bientôt invité sur de nombreux plateaux télé locaux pour parler de son appli. Il put même se permettre le luxe d’en snober la plupart. La promotion se faisait avec ou sans lui, tout simplement parce que les journalistes tenaient là un sujet qui passionnait l’opinion, et qu’ils n’étaient donc pas prêts à le lâcher de sitôt, même si cela signifiait aider malgré eux à son développement.
De nombreux comités, associations, organisations essayèrent de faire fermer l’application, mais sans succès jusque-là. En effet, de nombreux utilisateurs de PopItUp (du côté des friqués, bien entendu) firent appel à leurs services juridiques respectifs à chaque fois qu’une plainte demandant le retrait de l’application était déposée. Chester, lui, n’avait qu’à engranger l’argent et se délecter de son succès grandissant, la tête déjà tournée vers de nouveaux projets. Peut-être quelque chose en rapport avec le tourisme…
D’ailleurs, avec le pognon amassé, il a réalisé un de ses rêves en s’offrant un appartement hyper chic en plein centre de Beacon Hill. Il y tient comme à la prunelle de ses yeux et en est hyper fier, beaucoup plus en tout cas que du prêt sur quinze qu’il a dû souscrire pour concrétiser cette folie immobilière. Mais bon, tout ce qui est de nature à lui ouvrir les portes de la Eliot House n’a pas de prix (même indécent).