STORY OF MY LIFE
please tell us more
Lettre à mon père, 28 novembre 2016
« Salut papa,
Je ne sais pas vraiment pourquoi je t’écris cette lettre. Je n’ai pas de nom, pas d’adresse, pas même une idée du pays dans lequel tu te trouves. Mais même si tu ne recevras jamais cette lettre, j’ai quand-même envie de t’écrire. Tu sais, aujourd’hui, ce n’est pas un jour comme les autres. J’ai dix-huit ans.
Dix-huit ans, c’est l’âge qu’avait ma mère quand tu la rencontrée. Est-ce qu’elle savait que tu étais marié ? Ou tu ne lui as rien dit en lui laissant croire qu’elle était la seule femme dans ta vie ? Je me suis toujours posé la question. Qu’est-ce qui avait amené maman à vouloir te fréquenter ? Surement ton physique. Ou peut-être ton intelligence. Je ne sais pas, elle ne m’a rien dit. Elle n’a pas eu le temps. Elle est morte en me mettant au monde, chez elle, en véritable paria auprès de ses proches. Mais ça, tu ne le sais pas évidemment. Tu es parti bien avant, dès que tu as su pour mon existence. Est-ce que tu as des remords parfois ? Est-ce que tu t’en veux d’avoir laissé tomber ma mère enceinte en plein Brisbane alors qu’elle allait faire ses études ? Est-ce que tu savais seulement qu’elle était rentrée chez elle, chez moi ?
En fait, je t’en veux. Je t’en veux à mort de l’avoir laissé tomber. Parce que si tu étais resté avec elle, au moins jusqu’à ma naissance, elle serait restée en Australie et aurait eu droit à de bons soins de santé. Elle ne serait pas morte et j’aurais encore une maman. Puis surtout, je n’aurais pas à répondre « batard professionnel » à chaque fois qu’on me demande la profession de mon père. Quand tu l’as laissé, est-ce que tu as pensé une seule seconde au mal que tu allais faire ? Ou tu as toujours été un connard égoïste incapable d’assumer ses responsabilités ? Je ne demandais rien d’autre que l’amour d’un père. Ou du moins, avoir un père dont je connais le nom et l’apparence. Tu te rends compte, je ne sais même pas si on se ressemble ! Tu imagines ce que ça fait d’être la seule gamine a qui on donnait congé le jour des bricolages pour la fête des pères ou la fête des mères ? Je n’ai jamais eu de papa à rendre fier en ramenant des bonnes notes ou qui m’attendait à la sortie de l’école. Je n’ai pas eu de père pour m’aider à faire mes devoirs ou surveiller tous les garçons qui m’approchaient de trop près. Tu n’étais pas là, tu ne seras jamais là.
Finalement, je pense que je me fiche pas mal de qui tu es. Ça n’a plus d’importance maintenant. J’ai compris, maman et moi, on n’était rien comparé à la vie que tu avais. Tu as préféré penser à toi. Heureusement, c’est un trait de caractère que je n’ai pas hérité. Je ne sais pas comment j’aurais fait pour me regarder dans un miroir si j’avais été comme toi. Aujourd’hui, je suis heureuse. Je viens de finir brillement le lycée et je regarde à entrer à Harvard. J’ai des amis fantastiques et des grands-parents merveilleux toujours là pour moi. Et je suis quelqu’un de bien. Mais tu sais quoi, tout ça ce n’est pas grâce à toi.
Ta fille,
Brooklyn »
Lettre à mes grands-parents, 25 aout 2018
« Grand-mère, grand-père,
Je sais que vous m’en voulez d’être partie. Je sais que vous avez peur que je reproduise les erreurs de maman. Je sais que vous vous inquiété pour moi. Et je comprends. Vous n’imaginez pas à quel point je suis reconnaissante pour le temps que vous avez passé à vous occupez de moi, pour tous vos sacrifices. Vous m’avez tout appris, que ce soit faire mes lacets ou me battre pour mes idées. C’est justement ce que je fais aujourd’hui.
Je ne fuis pas Nauru. Je ne pourrais jamais fuir Nauru. Cette ile, c’est toute ma vie. C’est mon pays, mon terrain de jeu, mes amis, ma famille, mes racines. Je ne pourrais jamais oublier d’où je viens, n’aillez pas d’inquiétude là-dessus. Je finirais par rentrer au pays parce que je sais que c’est là qu’est ma place. Mais j’ai besoin, je dois partir un moment. Je ne peux pas rester là, les bras croiser à regarder mon pays partir encore plus à la dérive. Je ne veux pas que mes enfants grandissent sur une ile qui risque à chaque instant de disparaitre, je ne veux regarder toute ma vie les photos de Nauru à l’époque où la nature y était encore présente et où les gens étaient bien. Je ne peux pas. Rester là à ne rien faire, ce n’est pas moi, ce ne sera jamais moi. Alors oui, peut-être que je n’étais pas obligée de partir jusqu’Harvard pour étudier. Mais c’est la meilleure université. Et il faut au moins le meilleur pour espérer sauver Nauru. Quand je reviendrais, je pourrais proposer des choses concrètes, je pourrais aider. Pas seulement notre communauté mais aussi les autres iles dans la même situation que nous. Alors partir à des milliers de kilomètres en vaut la peine, vraiment.
A la base, si je vous écrivais, c’est parce que je viens tout juste d’atterrir à Boston. Je voulais que vous soyez les premières personnes à qui je donnerais mes impressions de la ville. Je suis sur la plage et ça me rappelle la maison, même s’il ne fait pas aussi beau. Au moins je me dis que je pourrais aller à la plage tous les jours et penser à vous. La ville est grande, trop grande. Je me sens perdue. Il y a des routes dans tous les sens qui se croisent un peu partout. Il y a plein de monde et de voitures, c’est bruyant et un peu étouffant. Mais mine de rien, j’aime cette ambiance. C’est différent, c’est stimulant. J’ai envie de comprendre comment tous ces gens font pour avoir cette vie sans que tout finisse par s’écrouler, j’ai envie de voir cet univers totalement différent où tout le monde semble vivre à mile à l’heure. Vous n’imaginez pas à quel point tout ici est gigantesque et rapide. C’est un autre monde. On est tellement loin de notre petite ile toute pelée avec sa bande de végétations et son unique route principale.
J’aime Boston. Ou du moins j’aime ce que j’en ai vu jusqu’à présent. Il me tarde de commencer les cours et de me lancer dans le bain. Bientôt, je serais une vraie étudiante américaine ! Je vous promets de ne pas vous oublier, ni vous, ni le pays. Je reviendrais dès que je pourrais pour changer les choses.
A très bientôt,
Brook xx »