SOS (Beth)

« Pas prétentieux, réaliste. » répliquai-je avec un petit sourire insolent, provocateur, titillant bien le côté féministe de mon interlocutrice. Elle s’était jouée de moi, je pouvais bien m’amuser à l’énerver un peu. L’évocation du club de chasteté était vaine, personne ne serait dupe et la demoiselle avait raison de souligner qu’arriver ensemble ne nous rendrait que davantage suspects. « On trouvera mieux à faire que d’aller dans ce club de toute façon. » Mieux à faire que d’être chastes aussi. Mes explications quand au nouveau look adopté étaient volontairement floues. Je ne pouvais pas vraiment m’étaler sur le sujet, et par chance, Beth ne creusa pas davantage, se contentant de me dispenser des conseils de prudence vis à vis des tissus dans lesquels j’investissais à l’avenir. « J’ai pas vraiment de thunes en ce moment… » Enfin, si c’était pour motif de santé, ils allaient peut être me rendre ma gold ? Non, je rêvais… « J’y connais rien en fringues de ce genre, comment ils font les autres ? » Pauvre petit chou habitué au sur-mesure, perdu dans un magasin de prêt à porter lambda. En tout cas, minidoc me prescrit des anti allergie, et me voilà ensuite sur pied, près d’elle, mains baladeuses et lèvres qui l’étaient tout autant, prêt à montrer ma gratitude. Sauf que Beth me rappelait ensuite mon état, et me remettait donc mon envie de la remercier au lendemain. Un bisou/baiser, un truc entre les deux quoi, au coin des lèvres et je reculais pour aller récupérer ma chemise bas de gamme : « Demain, ça marche. Je passe te prendre ? »

 « On ? C'est à dire toi et moi ? » Je m'amuse de ses paroles. Je m'amuse du fait qu'il parle de nous comme si nous formions un tout alors que ce n'est pas le cas mais c'est plaisant tout de même qu'il nous imagine déjà faire une petite sortie bien mieux que le club de chasteté où ni lui ni moi n'aurions notre place. « Comment ça se fait ? » Il a l'air de plutôt bien se porter sur lui alors pourquoi il n'arrive pas à boucler les fins de moi ? Est ce qu'il ne s'en donne pas les moyens ? Avec les jeunes de nos jours on ne peut jamais savoir alors je préfère attendre qu'il me réponde plutôt que de tirer des conclusions hâtives, surtout que je ne le connais que très peu, on a eu un temps limité pour faire connaissance. « Les autres se font conseillés par une nana ! » Un petit clin d'oeil lui est adressé. Bien sûr je le taquine et je nous mets un peu en avant nous les femmes, mais tout le monde n'a pas une femme pour l'aider dans le choix de ses vêtements, maintenant les mecs font attention à eux ou alors il demande à leur mère. « OK demain 20h. Ne sois pas en retard je déteste ça. Je t'enverrai mon adresse. » Je ne dis pas comment parce que ça me laisse le choix d'utiliser un pigeon voyageur si je change d'avis d'ici là, mais je ne pense pas car j'aime plutôt le contact du jeune homme. Il est drôle et n'a pas l'air de se prendre la tête. « En attendant tu te tiens tranquille pour me faire disparaitre toutes tes vilaines plaques ! » Ca sonne presque comme une menace, mais s'il veut aller plus loin, en effet, il est inutile de croire que je vais risquer de chopper quoi que ce soit au contact d'un mec qui se targue lui même de ne pas faire les bons choix, les choix satisfaisants.

« Toi, moi, et nos futurs enfants… » surenchéris puisqu’elle se moquait du pronom personnel que j’avais utilisé. La suite était plus sérieuse, mes problèmes vestimentaires, découlant d’un problème de budget. Je me renfrognais un peu à ses questions, qui enfonçaient clairement le couteau, me faisant intérieurement pleurer un peu plus le confort de mes trois pièces sur mesure. Alors à son ‘comment ça se fait’ c’est avec une certaine touche d’amertume que je répondis : « Parce que je m’appelle pas Windsor moi, mademoiselle. » Son nom de famille ne m’avait pas échappé, là sur sa blouse. Je venais d’Angleterre, je savais très bien qu’avec un tel nom son compte en banque n’avait aucun soucis à se faire. « J’suis artiste, encore étudiant, je gagne pas très bien ma vie. J’habite chez mes parents et je travaille dans un bar le soir. Ha et je roule en scoot. » Auto dérision certaines quand je peignais ce tableau plutôt peut avantageux de ma vie, je me risquais d’ailleurs avec un rire à lui demander : « On se voit toujours demain ou comment ça se passe ? » En gros, j’espérais ne pas avoir fait fuir la miss. Et d’un autre côté, le décor était planté, elle n’allait pas manger dans un quatre étoiles si elle acceptait quand même mon invitation. Quand aux allergies, je ne comprenais pas : comment faisaient les autres types sans moyens pour s’habiller sans finir avec la peau aussi réactive que la mienne. La conclusion était qu’il fallait une nana comme conseillère. « J’suis célibataire… » soupirai-je avant de relever la tête ; reprenant : « Tu pourrais ma doc ET ma styliste ? S’il te plait Beth ? » demandai-je avec une petite moue suppliante. Finalement, la blondinette convenait de l’heure de notre rencart, avec l’avertissement de ne pas arriver en retard et aussi celui de me tenir tranquille. Elle parlait des chemises ? Ou des filles ? Qui sait… « Bien chef. » acquiesçai-je simplement avec un petit salut militaire de la main, légèrement moqueur. « A demain et encore merci. » Chemise renfilée, plaques disparues sous le tissu bas de gamme, je saisis de nouveau la demoiselle par la taille pour lui voler un rapide baiser avant de lui souffler : « Encore merci pour la consultation, t’es canon en blouse… » Et je filai vers la porte : « Courage avec les morveux. » Et je quittai finalement la salle d’examen.

« On se calme, on se calme jeune homme ! » Je lui donne une petite tape sur l'épaule même si je sais qu'il plaisante. Je l'écoute parler, il est peut être fauché mais qu'est ce qu'il est bavard ! Il devrait trouver un boulot dans le genre de commercial, ça lui réussirait et lui rapporterait surement pas mal de fric. « Je serai ce que tu veux, médecin, styliste et sponsor si tu veux oui ! » Je rigole toute seule. J'ai envie d'ajouter que je serai ce qu'il veut tant qu'il ne vient pas me voir quinze fois par semaine ici à cause d'une allergie. Je préfère en effet le voir à l'extérieur même si ça a moins de charme maintenant que j'ai vu ce que j'ai vu. Je me mords l'intérieur de la joue quand il me vole un baiser et ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel en soupirant. « File avant que j'annule pour cause de mauvais comportement ! » Je lui fais un clin d'oeil et lui glisse un merci avant qu'il ne s'en aille et que je me dirige vers le premier enfant à soigner. Ca va être moins drôle.