DANIEL WRIGHT ► Harvey Newton-Haydon

Un homme devant un miroir inspecte son visage avec un regard vide, insondable… Un homme sans nom, sans vie. Et puis son téléphone sonne. Sa main attrape l'appareil dans le fond de sa poche et on entraperçoit son avant bras, dont la peau est parsemée de cicatrices, séquelles d'un incident qui a consumé sa vie. Echange de banalités au bout du fil, puis rapidement le ton monte quelque peu.

- Pas Edmund. Non. Hors de question […] Je m'en contrefiche de savoir combien ça coûte [...] Et d'abord je dois vous rappeler qui vous paie ? [...] Pas Edmund c'est tout. C'était le prénom de mon arrière grand père, je vais avoir l'impression d'avoir 90 balais déjà que j'ai du mal avec ma tête, faites un effort. [...] Non, pas ça non plus. Pas Kyle. [...] Ca va me rappeler mon ex, cherchez pas. Mettez un truc bateau. [...] Oui. Ok. Ca c'est bien. [...] Daniel. Daniel Wright. [...] Oui, donc la suite, je vous écoute. [...] Ha non, certainement pas. On ne va certainement pas dire que Daniel vient de sortir, enfin que je viens de sortir d'une hospitalisation longue en centre psychiatrique. [...] Non mais pourquoi je vous paie ? Trouvez autre chose à la fin. [...] Vous êtes des incapables, c'est pas possible… [...] En Angleterre en école d'art ? Laissez moi rire… Et comment je fais quand on va me demander de dessiner un truc ? [...] De l'art abstrait ? Pff… Oui en même temps ça peut marcher… [...] Donc je résume : école de surdoués dès mon plus jeune âge, en pension et scolarité en Angleterre payée par un riche donateur généreux fan de mon 'talent', ça me va… [...] Pourquoi canadien par contre ? Vous aviez pas anglais ? Ou belge sinon ? [...] Comment ça faut que j'arrête de pinailler sur tout ? J'allais quand même pas vous laissez me faire passer pour un taré canadien échappé de l'asile… Puis je dois vous rappeler qui vous paie ? [...] Donc Daniel Wright, 26 ans, canadien… eurk. Artiste abstrait. Formé en Angleterre. Venant de… Quoi ? Attendez non mais je… Ok, ok, venant d'une famille modeste. Pff. Et avec un frère ? Non mais c'est quoi ce délire ? [...] Donc vous avez dilapidé la moitié de ce que je vous verse pour engraisser des bouffeurs de sirop d'érable ? Tout ça pour qu'ils racontent deux trois anecdotes à mon sujet ? Je vous préviens si ils grillent ma couverture, si… [...] Ok, j'arrête. Si vous dites que justement ça rend toute l'histoire plus crédible. Comment il s'appelle le frérot ? Y'avait pas plutôt une soeur de disponible sur le marché parce que… [...] Bon ok, Sullivan. [...] Et il vient d'avoir des gosses. Youpi. De mieux en mieux. [...] Comment ça je retourne en cours ? Non mais stop on arrête le délire là… [...] Cours d'art chouette. Faut que je m'inscrive à la Lowell c'est ça ? Je vous préviens je fricote pas avec l'autre rouquine là. [...] Bon c'est bon c'est fini ? Vous allez me dire comment ils vont ? Comment elle va ? [...] Quoi ? Il ne faut pas que je les approche ? Il ne faut pas que je leur parle ? Ils pourraient me reconnaitre ? Je ne peux pas… Je ne peux pas vous promettre ça. [...] Je vous paie, bordel. Je vous paie pour cette nouvelle vie alors à vous d'assurer…

Il raccroche. Il a de nouveau un nom, une identité, un avenir, une famille même… Mais tout reste à construire.

- Je m'appelle Daniel Wright. J'ai 26 ans. Je viens de quitter Londres où j'étudiais l'art. Oui oui, c'est pour ça l'accent anglais. En même temps, je suis canadien, l'accent anglais c'est quand même un plus comparé à mon accent d'origine, nettement plus charmant non mademoiselle ?

Sourire de loveur à la secrétaire qui prend en note les différentes informations et qui les récapitule scrupuleusement dans le dossier. Mais le doute se lit quelques secondes sur le visage du jeune homme, perdant soudainement son assurance : est-ce que ça marche encore ce genre de sourire ? Avec son nouveau visage ? Avec l'étiquette pauvre artiste canadien sans le sous collée sur le front ? Probablement pas. Pour ça que la secrétaire lui lance un regard lassé et repart dans l'annotation de la suite des données qu'il lui sert.

- Hum, donc voici mes résultats aux Sats, et voilà mes lettres de recommandations, mon parcours universitaire. Ha et euh mes papiers d'identité bien sûr…

Et c'est que ça le grattait cette chemise bon marché acheté dans une boutique cheap de prêt à porter. Il n'avait même pas eu le droit d'enfiler un costard. Même un pas cher. Ses chargés de sécurité avaient refusé. Soit disant qu'il fallait qu'il se fasse discret. Qu'il s'habitue à ce nouveau mode de vie. Qu'il se défasse de ses manières qui pourraient le trahir. Raclement de gorge.

- Tout est en ordre alors ? Très bien et bien rendez vous en septembre alors mademoiselle…

Et une première étape de passer. Une première personne de berner… La suite serait probablement beaucoup plus complexe...