NIKE BELLUCI ► nabilla benattia

— Allongée dans son canapé, un pot de douceurs Häagen-Dazs à la main, Nike se laissa aller à une énorme expiration. Sa fatigue était palpable et elle avait grand besoin de réconfort après une telle journée. Il était dur de rester motivée après une journée de dix-huit heures, mais après les efforts qu'elle a fourni pour entrer à Harvard, elle pouvait bien supporter une ou deux journées comme ça dans la semaine. En plus, ce n'est pas comme si c'était dix-huit heures de douleurs ! Certes, les cours de Chinois étaient très éprouvant, mais elle a passée une heure de soutien avec une enfant extrêmement sage et attentive, ce qui n'a pas manqué de la rebooster pour la fin de la journée.

Elle ouvrit son téléphone, mécaniquement. Elle devrait vraiment en changer, cette marque sur le côté droit ne manque pas de capter son attention à chaque fois. Elle scroll ses réseaux sociaux, ses mails, et passe un moment dans sa galerie. Elle fut surprise en voyant une nouvelle catégorie qui s'était créée sans qu'elle s'en souvienne, mais se rassura très vite : c'était sa mère qui lui avait partagée certaines photos qu'elle avait retrouvée, dans un album physique ainsi que les données de son ancien téléphone. Elle n'avait pas eu le temps de le regarder, mais cette petite session cocooning était peut-être l'occasion. Ce genre de choses, ça lui met toujours du baume au coeur. Elle ouvrit alors le répertoire et tria les photos par date d'envoi.

— 12 MAI 94. Un bébé, emmitouflé dans une couette.

Elle ne pouvait s'empêcher de rire en voyant cette photo. Elle devait avoir quelques mois, au moins. Probablement dans les bras de sa mère, photo prise par une amie. Elle se souvient alors, d'un seul coup, de cette époque bénie d’insouciance. Il y avait aussi quelques photos d'elle jeune, juste après. En Italie, elle vivait un quartier de classe moyenne, sa mère se pliant en quatre pour satisfaire ses besoins. Elle ne la remerciera jamais assez, elle s'en rend compte chaque jour. Une cuillerée de crème glacée dans la bouche, elle se mettrait presque à chialer en plein milieu de son salon vide. Son enfance lui manque, peut-être pour la première fois de sa vie. Mais bon, le présent est pas mal non plus ! Pour le coup, elle n'a pas de quoi se plaindre. Même si le collège c'était super cool, l'université c'est pas si mal non plus. Elle swipe alors, espérant trouver des souvenirs moins larmoyants.

— 4 SEPT. 11. Une fête, enjouée et arrosée.

Elle eue un éclat de rire en revoyant cette photo. Elle, mal maquillée, buvant un alcool bon marché, avec ses amies mal maquillées.Elle ne pouvait s'empêcher de la trouvant presque comique, tant elle était aujourd'hui ridicule. Pourtant, elle paraissait si heureuse, sirotant ce petit cocktail infecte fait maison. Ah, le bon vieux temps. Le temps passait tellement vite à cette époque, à peine le temps de cligner des yeux que la voilà à ses examens de fin d'année. Elle profitait et elle faisait bien, tant ces souvenirs resteront toujours gravés dans sa mémoire. Il y avait aussi quelques autres photos de sa scolarité, sa remise de diplôme, son premier copain, son premier baiser féminin, sa première cigarette à ses dix-huit ans, qui lui a valu une presque-mort par étouffement. Jamais, ô grand jamais elle ne recommencera. C'est aussi à ce moment qu'elle quitta l'Italie, pour se débrouiller toute seule, comme une grande.

— 6 JUIN 13. Un studio modeste, d'un blanc immaculé.

C'était une épreuve, la première fois qu'elle vit seule. Que ce soit les habituels plats cramés ou la nuit passée dehors à cause d'un oubli de clé, elle passa par tous les bizutages de jeune nouvellement libre et indépendant ! Les premières fêtes, copain sérieux, mais aussi premières déceptions. C'est en cette année qu'elle quitta son école, mais elle s'arrêta tout de suite d'y penser. Elle avait trop souffert et trop bien oubliée cette époque pour y repenser, surtout pas maintenant. Heureusement qu'elle a su trouver du travail. S'endurcir, savoir comment s'en sortir dans le continent américain, si hostile dès qu'on gratte la surface. Sinon, elle ne sait même pas si elle serait encore là pour en parler. Serrant le téléphone contre son cœur, elle expira un souffle difficile et essuya une larme. Allez, une cuillère de glace, elle l'avait méritée. Elle fit donc glisser les photos, un peu plus vite qu'à l'accoutumée. Ces trois ans passés à survivre, puis, une nouvelle photo. Une selfie. Une des premières fois où elle avait l'air heureuse après cette traversée du désert. Elle s'enfila trois cuillères d'affilée, c'était difficile de revoir tout ça, mais son passé, c'est ce qui l'a forgée. Elle doit en rester fière malgré tout. Dernière photo, sa mère. Avec un nouvel homme. Elle ne sait pas si elle pardonnera un jour à son père biologique de l'avoir abandonnée, elle et sa mère, si peu de temps après sa naissance. Ce qu'elle sait, c'est qu'elle ne tombera jamais aussi bas que cette pourriture. Essayant de prendre une nouvelle cuillerée, elle vit que le pot était vide. Il semble qu'il est temps d'écourter le moment nostalgie.

C'est dingue, quand même : elle est belle, intelligente, et à Harvard. Que pourrait-elle demander de plus ?