EVILI SOARES-SMITH ► amanda hummer

Tu te souviens de tout.

Tu te souviens de l'odeur de feijoada qui régnait dans toutes les pièces de l'orphelinat. Tu entends ces cris, ces pleurs, ces rires et ces bagarres pour rien. Tu revois ces enfants, ces amis, qui viennent pour repartir au bout d'un mois, un an ou jamais. Tu te souviens de ta mère, derrière la vitre du parloir. Tu revois ce visage associé à aucun de tes souvenirs antérieur, cette dernière ayant été inculpée pour homicide volontaire alors que tu n'avais que quelques mois à ton actif. Un visage que tu n'as vu qu'à l'occasion des visites. Un visage parfois défiguré par ses bagarres incessantes qui n'ont fait que d'allonger encore et encore sa peine.Tu l'entends encore te dire qu'elle va bientôt te récupérer, qu'elle va bientôt sortir. Tu entends encore ses promesses, promesses que tu as rapidement fini par assimiler à du vent puisqu'elle ne les tenait pas. Ce n'est pas que tu ne l'aimais pas, seulement que tu ne l'aimais plus. Au début, tu avais hâte de la voir. Contrairement à la plupart des enfants avec qui tu vivais, toi tu avais une maman.Tu avais cru en chacune de ses paroles, tu avais cru que vous alliez devenir une famille, une vraie. Et puis, de déception en déception, du haut de ton jeune âge, la flamme s'est éteinte. Lorsque tes huit années sonnaient et qu'on t'expliquait que ta mère avait perdu la vie suite à une énième bagarre de prison, tu n'as pas pleuré. Aucun sanglot, pas la moindre larme, absence de tristesse. Cela ne faisait que de confirmer qu'elle n'était qu'une menteuse. Maintenant, toi aussi, tu prenais place dans la vitrine des enfants sans familles désespérément à la recherche de parents.

Tu sens encore le textile de la robe froissée de Mikaela sur le bout de tes doigts. Tu l'entends encore t'expliquer que ce n'est pas de votre faute si vous êtes ici, que ce n'est pas votre faute et qu'elle prit tous les soirs pour vous mais que le bon Dieu à une sacrée liste alors cela prend du temps. Tu avais treize ans lorsque ton prénom arriva finalement le premier sur ce fameux bout de papier. Beaucoup trop âgée pour beaucoup, tu avais perdu tout espoir. Pourtant, Monsieur Smith est arrivé. Tu ne sais pas vraiment ce qui lui a plu chez toi, ni même pourquoi il n'a pas choisi un enfant plus jeune comme ils le font tous. A vrai dire, tout ça t'importait peu. Tu as trouvé un papa.


Le choc fut des plus rudes lorsque tu es arrivée à Boston. Toi qui avait grandit dans les favelas de Rio De Janeiro, tu te retrouvais soudainement propulsées dans un mode de vie bien plus aisé que la normale. Tu t'émerveillais devant tout ce qui brillait, même devant le carrelage d'ailleurs. Toi qui n'avait rien, tu recevais soudainement tout. Pourtant, les débuts furent quelques peu difficiles, ce n'est pas l'argent qui allait t'acheter. Tu étais sur tes gardes, remettant en question l'intégralité de ses paroles. Tu craignais qu'il te mente, qu'il te trahisse comme ta mère l'avait fait tant de fois par le passé en se cachant derrière son gros accent américain. Puis au fur et à mesure du temps, tu as baissé la garde, vous vous êtes rapprochés pour en arriver à une complicité hors du commun. Une complicité que tu protégeas vivement lorsqu'il se trouva une femme avec déjà un enfant un an plus tard. Craignant trop qu'il te délaisse pour ces dernières, tu n'as pas hésité à montrer les crocs et à dévoiler le pire de toi-même. Fourberie, coups-bas, personne ne volera ton père, tu comptais bien leur faire comprendre.

Aujourd'hui, la pré-adolescente est devenue une jolie jeune femme. Les favelas bien derrière toi, tu es aujourd'hui avide de fête et de débauche. Étudiante excellente cependant, tu fais la plus grande fierté de ton père, tu es sa septième merveille du monde. Votre relation n'a pas changé ou peut-être, êtes-vous encore plus proche. Il te passe absolument tout, te donne raison en tout point et béni chacun de tes faits. Ta belle-mère et ton idiote de demi-sœur peuvent bien ne pas être d'accord, peu importe. Tu n'as d'ailleurs toujours pas cessé de défendre ta place, ta possessivité s'étant développer n'a rien arrangé. Même au loin, à l'université d'Harvard où tu construis tes armes pour faire ta propre vie, tu veilles au grain.