TATJANA C. WATFORD ► Blanca Suarez

21 juin 1995. Jour le plus long de l'année et le plus douloureux aux yeux de ma mère. Il devait être aux alentours de trois heures du matin quand les premières contractions se firent sentir. Pourtant je ne poussais mon premier que vers vingt-trois heures. Une journée vraiment longue pour celle qui m’a mise au monde. Malheureusement, ce fut aussi son dernier jour. Elle décéda à peine quelques minutes après m’avoir tenu dans les bras. Les médecins n’ont jamais su ce qu’il s’était passé. Apparemment son cœur a lâché. Peut-être était-elle malade, mais on ne le saura jamais. J’étais donc une enfant de quelques minutes et déjà orpheline. La police a tenté de trouver mon père mais celui-ci ne voulait pas de moi et avait déjà pris la fuite. Ma vie ne pouvait pas plus mal commencé.

Je fus donc amenée dans un orphelinat où je vécu les trois premières années de ma vie. En Croatie l’argent ne coule pas à flot et encore moins pour ce genre de service. On mangeait le minimum pour notre assouvir notre faim mais pour le reste, nous n’avions rien. Ce qui manquait vraiment, c’était l’amour. J’en souffrais beaucoup et je refusais de parler. Pourtant à cet âge le langage est quand même un minimum développé. Mais je ne fais rien comme tout le monde à vrai dire. Puis vint un jour, où la chance m’a souri. J’ignore comment, mais sans doute que la roue devait tourner, ma route rencontra celle d’une famille américaine. Ils avaient déjà quatre enfants mais ils décidèrent tout de même de m’adopter. Et c’est ainsi que je quittai mon pays natal pour m’installer aux Etats-Unis avec ma nouvelle famille, du côté de New-York. Et alors que j’avais entendu parler le Croate toute mon enfance, mes premiers mots furent en américain. Parler ma langue maternelle m’effraye et me replonge dans l’abandon de ma famille.

Les premières années de ma vie en Amérique ne furent pas les plus intéressantes de mon existence. J’étais devenue une enfant normal dont rien ne laissait penser que tout changerait. Mes parents adoptifs étaient assez riches. Ma mère ne travaillait pas et nous consacrait tout son temps. Même si mon sang n’est pas le même que celui de mes frères et sœurs, personne ne fait de différence et me considère comme une personne de la famille à part entière. Mon père quant à lui avait fait fortune dans la littérature. Il possédait de nombreuses maisons d’édition et nous ne me manquions de rien. On pouvait même dire  que nous avions tout ce dont nous avons besoin, même plus. Ma vie se résumait à aller à l'école, faire mes devoirs, jouer avec les enfants du quartier et donner un coup de main à mes parents. J'avais jour après jour des tâches ménagères à accomplir et quand je vois les jeunes de nos jours, je suis contente de mon éducation qui m'évitent de rester affalée dans un fauteuil devant des jeux vidéos. Mes parents étaient toujours très protecteurs avec moi mais la vie leur en donnait toujours raison. Âgée de neuf ans, je fus victime d’une tentative d’enlèvement. Heureusement ma voisine qui jouait dehors avec moi, donna rapidement l’alerte et l’histoire s’arrêta net. Mais mes mamans renforcèrent leur protection. Quand on est jeune on s’y fait mais quand on grandit, ça peut vite devenir oppressant. Surtout dans l’adolescence où on a juste envie de sortir faire les boutiques, ou s’amuser entre amis. J’avais très peu souvent l’autorisation. Ou alors je devais être accompagnée d’un de mes frères.

Petite, j'aimais aller me promener dans les bois. Et souvent je trouvais sur mon chemin des petits animaux blessés et je ne pouvais m'empêcher de les soigner et de les ramener à la maison. Je le cachais à mes parents et un jour ma mère m'a surprise. A mon étonnement, elle m'a aidé. Depuis cette période, j'ai toujours su que je voulais devenir vétérinaire. Durant mon adolescence je faisais des stages d’été dans les parcs zoologiques comme soigneuse. J'ai même vécu ma première histoire d'amour dans l'un deux. J'avais dix sept ans et c'était avec une fille. Jamais avant je n'avais pensé être attiré par une fille mais depuis je n'ai jamais refoulé mon attirance. J'aime autant les filles que les garçons. Cette histoire a duré tout l'été et même si ce fut court, c'était intense et je n'oublierai jamais cette jeune fille.

Quand j'eus atteint mes dix huit ans, un changement de vie s'opérait. Un rêve qui devient réalité. Harvard. La vraie vie commence. Déjà il me faut quitter ma région d'origine pour aller dans une autre ville et rencontrer de nouvelles personnes. C'est exactement la décision d'une nouvelle vie. Une fois mon admission acceptée, c'était l'euphorie dans ma tête. Entre l'appréhension de découvrir de nouvelles choses et la hâte d'apprendre encore et encore. L'adaptation se fit plus facilement que je ne le pensais. Après tout je ne suis pas une demoiselle au caractère difficile qui se dispute avec tout le monde, loin de là. Et concernant les études, c'est difficile mais dans la vie il faut se battre pour avoir quelque chose.