El dia de los muertos
« Abuelita, abuelita ! » Deux gamines rentrent dans la cuisine, chacune habillée de la même petite robe, leurs deux petits têtes parfaitement identiques. La première, Kassandra, a déjà commencé à tirer sur le bas de la robe de sa grand-mère alors que la deuxième, Karmen, serre fort sa peluche dans ses bras. Isolda Kahlo baisse la tête vers ses deux petites filles adorées et avant même qu'elle ne puisse demander ce qu'il se passe, Kassandra lui pose déjà la question qui lui brûle les lèvres.
« Abuelita, tu nous racontes des histoires à propos de tía Frida ? » « Mais, Kassandra, t'avais dis qu'on lui demanderait des histoires sur mama ! » « Après, Karmenita, après ! » Karmen fait la moue, la petite désirait tellement en apprendre plus sur la personne qui les avait mis au monde alors que sa sœur préférait entendre les histoires de leur célèbre ancêtre, celle qui avait fait leur fortune et fait connaître le nom de Kahlo partout dans le monde. Leur grand-mère leur sourit, s'essuye les mains et baisse le feu sous la casserole dont elle s'occupait avant l'éruption des deux enfants. Elle leur indique les chaises autour de la table dans la cuisine et les petites prennent place.
« On n'obtient pas une histoire sans un service en échange, hijas. » Karmen pose sa peluche sur ses jambes, sachant bien ce que sa grand-mère leur demande. Celle-ci dépose un saladier devant elle, rempli de haricots dont elles vont devoir s'occuper. Kassandra rechigne à commencer sa tâche mais Isolda commence son histoire dès lors qu'elle s'est installée à la table. Elle raconte, comme à son habitude, la vie de Frida, celle qu'on ne lit pas dans les livres et les journaux, celle que Kassandra veut entendre, elle qui, à six ans à peine, se passionne déjà par la peinture et par son ancêtre. Karmen écoute distraitement, elle n'attend qu'une chose, que le prénom de sa mère soit évoqué. Ça arrive bien sûr, parce qu'elle l'a demandé, mais dès que l'histoire change, Kassandra se lève de sa chaise et part de la cuisine, la laissant seule à écouter les histoires de ses parents que sa grand-mère adorée veut bien lui raconter.
L'enfant est occupée, chaque année, elle passe le jour du 31 octobre à peindre des petits tableaux pour sa grande-tante. Alors que la famille se prépare à décorer le tombeau des Kahlo, Kassandra s'habille de sa plus belle robe pour attendre parmi la foule venue rendre visite à Frida Kahlo son tour pour la saluer. La petite s'assoit près du dernier lieu de repos de la peintre et lui montre ses petites toiles, pleins d'étoiles dans les yeux et d'espoir dans le cœur. Elle veut lui ressembler, plus que tout, elle aime peindre comme elle et elle veut être aussi connue qu'elle.
Elle ne fête pas son anniversaire, Karmen est la seule à souffler la bougie de leur gâteau d'anniversaire parce que Kassandra n'est jamais avec eux mais la petite s'en fiche, c'est la seule soirée de l'année où elle se sent si proche de son ancêtre.
Frida & Familia
Elle est plongée dans ses pensées, dans son tableau, dans ce qu'elle n'arrive pas à peindre. Elle n'a pas la technique, pas encore, elle n'a pas le talent de Frida alors elle s'agace, jette son pinceau contre la toile à moitié peinte, l'éclaboussant de tâches rougeâtres qui ne disparaîtront pas. Elle regarde l'horloge accrochée à son mur, il est bientôt midi, elle devra bientôt sortir de son atelier pour rejoindre sa famille à table. On est dimanche et dans la casa Kahlo, elle est seule, mais plus pour longemps. Ils sont tous à l'église, ça fait bien des années qu'elle n'y va plus, pas depuis qu'elle a dessiné le croquis de ce fameux tableaux qui a donné des sueurs froides à sa grand-mère et l'envie d'exorciser Kassandra. Cette toile est encore accrochée dans son atelier d'ailleurs, alors Isolda ne lui rend plus trop visite, elle n'aime pas la vision d'anges aux ailes arrachées, s'écrasant sur le sol putride de la Terre. Pourtant, c'est comme ça que Kassandra voit le monde et la religion.
Elle décide d'aller se laver les mains et de se préparer, elle respecte la décision de sa grand-mère pour le repas dominical obligatoire, c'est le seul moment de la semaine où elle passe du temps avec sa famille après tout – à part pour Karmen, qui lui sert souvent de modèle. Elle n'a que seize ans, sa grand sœur pense que ce n'est qu'une face rebelle, cette envie de s'isoler, mais sa abuelita n'y croit pas trop, elle sait que Kassandra a toujours eut cette tendance à s'éloigner d'eux, préférant peindre que passer du temps en famille, préférant aller rendre visite à l'urne de Frida plutôt qu'à la tombe de ses parents avec le reste de sa fratrie.
Elle se rend dans la cuisine, pique une bouchée de leur repas du midi, qu'Isolda a préparé avant d'aller à la messe. Elle prépare la table et s'assoit à sa place, commençant à gribouiller dans le carnet qu'elle prend toujours avec elle, en attendant. Le temps passe et elle commence à avoir de plus en plus faim, les autres sont en retard, ce n'est pas dans leur habitude. Finalement, elle entend des pas dans la cour et la porte de la cuisine s'ouvre en grand, révélant sa sœur aînée, Dominga, les yeux rouges et l'air paniqué. Kassandra sait immédiatement que quelque chose cloche. Sa sœur est seule et se précipite vers elle pour la prendre dans ses bras, ce que la jeune peintre n'aime pas, mais elle n'ose pas la repousser parce que sa sœur est dans tous ses états.
« Domi, qu'est ce qu'il se passe ? » lui demande-t-elle, à moitié étouffée par l'embrasse de sa sœur.
« C'est-C'est Joaquin, il a eut un accident, il- Il était allé ramener l'amie de Karmen après la messe et- Sa- Sa voiture a dérapé et -. » Elles se rendent à l'hôpital, il est déjà trop tard. Isolda garde un visage fort pour eux mais Karmen est effondrée. Kassandra n'hésite pas une seconde avant de prendre sa jumelle dans ses bras.
El Dia de los Muertos suivant, elle ne rend qu'une courte visite à Frida. Elle est au côté de sa famille, salue son père et sa mère et Joaquin, regrettant de ne pas l'avoir plus fais quand son frère était encore à ses côtés.
Pintura
« Karmen, si tu continues de bouger, je te remplace par un singe ! » menace Kassandra. Sa jumelle se met à rire et lâche un
« Lo siento, lo siento ! » qui fait rire la personne à ses côtés. Ça agace Kassandra, qui se cache derrière sa toile pour grommeler. Mais elle ne peut pas s'empêcher de faire une remarque.
« Une photo, c'est plus rapide si vous voulez un portrait de vous deux. » « Mais c'est pas pareil, Kass ! » « M'appelle pas Kass. » souffle-t-elle, trop bas pour que son interlocutrice l'entende, parce qu'elle était bien la seule à qui elle permettait de l'appeler comme ça, elle n'accepte même pas que sa propre jumelle le fasse mais avec elle, c'était différent. Elle était tranquillement en train de dessiner quand elles étaient arrivés dans son atelier, Karmen et Gabriela, les deux amies inséparables depuis l'enfance. Ça ne l'avait pas étonné outre mesure, elles venaient souvent passer du temps ici, même si elles savaient que Kassandra n'allait pas forcément leur parler ou leur prêter attention. Mais cette fois-ci, Karmen s'était postée devant sa jumelle avec un grand sourire aux lèvres et une demande particulière à formuler. « Tu peux nous peindre ? » Elle avait tellement eu envie de refuser, vraiment, si elle adorait peindre sa jumelle, elle avait toujours refuser de peindre Gabi et ce pour une raison tout à fait particulière. Kassandra ne voulait pas avoir à regarder son visage pendant des heures. Parce que Gabi, elle l'agaçait mais c'était pas même pas à cause d'elle. C'était surtout parce que le cœur de Kassandra, il supportait pas de la voir, sans qu'elle comprenne pourquoi. A chaque fois, elle se retrouvait à rougir et à bégailler, à avoir le coeur qui bat plus vite. Mais la peintre ne peut rien refuser à sa sœur alors elle se retrouve à se torturer ainsi, à devoir regarder les deux meilleures amies devant elle qui parlent à voix basse et rigolent entre elles, comme si Kassandra n'est pas là parce que bien sûr, un peintre n'est qu'un spectateur extérieur. A chaque fois que le regard de Gabriela se pose sur Karmen, le cœur de Kay se serre un peu plus. Elle sait observer, Kassandra, bien sûr, c'est son métier, alors elle voit la lueur dans le regard de Gabriela à l'encontre de sa jumelle. Il n'y a pas de doute, ce que Gabi ressent pour Karmen, c'est bien de l'amour.
Communista & Feminista
« Lâche moi maintenant ! » Kassandra retire son bras violemment de la poigne de sa grand-mère. La jeune femme est en colère, plus qu'elle ne l'a jamais été. Elle se retrouve à moitié nue dans le salon familiale, à essayer de se cacher la poitrine de la vue de sa famille et de Gabriela – parce qu'évidemment,
elle doit être là. Karmen la regarde avec toute l'inquiétude du monde mais Kassandra n'a qu'une lueur de défi dans le regard quand elle se tourne vers sa grand-mère.
« T'avais pas le droit de me forcer à partir ! » Sur sa poitrine, les mots « ¡ Viva la Revolución ! » s'étalent en lettres noires, qui commencent déjà à disparaître après les tentatives de sa abuelita pour les effacer quand elle l'avait récupéré dans la rue, en plein milieu de cette manifestation.
« Tu vis sous mon toit, hija, tu obéiras à mes règles ! » « Tes règles sont stupides si tu m'empêches de me battre pour ce qui est juste, vieja ! » Dominga a un sursaut d'horreur en l'entendant ainsi insulter leur grand-mère, celle qui avait tout abandonné pour les élever comme ses propres enfants. Isolda élève un peu plus la voix.
« Tu crois que c'est en te mettant à moitié nue dans la rue que tu changeras les choses ? Idiota, tu as encore beaucoup à apprendre. » « Je me bats comme je l'entends ! C'est pas en restant ici à rien faire que je vais changer les choses ! » La dispute continue encore pendant de longues minutes, les voix s'élèvent, les tons s'échauffent, c'est douloureux pour les spectateurs de ce spectacle, qui n'osent pas réagir, qui n'osent pas tenter de les calmer. « Et qu'est ce que tu crois faire avec ce tatouage dans ton dos ? » Sur la peau de Kassandra s'étend un tatouage que sa grand-mère n'a jamais vu, un portrait de sa grande-tante Frida Kahlo, les mots « Lo que no me mata, me alimenta » ainsi que des fleurs et le marteau et la faucille communiste. Elle l'a fait avant même ses dix-huit ans, ce tatouage. Il est beau et bien exécuté, elle a dépensé tout l'argent qu'elle a récolté en vendant ses tableaux pour le faire, mais il n'est pas au goût de sa grand-mère. La jeune peintre en a marre de cette dispute, marre des reproches, marre de ne pas être comprise.
Elle passe les deux semaines suivante enfermées dans son atelier, son tableau blasphématoire ayant trouvé une place sur sa porte.
Universidad
Elle regarde ce chien devant elle, un Shih-Tzu, un petit chien cliché des mères bourgeoises américaines. C'est encore un bébé et Kassandra le juge, elle ne comprend pas ce cadeau. On est en août, la rentrée est dans deux semaines et pour la première fois de sa vie, elle n'ira pas dans une école mexicaine. Karmen a insisté pour qu'elles tentent Harvard, les jumelles ne se séparent jamais après tout, et Kassandra n'a pas mit longtemps à accepter, la réputation de l'université n'était plus à faire, bien sûr, et ça pourrait profiter à sa carrière de peintre. Sa grand-mère avait eut du mal à accepter qu'elles partent si loin mais cela faisait déjà longtemps que Kay ne voulait plus vivre dans la maison familiale et elle savait que c'était la meilleure option pour ses petites-filles. Dominga, qui ne vivait déjà plus à Coyoacan, ayant préféré Mexico pour ses études, était revenue pour les vacances et c'était elle qui avait tendu le chien à sa sœur cadette.
« Pourquoi tu m'offres ce truc… ? C'est même pas un beau chien. » « La chienne d'une amie a eut des bébés et elle m'a demandé si j'en voulais un. Je me suis dis que t'allais te sentir vachement seule aux États-Unis sans compagnie, ermitaña. » Au final, elle emménagea à Cambridge avec Queso, trouvant un appartement où elle pourrait vivre avec son chien et sans sa sœur, qui préféra vivre dans sa confrérie la première année qu'elles passèrent à l'université.
L'université, c'était plus difficile que ce qu'elle pensait d'abord. Elle préfère peindre toute la journée plutôt qu'aller en cours et c'est grâce à sa sœur qu'elle se force à y aller, parce qu'il n'y a que sur le campus qu'elle peut la voir ou presque. La deuxième année, elles mettent en place les dimanches telenovelas pour passer plus de temps ensemble. La troisième année, Kassandra essaie à tout prix d'exposer ses œuvres et passe tant de temps à travailler qu'elle loupe son année. Maintenant, elle continue de passer le plus clair de son temps enfermée dans son atelier mais elle essaie de ne pas refaire la même erreur, elle veut sa maîtrise, ne serait-ce que par principe, pour se dire qu'elle peut y arriver.