!تبّاً، إنه أمي * lancé-je précipitamment en arabe à mon meilleur ami. Un bruit de porte et des pas dans l'entrée résonnent.
Dear, I just got home. Where are you ? la voix presque mielleuse de ma mère s'élève à l'étage, là où se trouve ma chambre. Sans perdre de temps, j'attrape un jean et l'enfile avant de sortir en trombe de la pièce. J'entends ma mère qui se rapproche de l'escalier. Elle pose son pied sur la première marche et redouble son appel.
Are you up there, West ? Je lui apparais aussi brusquement qu'un fantôme qu'elle a l'air surprise de me voir, et je ne lui laisse pas le temps de digérer l'effet de surprise car je lui réponds aussitôt.
Yeah, I'm up there, mom. Elle sourit, apparemment satisfaite de ma réponse. Ne me quittant pas du regard, elle ajoute.
Well, I'm going to cook a chicken with potatoes. You agree you’ll be setting the table in about an hour ? Je hoche la tête.
Okay. Elle est déjà partie en direction de la cuisine, s'attelant à la préparation du poulet de ce soir. Elle n'avait pas besoin de savoir ce que je lui répondrais. Elle me connaît. Il n'y a qu'à voir l'échange qu'on vient d'avoir, concis certes mais tout à fait naturel. Ma mère a fait de moi quelqu'un d'obéissant, m'a inculpé des valeurs importantes et me fait entièrement confiance. Je suis suffisamment grand pour respecter les règles de la maison sans me faire remonter les bretelles pour écart de conduite. Bien que tolérante et souple, ma mère n'apprécie pas trop que je me fasse influencer par mes camarades, en particulier par des garçons, des fils à papa, qui ne vivent que d'excès. Le respect est important pour elle car elle est musulmane donc très attachée à la religion et ces garçons n'en ont pas selon elle. Or mon meilleur ami vient de ce milieu et ma mère rebute un peu à l'idée de le voir chez nous. Surtout depuis qu'elle a découvert que notre relation allait plus loin qu'elle ne le pensait. En effet, il n'est pas que mon meilleur ami mais aussi mon copain. Son nom est Aksel.
*Putain de merde, c'est ma mère.
Aksel et moi, on se connaît depuis le collège. On a même partagé une classe ensemble au lycée, si bien que dorénavant on ne se quitte plus. Mes amis n'y trouvent rien à redire puisqu'il reste mon meilleur ami, ils le voient comme tel et n'imaginent pas qu'on est plus que cela. On le cache bien c'est tout, quand on n'est pas seuls, on s'efforce de paraître normaux. Normaux aux yeux de tous oui car nous n'ignorons pas les violences perpétrées contre les gens comme nous dans ce pays. Ce même pays qui m'a vu naître et grandir, que j'ai parfois honte d'appartenir. Je n'ai pas l'impression de pouvoir y vivre librement, d'être moi-même tout court. Je dois tout le temps faire profil bas et à la longue, je trouve l'exercice lassant. De plus, les gens attendent beaucoup de moi. Pas facile quand on est le fils d'un éminent diplomate et d'une enseignante appréciée par ses pairs. Ils ont déjà préparé mon avenir, tout envisagé. De peur de les froisser, je n'ai rien dit à l'époque. Mon père serait peut-être plus compréhensif mais pas ma mère. En réalité, ils sont tous les deux aussi pires l'un comme l'autre. Bref, je me suis laissé guider par eux, sans rechigner, à la seule condition qu'ils me laissent mener ma vie sentimentale comme je l'entends. J'ai eu des histoires avec des filles mais sans plus quoi, ça se limitait à quelques baisers, une sortie au cinéma, rien de vraiment marquant. Le problème ne venait pas seulement de moi, il n'en avait pas une qui m'emballait autant qu'Aksel. Peut-être une, la fille la plus jolie de ma classe, Mackenzie. Toujours à l'écoute, très sérieuse, c'est une fille modèle qui fait la fierté des professeurs et de ses camarades. Elle est sympa et s'entend avec tout le monde, quoique parfois dans la retenue. Elle intrigue ses camarades, surtout les garçons car il est étonnant qu'une fille dotée d'une beauté à s'en faire arracher les cheveux soit aussi dotée d'un gros cerveau. Elle réussit tout ce qu'elle entreprend, contrairement aux garçons qui, chaque jour certainement, demandent à la fréquenter. En retour pour eux, c'est la douche froide car chacun d'eux se ramasse un râteau avec elle.Je retourne dans la chambre où j'ai laissé mon meilleur ami. Il s'était caché sous le lit, dans une position des plus ridicules qui nous a valu un fou rire incontrôlable. Par chance, ma mère n'a rien entendu et n'a pas soupçonné la présence d'Aksel dans ma chambre. Me baissant, je l'aide à se tirer de sa cachette. La main agrippée dans la mienne, il ne me lâche pas avant d'être complètement sorti. Une fois debout, ses yeux rirent mais son sourire s’est figé. J’ai dû me faire violence pour ne pas détourner le regard, il est si… attirant. Est-ce qu’il avait conscience de l’effet qu’il me faisait ? Je me mordille la lèvre bien malgré moi et ce geste ne l’a pas échappé. Il s’est avancé vers moi, mêlant mes doigts aux siens, pour s’approcher doucement de mon visage. J’ai l’impression de me retrouver dans un film tourné au ralenti, alors que mon esprit tourne à plein régime.
I cannot, you need… you need to leave right now. Je suis trop nerveux pour sortir une phrase correcte.
Be quiet, West. il a murmuré. Murmure qui vient de trahir son état d’esprit car je viens de sentir le contact de sa bosse sur ma cuisse. J’écarquille les yeux, pas le temps d’encaisser l’information que je les ferme pour répondre au baiser qu’il vient de me faire. M’écartant dans un moment de lucidité, j’ai cru voir de la déception sur le visage d'Aksel, qui a déserté à la seconde où nos regards se sont croisés. Il aurait voulu que ça continue mais je suis resté muet. Je n’ai pas tenté de me justifier. Devant mon silence, il s’est approché de la fenêtre, la meilleure chose qui me soit arrivée dans ma vie s’apprête à partir. Et je reste les bras ballants près de mon lit, sans chercher à le retenir.
Wait ! j’ai fini par crier. Je me rapproche à mon tour de la fenêtre où mon meilleur ami était perché, prêt à sauter. Le regard qu’il me lance me fait presque regretter mon action. Mon visage est tellement crispé par la concentration que je peine à lui sourire.
I’ll see you tomorrow at the same hour. Hochant de la tête, il saute. Il cache au mieux sa déception puis s'en va sans se retourner. Lasse, je m’écroule sur mon lit, le visage enfoui dans l’oreiller. Et je sens les larmes qui tentent de percer la barrière de mes paupières. Je n’ai pas été capable de lui dire que je ressentais la même chose que lui. Quel abruti fini j'étais !
Quelque temps après, j’appris que le lycée m’a mis avec Mackenzie, en duo pour un projet. À la fin de l’année, le duo qui aura remporté le plus de suffrages recevra un prix. Alors nous deux, on s’est mis tout de suite au travail. Les garçons jalousent ma place car tous veulent passer du temps à ses côtés, même si certains ne comprennent rien à ses explications. Les autres ne s’y intéressent tout simplement pas, préférant rêvasser sur ses jolies formes. J’ignore si j’ai eu du pot car Mackenzie se montre très enthousiasme en ma compagnie. Elle doit sûrement penser qu’avec moi elle ne pouvait pas plus mal tomber puisque j’arrivais après elle dans l’estime des professeurs. Est-ce stratégique ou le hasard des choses ? Impossible de le savoir. J’ai continué à voir Aksel sans pour autant réussir à lui avouer que ses sentiments étaient réciproques. Il ne semble pas s’en offusquer, ce qui me conforte car je ne veux pas le perdre. Faut croire que j’ai été naïf de penser cela, un jour j’ai invité Mackenzie chez moi pour continuer notre projet. Ma mère a insisté pour qu’elle reste manger avec nous et je n’ai pas soulevé d’objection. Après qu’elle soit repartie chez elle, ma mère me fait une confidence à faire froid dans le dos. Elle trouve Mackenzie absolument parfaite et m’a demandé ce que je pensais d’elle. Jolie mais pas au point de me faire tourner la tête comme elle le fait à mes autres camarades. La personne dont je suis amoureux, c’est Aksel, pas Mackenzie. Un matin, quelque chose me réveille. Mon dernier souvenir, c’est le réveil que j’ai programmé à l’heure où je suis censé me lever. Un truc cloche. Je n’entends pas l’alarme, je perçois autre chose. J’entrouvre mes yeux et ce que je vois me cloue sur place. Terrifié, je me redresse sur mes deux coudes mais on me repousse sur le matelas. Mackenzie est à califourchon sur moi, en petite tenue. Ella a ce sourire que je ne lui connais pas.
What the hell is going on, Mick ? Mick est le surnom que je lui donne.
Shh, you're gonna blow it. Je ne comprends rien, je suis perdu, c’est pas net tout ça. Mackenzie se penche pour me lécher un téton et recouvrir mon torse de baisers. Whut, où est passé le haut de mon pyjama ? Sérieux, repousse-la ! Mais non, je me baisse sur le côté du lit pour le ramasser quand la porte s’ouvre à la volée. Nos visages se tournent vers les têtes qui viennent de faire leur entrée, celles de ma mère et d'Aksel.
Une rage folle et soudaine s’empare alors de moi, je viens de tout comprendre. Cette femme, ma propre mère, m’a piégé. Tordue comme elle est, elle a dû soudoyer Mackenzie, lui promettant je ne sais quoi, pour qu’elle prenne place dans mon lit au moment où je me réveillerai et faire venir Aksel, le garçon qu’elle n’aime pas, pour qu'il me découvre avec elle. Ce qu’il avait vu lui suffisait et il est parti aussi vite qu’une flèche. Je pousse Mackenzie hors du lit et me dépêche de le rattraper, non sans lancer des éclairs à ma mère au passage. Je déboule dans le jardin, Aksel marchait d’un pas rapide et ça m’a pris plus d’une minute pour lui faire face, stoppant sa course. Il a le visage blême, blafard. Son expression blessée me fend le cœur, j’ai mal pour lui.
Forget what you’ve just seen, that's not what happened last night. I don’t love her, we're only working together, anything else. She means nothing to me. Aksel, do you believe me ? Do you believe me, right ? Je me suis avancé vers lui pour le forcer à relever sa tête, il l’a détournée, sans doute pour cacher son immense déception.
No, I don’t believe you, I… I waited too long. I've decided, West, I’m dumping you. I don’t wanna see you any more. Mes yeux se remplissent de larmes.
Don’t look at me like that, I’m the one who's supposed to feel bad, not you. Il n’y avait plus aucune joie dans sa voix. De la colère mêlée à de la tristesse. Non c’est impossible, ça ne peut pas être fini. Pas comme ça. Je refuse d’imaginer cette éventualité.
You cannot do that to me, Aksel. Not after all we've been through together. J’attrape son poignet mais il me repousse violemment.
Can you leave me alone, PLEASE ? Je comprends sa colère, je le maintiens fort avant qu'il ne m'échappe.
No, I can't. I lo... I NEED TO BE ALONE, DON'T YOU SEE THAT ? Ses yeux étaient injectés de sang lorsqu’il me crie cette phrase qui a eu l’effet d’un couperet sur moi. Je dois le laisser partir, il a trop souffert à cause de moi. J’incline la tête pour mieux regarder la pelouse mais je ne vois rien, c’est flou, tandis qu'Aksel me bouscule pour disparaître pour de bon de ma vie. À mon grand désespoir. Je suis incapable de dire si la longue plainte que j’ai entendue vient de moi ou d’un klaxon de voiture.Ce jour-là, j’ai changé. Quelque chose s’est détruit, brisé en moi. Le regard vide et dénué de chagrin, je me mets à poser des questions, à tout remettre en cause. Plus jamais je ne laisserai ma mère ou mon père me dicter ma vie. Je suis malheureux par leur faute, la mienne aussi car je n’ai rien fait pour les en empêcher. Je n'ai pas non plus été capable de dire à Aksel que je l'aimais vraiment.
Your shyness'll kill you, m'avait dit un ami à mon père. Dès lors, j’ai compris qu’il faut que je m’en aille et l’université d'Harvard que mes parents ont fréquenté dans leur jeunesse m’apparaît comme une évidence. Ils veulent m’envoyer là-bas depuis que je suis né et je n’ai nullement l’intention de m’y opposer. Toutefois, ce sera la dernière chose que j’accepterai venant d’eux. Après, qu’ils soient heureux ou pas de ma vie, je ne vais pas céder et à ma grande surprise, ils digèrent plutôt bien mon choix d’études en Amérique. Faut croire qu’ils ont décidé de me laisser tranquille car ma mère s’est sentie coupable du piège qu’elle a tendu à Aksel et mon père l’a réprimandée pour ça. Il n’y a pas que les jeunes qui ont des problèmes visiblement. Cependant, après tout ce qu'il m'est arrivé au Laos, ils sont déterminés à ce que je reste en contact avec eux, pour mieux me contrôler étant donné que j'ai tout oublié de ma vie loin d'eux, de la mort d'Aksel en Afghanistan qui a failli me faire entrer en dépression. C'est le cas puisque je prenais différentes drogues pour oublier et rester performant malgré le tourbillon qu'était ma vie à Harvard. Je n'en garde aucune trace, à mon grand désarroi car le dernier souvenir qui me revient après mon agression est tout aussi douloureux, il me met en scène dans une version plus jeune cherchant Noora dans toute la ville, qui est partie sans me dire adieu, laissant mon coeur mutilé au bord de la route.