Neelam, elle est née à New Delhi en Inde. New Delhi c'est sa ville, littéralement. Tout pourrait lui appartenir quand la plupart lui appartint déjà. New Delhi c'est la capitale que dirige son père jour et nuit. Ganesh Shankar, ça ne dit peut être rien ici, nom bloqué par l'océan, mais en Inde c'est une célébrité, une divinité adulé autant qu'haït, il fait la loi, la pluie et peut être même le beau temps. Neelam, son père, c'est le plus riche promotteur immobilier de l'Asie du Sud, le petit roi de l'empire Shankar. Alors Neelam, c'est une princesse. Sheherazade moderne enfermée dans une cage dorée toute son enfance, à regarder de haut, dans sa grande tour de building - parce qu'il y a que ça qu'elle connaît - les gens d'en bas, minuscules. Petite Neelam, elle pouvait passer des heures à leur inventer des vies, sûrement meilleurs que dans leurs rêves les plus fous.
+ Luxe indécent, admiré, jalousé. Luxe sale. Elle se souvient parfois dans ses cauchemars, des hommes en noirs Neelam. Menaçants, balafrés ou au contraire apprêtés commes des princes. On l'enfermait dans sa chambre quand ils venaient, en bande ces charognards, avec sa nounou quand elle était petite, seule quand elle était plus grande. Ça se lit dans les yeux, sûrement pas sur les lèvres, ces hommes, c'était la mafia. Organisations criminelles d'une ampleur inimaginable en Inde et dont son père à elle, en était l'un des chefs.
+ Neelam est intelligente, cultivée, croyante. Elle a reçu de l'éducation privée, éloignée des enfants de son âge, habituée à côtoyer les adultes, enfant ayant grandi trop vite. Y'a toujours cette étrange lueur de vieille maturité dans ses yeux, d'interdits bridés au fond des pupilles, rapidement oubliés par un esprit conditionné. Douée avec les chiffres, redoutable en débats, à faire le bonheur du géniteur pour faire pleurer la mère. Neelam, c'est une déception. Elle ne sait pas danser, chanter, correctement coudre ou cuisiner, plaire. Elle déteste les futilités, séduire, elle est comme on l'a élevée sans être ce qu'on a toujours voulu qu'elle soit. Un putain d'homme.
+ En Inde, une femme n'est que mère, épouse, main d'oeuvre. Neelam, elle pourrait être meilleure que chacun des hommes de ce fichu pays, son père ne voudrait toujours pas d'elle a ses côtés dans l'entreprise.
Là n'est pas ta place. Ça entretient la rancoeur ce genre de phrases, l'envie de se venger. Neelam se revendique féministe, engagée ici aux états unis. Elle veut faire avancer les choses, mettre sa scandaleuse fortune au profit de sa cause. Ça a quelque chose d'égoïste. Altruiste, Neelam ne l'est pas. Si elle soutient cette cause, c'est uniquement parce que cela la concerne, qu'elle voit ici une opportunité de briser le plafond de verre qui l'encercle depuis trop longtemps. Neelam, elle veut une voix, même des centaines de milliers. Elle veut hurler pour que tout change. Quand on la voit, on comprend pourquoi les ouragans sont nommés comme les femmes.
+ Harvard est un échappatoire à la crasse brillante de sa vie. Harvard est une fuite organisée, un exode validé d'un commun accord avec la famille. Un contrat. Quatre ans là bas loin des complots, de la honte, de la mafia, quatre ans à perdre pour découvrir une autre culture et revenir ensuite. Ensuite, c'est quoi ensuite ? Ensuite, Neelam, elle le sait. Olympe de Gouge du vingt et unième siècle, sa guillotine n'est pas de bois et de métal mais de chair et d'os. Neelam, elle a le couperet, la menace du mariage arrangé en perpétuel équilibre précaire dansant au dessus de sa nuque élégante. Elle ne le connaît pas, elle le sait juste. C'est la tradition, la loi chez les Shankar. Son futur mari est probablement un arrogant fils de... aussi riche, aussi sombre qu'elle, son alter ego, choisit par son père évidement, homme qu'elle n'a jamais vu, jamais connu et qu'elle ne compte jamais rencontrer. Neelam dira non. Quitte à couper les ponts - manière polie pour signifier de s'être fait renier - autant le faire le plus tard possible et profiter du compte en banque encore un petit moment.
+ Un dragon d'ambition sans moyen d'être distraite, voilà ce qu'est Neelam. On la reconnaîtrait entre mille, sophistiquée, toujours vêtue de tailleurs de luxe, grande amoureuse de Chanel d'ailleurs, apprêtée et sans défauts, elle se sait belle sans en jouer. Elle aime lire, écrire, être seule ne la dérange pas, vivant dans un immense penthouse dans le quartier aisé de Boston. Elle fait beaucoup de natation mais est pourtant très pudique, éducation oblige. Elle n'est pas vierge, c'est son plus immense secret et elle continue à faire croire le contraire, afin que cela ne remonte pas, d'une manière ou d'une autre, aux oreilles, de sa famille. L'argent pourrait dans ce cas là, ne plus couler bien plus tôt que prévu. Elle n'a jamais eu de relation, n'a jamais fréquenté personne, n'est jamais tombé amoureuse. Sa bêtise, c'était un coup comme ça, le seul et unique d'ailleurs parce qu'elle était bourrée, fêtant son arrivée en Amérique, influencée par la vie hautement débridée des étudiants d'Harvard par rapport à la sienne, si sage, si stricte. Elle se déteste d'avoir faibli et ne sort plus, préférant passer ses soirées dans des lieux hautement plus respectables avec des personnes de son rang ou chez elle à travailler. Elle se veut digne, quoi qu'il arrive...
Oh c'mon babe, it's Harvard...