MARCO TENENBAUM ► Alessandro Dellisola

Pour toi qui n'as jamais quitté la Nouvelle-Orléans de ta vie, prendre l'avion est une grande première. L'hôtesse de l'air vient de t'indiquer ton siège et t'a laissé te débrouiller seul avec ton sac. Tu lèves les bras pour ouvrir le compartiment et y fourrer ton bordel. Tu voyages léger, tu as déjà envoyé toutes tes affaires à ton nouvel appartement par camion, ce voyage n'est que la dernière formalité de ton déménagement. Tu refermes maladroitement le compartiment et prends place sur ton siège. Tu boucles tout de suite ta ceinture sans même attendre les instructions de l'hôtesse. Tu n'as pas peur Marco, tu es juste légèrement tendu. Tes grandes jambes touchent le siège de devant, tu te dis que les prochaines heures vont être terriblement longues. Un vieux se présente à tes côtés et te demande implicitement de te lever pour prendre la place près du hublot. Un long soupire s'échappe de tes lèvres et tu finis par t'exécuter sans un mot. Tu n'es pas très bavard et tu apparais comme un homme plutôt hostile, fermé à l'approche. Même quand une jolie jeune femme comme là, te demande également de te pousser pour venir s'installer juste à côté de toi. Tu ne lui décroches pas un regard et restes impassible. Tu es un séducteur mais pas dans n'importe quelle condition, ni avec n'importe qui. Le charme, tu l'as, tu sais simplement l'utiliser à bon escient.  Tu n'as pas énormément de copines à ton compteur, tu as dû te caser deux ou trois fois, pas plus. Par contre, pour ce qui est des one night, tu as été un peu plus généreux. Tes yeux clairs se lèvent vers l'inconnue à côté de toi, elle arrive à te décrocher un faible sourire. Tu n'as pas le coeur à flirter aujourd'hui, tu es nostalgique et légèrement triste. C'est toute ton enfance que tu laisses derrière toi pour rejoindre Boston, pour retrouver ta fratrie. Tu as un frère et deux soeurs. Tu les aimes, chacun à ta façon. C'est pour l'un d'entre eux que tu sors de ta zone de confort. Maddox. L'unique raison de ton déménagement. Elle te manque, tu n'arrives pas à vivre loin d'elle et plus largement, loin de ta fratrie. Pour toi, la famille est ce qu'il y a de plus important dans la vie. C'est l'essence même de ta présence sur terre. Sans eux, tu n'es rien du tout. Tu n'as pas donné beaucoup de nouvelles de toi depuis qu'ils ont désertés la maison. Tu es resté silencieux mais aujourd'hui, leur absence a eu raison de toi. A ton tour, tu quittes le domicile modeste pour Boston. La fille à tes côtés engage la conversation avec toi, tu ne lui réponds que brièvement. L'hôtesse fait son fameux discours sur les consignes de sécurité et quand elle a enfin terminé, tu en profites pour t'isoler avec de la musique dans les oreilles. Tu passes les trois prochaines heures à te plonger dans les abîmes de ta vie. Tu griffonnes encore et toujours des mots sur un carnet, tu en profites même pour faire un petit bilan sur ta vie. De l'enfance parfaitement pauvre que tu as eu, à la manière dont ta vie a pris un virage à cause de ton ex et cette sensibilité qui n'est apparu que tardivement en toi. Tu as énormément de choses à dire. Tu retraces chaque fait marquant, c'est ton histoire. Tu n'entres pas dans les détails, tu as trop peur que quelqu'un tombe sur tes écrits, tu restes donc dans le superficiel. Personne n'a besoin de savoir qu'à l'époque, tu as levé la main sur ton ex, qu'elle t'a dépouillé du peu de chose que tu possédais. Elle a fait de toi l'homme mystérieux et anormalement calme que tu es aujourd'hui. Tu as toujours été très bordélique dans ta vie, c'est à croire que tu te complais dans les situations les plus houleuses et glauques. C'est un chapitre qui se clôture, une énorme page qui se tourne. A travers ces mots, tu dis adieu à ton ancienne vie, tu es enfin prêt à en démarrer une autre à Boston. Tu fermes ton carnet noir et lorsque l'avion est immobilisé, tu suis l'effet de panurge et sors de l'engin.

Tu avances dans l'aéroport qui t'est complètement inconnu, tu regardes tout autour de toi, tu es admiratif. Tu vois Maddox au loin, elle est venue te chercher en pensant passer seulement un week-end en ta compagnie. Tu ne lui as pas encore dit que tu vas de nouveau pouvoir faire pleinement parti de sa vie. Ton sourire s'étend jusqu'à tes oreilles et tu te diriges vers elle. Sans même jeter un regard à ce que tu fais, tu déposes ton carnet noir dans la première poubelle venue et tu continues ton chemin. C'est symbolique pour toi. Tu gardes ta petite soeur en visuel et quand enfin tu arrives à sa hauteur, tu la prends dans tes bras pour ne plus jamais la lâcher.

Boston, te voilà.