( you break me down, you build me up, believer. oh let the bullets fly, oh let them rain, my life, my love, my drive, it came from pain, you made me a believer )
January 2011 - Mexico City, Mexico.
Les coups pleuvent sur elle au même rythme que celui de la pluie torrentielle s'abattant sur le métal gondolé des toits de son quartier. Le corps recroquevillé, Daya entoure son visage de ses bras menus, se protégeant tant bien que mal de la fureur patriarcale tant redoutée. Elle n'avait pas trouvé le courage de leur annoncer la nouvelle elle-même. Ainsi, son ventre légèrement arrondi et les bavardages de voisinages ont rapidement eu raison de son terrible secret. Ce fut tout d'abord un déferlement d'insultes auxquelles elle n'eu le temps de répondre, avant qu'ils ne saisissent sa crinière d’ébène pour lui inculquer une correction supposément bien méritée. Un acte d'une violence inouïe, même pour une jeune fille née dans la plus grande pauvreté, depuis longtemps habituée à la crainte des figures masculines, même celles de son plus proche entourage. Car ce soir, ce sont ses frères et son père qui se partagent l'ingrate figure du bourreau tandis qu'ils repeignent son épiderme d'ecchymoses naissants, vestiges du passage de leurs poings vengeurs. Les pleurs et supplications de leur soeur, alors à peine âgée de quinze ans, ne parviendront pas à attendriront pas leurs coeurs, trop aveuglés par la haine qu'ils portent à l'enfant à naître. Une honte sur leur famille davantage qu'une énième bouche à nourrir, car le père n'est autre qu'un rival, dont le sort s’avérera pire que celui de sa douce. Nul besoin de menaces à l'encontre de Daya lorsque ses tortionnaires finissent par abandonner son corps meurtris derrière eux. Elle se sait dès lors répudiée par les siens, bannie des terres qui l'ont vue naître et sans espoir de refuge. Au moins son enfant n'aura pas à voir cela, un unique soulagement quant à l'arrêt imposé de cette grossesse indésirée. Familles ennemies, amants maudits, destins tragiques.
( Ces plaisirs violents ont des fins violentes. Dans leur excès ils meurent, tels la poudre et le feu que leurs baiser consument. Roméo et Juliette. )
( life can be bright in America if you can fight in America life is all right in America if you're a white in America )
March 2011 - Tijuana, Mexican border.
Quatre semaines se sont écoulées depuis sa fuite de Mexico City. Un mois, que Dayanara se fait ballotter de villes en villages, tantôt à pied, le bitume et les déserts usant ses semelles trouées, tantôt accompagnée par divers animaux de ferme, alors cachée dans la remorque d'un camion. En parlant de chez elle, elle ne s'est pas gênée pour voler le pécule familial accumulé au cours de ces dernières années, un argent sale gagné au prix de leur appartenance à l'une des Maras de la ville. Mais elle n'éprouve pas la moindre culpabilité à l'égard de ceux qui l'ont impunément chassée, après l'avoir battue puis laissée pour morte. Ils sont morts à ses yeux, au même titre qu'elle l'est aux leurs. Ou du moins, elle le sera réellement si jamais elle remet un jour les pieds chez eux, car ils le sauront. Les bruits courent vite, les gens laissent traîner leurs yeux partout, et ils parlent. Ils ont parlé pour sa grossesse, et ils parleront à nouveau. L'honneur est ce qu'il y a de plus sérieux vers chez eux, étonnamment davantage parmi les truands. Alors elle est partie. Désireuse de réussir aux Etats-Unis, la gamine s'est armée de son courage pour traverser la frontière qui sépare les deux pays, parfois obligée de remettre sa confiance et sa propre vie entre les mains d'autres truands. Des passeurs, qui ont bien failli lui faire faux-bond à de multiples reprises. Un voyage d'un mois, dangereux et épuisant, qui l'a menée jusqu'à Tijuana, à quelques mètres de son rêve Américain, dont un immense mur et des hommes armés la séparent. Elle était accompagnée d'une dizaine d'autres clandestins, hommes, femmes et même enfants, lorsqu'elle a essayé de passer la frontière pour la première fois. La seconde aussi. Et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'elle parvienne enfin à passer entre les mailles du filet et fouler le sol américain. Pendant les quelques semaines passée à tenter sa chance, elle n'a jamais osé penser à faire demi-tour. L'idée était bien tentante, la frontière étant particulièrement dangereuse pour une jeune femme de son âge, mais elle l'était probablement moins que les ruelles de Mexico City. Témoin de la pauvreté et du désarroi du monde parmi tous les migrants, elle n'avait d'autre choix que de s'accrocher à la vie. Puis à ses rêves aussi.
( En Amérique, tout est possible. West Side Story. )
( for the wretched of the earth there is a flame that never dies. even the darkest night will end and the sun will rise. )
May 2011 - San Diego, USA.
Une fois la frontière passée, Daya passa plusieurs jours à errer dans San Diego. Seule, face à la violence de la rue, avec la lune pour seul témoin. Heureusement, elle ne tarda pas à attirer l'attention d'un couple. Un couple aux belles valeurs, qui décida de la recueillir et de tout mettre en oeuvre pour régulariser sa situation. Lui octroyer un visa, lui donner une chance. Une chance dont elle n'a jamais eu de cesse d'être pleinement conscience. Rares sont les migrants à être autorisés à rester sur le territoire, même parmi les enfants. Avec le recul, Dayanara doit beaucoup au couple qui l'a acceptée au sein de leur famille. Eux qui se sont battus pour elle dès qu'ils ont eu vent de son histoire. Des militants, qui lui ont transmit cette soif de justice et d'égalité, dans un monde où l'égoïsme règne. Se sont également eux, qui se sont assurés qu'elle soit acceptée à Harvard, en demandant le renouvellement de son visa. Et bien qu'ils n'aient aucun lien de parenté, ils sont à ses yeux ce qui se rapproche le plus d'une figure parentale. Emmenée dans un centre pour mineurs clandestins, Daya a demandé à avoir un avocat, à qui elle a finalement pu raconter la vérité. Elle a également raconté son histoires, les sévices subits par sa famille. Elle a parlé des Maras, du trafique de drogues et d'armes, un sujet jugé qui a rapidement attisé la curiosité du gouvernement. Ainsi, après avoir divulgué un maximum d'informations aux Etats-Unis, ces derniers ont décidé de lui octroyer un premier visa, afin qu'elle puisse être scolarisée en Amérique du Nord.
( Don't go wasting your emotions, lay all your love on me. Mamma Mia! )
( i had a dream my life would be so different from this hell i'm living so different now from what it seemed now life has killed the dream I dreamed )
December 2017 - Boston, USA.
Son visage se crispe tandis qu'elle fait face à la secrétaire du bureau de l'immigration à Boston. La nouvelle est tombée, et elle n'est pas bonne : son visa va expirer. Pour cela, elle peut remercier Trump et sa politique anti-immigration. Convoquée pour être sommée de quitter le territoire Américain d'ici la fin de l'année scolaire en cours, Daya a l'impression d'être tombée dans un piège. Victime d'une mauvaise blague qui n'est pas prête de prendre fin. Après toutes ces années, tous ces efforts. Savent-ils, qu'elle a travaillé deux ans, à récurer des toilettes, avant de pouvoir se permettre de payer ses études ? Savent-ils ce qui l'attend, de retour au Mexique ? Daya s'est fait une vie, des amis. Elle ne peut pas rentrer, elle s'y refuse. Car les Etats-Unis sont devenus sa maison. L'injustice dont elle souffre lui glace le sang. Elle aurait envie de vomir, de hurler sa haine. De se soulever face à ce système corrompu. Doit-on obéir à une loi injuste ? A une loi qui trahit nos valeurs ? La réponse est non. Lorsque la loi est injuste, il faut la changer. En attendant, elle se sent trahie Daya. Elle est épuisée, dépitée. Elle décide de se faire discrète, en attendant de trouver une solution. Demander la citoyenneté pourrait prendre des années. Elle se terre dans l'obscurité, elle qui voudrait être sous les projecteurs. Un prix qu'elle est prête à payer. Pour elle, mais aussi tous les autres. Tous ceux qui se battent pour leur liberté, forcés à immigrer, accueillis dans les pires conditions et renvoyés chez eux, à l’échafaud. Victimes de la cruauté humaine. Meilleur ne veut pas dire meilleur pour tous. Il est pire pour certains. Voilà, le fameux "monde meilleur" que nous promettons. Un bonheur battis sur le malheur du plus grand nombre.
( Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont faits aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine. Antigone. )
( here’s to the ones who dream, foolish as they may seem. here’s to the hearts that ache; here’s to the mess we make. )
April 2018 - Cambridge, USA.
Depuis gamine, elle rêve de célébrité. D'amour, de reconnaissance. De briller parmi les étoiles. de vivre sa passion pleinement, sur les planches, sous les projecteurs. Elle veut partager avec le public, s'exprimer, chanter, danser, jouer. Vivre à travers d'autres histoires, et surtout les raconter. Raconter des histoires et transmettre son rêve à d'autres, comme d'autres lui ont transmis le leur. Daya elle fonctionne dans l'échange, la connexion. Elle a besoin de voir au delà de l'individualisme. Il y aurait tant de façons de faire. Créer une association, devenir avocate, médecin, travailler dans le social, ou même dans les langues. Enseigner, l'histoire, la littérature. Tout est possible et Dayanara elle a trouvé sa voie. Le théâtre. Cela fait trois ans maintenant qu'elle est à Harvard, trois ans qu'elle s'est lancée dans ce projet fou. Créer une troupe de théâtre afin de présenter une oeuvre à la fin de l'année. De préférence une comédie musicale, mais le choix appartient avant tout à sa troupe. C'est leur façon à eux de changer les choses.
( J'éprouve comme un changement dans mon corps et une sorte de feu dans tout mon corps. J'suis simplement là, je vole juste comme un oiseau, comme de l'électricité ... oui, de l'électricité. Billy Elliot. )