JOY ROWAN ► Emily Rudd

Mon psy, je ne le sentais pas. J'étais pas contre les psy à la base, et j'savais qu'il y avait du vrai derrière les paroles de Mila lorsqu'elle m'avait dit que ça me ferait du bien de pouvoir me confier à quelqu'un "d'extérieur" après ce qu'il c'était passé. Mais voilà, le feeling ne passait clairement pas, et à chaque nouvelle séance, j'avais encore moins envie de me confier à lui.
- Vous êtes avec moi Joy ?
- Oui oui répondis-je, relevant mes yeux vers lui.
- J'étais en train de vous demander si vous pouviez me parler un peu plus de Karl cette fois.
Je restais silencieuse, affalée dans le canapé, regardant vaguement par la fenêtre. C'était ma façon à moi, dans ces circonstance, de garder ma carapace bien en place. Plus jamais je n'écouterai Mila pour ce genre de trucs.
- Est-ce qu'il vous manque ?
Bien sûr qu'il me manquait. On avait 16 ans tout juste lorsqu'on s'était rencontrés et.. je crois que je l'avais aimé tout de suite. Éperdument, de façon disproportionnée aussi, peut-être. J'étais folle de lui. Il était mon âme soeur et encore aujourd'hui, j'avais du mal à virer cette idée de ma tête. Il fut mon premier amour, ma première fois.. et également responsable de mes plus grandes folies. Je ne voyais que par lui.
- Oui..
- Est-ce que vous avez conscience aujourd'hui, du mal qu'il vous a fait ?
- Oui répondis-je à nouveau dans un léger soupir, fuyant clairement son regard.
Je n'aimais pas parler de ça. De cette relation si passionnelle, et si destructrice dans laquelle je m'étais plongée corps et âme. Oui, il y avait eu des moments difficiles, beaucoup de disputes et de larmes. J'avais dû faire beaucoup d'efforts pour lui, pour être quelqu'un de bien, quelqu'un qu'il mérite. Et clairement, je ne m'étais pas rendue compte de l'emprise qu'il avait eue sur moi, sous tout ses aspects. Je m'étais éloignée des mes frères et soeur, j'avais laissé tomber mes projets d'études.. pour lui. Mes parents ? Ils n'étaient tout simplement pas là pour me mettre en garde, et j'avais été assez stupide pour ne pas écouter Jax lorsqu'il avait plus ou moins endossé cette figure paternelle. Même lorsque j'étais revenue avec un oeil au beurre noir, j'étais encore parvenue à lui trouver des excuses. Cette fois là, et toutes les fois qui ont suivi. J'avais peur.. mais je l'aimais trop pour me rendre compte à quel point il était nocif pour moi. Aujourd'hui, je regrettai d'avoir été aussi faible, aussi nulle. De m'être perdue à ce point.
- Vous voulez me parler de l'accident ?
- Non.
Non, je ne voulais pas parler de ce soir là. Tout simplement parce que toutes les nuits, j'avais l'impression de revivre ce moment, encore et encore. Les larmes sur mes joues, après une énième dispute. La main de Karl qui se posait sur ma cuisse silencieusement, promesse d'une réconciliation dont je ne savais plus quoi penser. Cette impression d'étouffer, de n'être plus que l'ombre de moi-même.. avant le choc. Terriblement brutal. La douleur qui me coupait le souffle.. et le sang, partout sur moi, sur lui..
- Changeons de sujet. Si vous me parliez de vos parents ? Vous avez pu aborder le décès de Karl avec eux ?
Mes parents, ça faisait longtemps que j'avais appris à vivre sans eux. Alors autant dire que je ne m'étais pas précipitée pour leur raconter tout ce qu'il s'était passé, sachant très bien que de toute manière, Mael, Jax ou Mila s'en chargeraient.

Quand j'y repense, le courant n'était vraiment pas passé entre ce psy et moi. D'ailleurs, je n'étais pas retournée le voir après ce dernier entretien. Et je m'en étais tout de même sortie, puisque quatre ans plus tard, j'avais reçu ma lettre d'admission pour Harvard. Et ouais les gars, rien que ça ! J'allais intégrer l'université en même temps que Mael en septembre et clairement, maintenant que j'avais retrouvé ma joie de vivre et ma bonne humeur, il me tardait. Trois semaines déjà qu'on était arrivés à Cambridge et même si la Nouvelle Orléans me manquait, je savais qu'on allait tous vite s'y faire. Même si j'étais loin d'imaginer le bordel que cela allait être.