KIM WILEY ► Karole Spootnik Asso

« La nostalgie est une séductrice… ça nous coûte de nous débarrasser de ses vestiges parce que nous pensons que ce sont des souvenirs qui nous rappellent certains moments de bonheur mais… c’est faux ! » La Casa de Papel

C'était une journée pluvieuse, une sombre journée d'automne. J'avais la boule au ventre, le cœur en miette, la haine dans le regard. Tout ça, c'était de sa faute, à lui. Mais à elle, aussi. Nina, sale garce. Elle n'avait pas assez, de foutre ma famille en l'air, pour finalement tuer ma mère involontairement ?  Pour moi, c'est cette catin qui l'a achevée, c'est à cause d'elle que j'ai plus de mère. Quinze ans et plus de repères. C'est pas normal de vivre ça, et de ressentir autant de sentiments paradoxaux. J'écoutais le prêtre faire sa messe, devant la dernière demeure maternelle. D'un blanc ivoire, pur. Il y avait quelques mois à peine, j'étais là pour dire au revoir à mon frère ainé. Aujourd'hui, c'était pour elle. L'homme à soutane demandait qui voulait prendre la parole après son long discours, et ma grand-mère fut la première. J'étais la dernière, et j'avoue que je ne savais pas réellement quoi dire. Je sortais le discours d'un enfant perdu, un peu gauche, alors que mes larmes divisaient mon visage. Je racontais mes plus beaux souvenirs, mais cela me rendait au contraire bien plus dévastée. C'était mon dernier adieu à celle qui m'a donné la vie.

« Les phrases que j'oublie, bourrée dans la nuit et ton corps qui se tord seulement pour me plaire, mais tu sais, moi, je mords tes rêves imaginaires » hit sale, Thérapie Taxi

Deux ans se sont écoulés depuis la mort de ma mère. Dans un élan de destruction, j'ai commencé la drogue, l'alcool, les fugues, la provocation à l'état pur. J'étais forcée de vivre chez mon père, qui invitait trop souvent sa pute. Mais j'avais trouvé mon petit coin de réconfort dans les bras de cette fille, rencontrée au lycée. J'ai complètement eu un coup de foudre pour elle, mais j'avais du mal à lui avouer. J'étais jeune et je ne savais pas tellement comment dire ce genre de chose. C'était tellement puissant que j'étais effrayée. C'est elle, au bout de quelques mois, qui a fait le premier pas. J'étais accro à ses yeux bleus, à ses lèvres chaudes, à sa peau douce, à son odeur. Ca a duré trois ans. Les trois plus belles années de ma vie, que j'ai foutues en l'air, du jour au lendemain, sans aucune explication. J'ai pété un plomb, après un coup de téléphone du paternel qui m'apprenait qu'il allait épouser Nina. Je ne pouvais pas supporter un truc pareil. Je ne voulais pas voir ça. Je ne voulais pas que Cloé me revoit dans un sale état. Un matin, je me faisais passer pour malade. Une excuse bidon. Je savais qu'elle n'allait pas revenir de la journée, trop prise par ses cours, ce qui me laissait le temps de faire mon sac et de laisser un pauvre mot, que j'ai finalement jeté dans la poubelle. J'ai fui, lâchement, pour la préserver. Du moins, c'était ce que j'espérais.

« Je voulais que tu saches que j'adore la façon dont tu ris. Je veux te serrer fort et faire partir ta douleur au loin. Je garde ta photo et je sais qu'elle me sert bien. Je veux te serrer fort et dérober ta douleur. » broken, Seether ft. Amy lee

Cloé. Trois années d'absence. Trois longues années à parcourir le monde et ses coutumes, en solitaire, toujours avec ta photo dans mon porte-feuilles. Je ne t'oublie pas, jamais. J'ai souvent songé à rentrer pour te retrouver. J'ai trop souvent eu peur que tu me remplaces. Tu as dû le faire, finalement, peut-être que t'es même bien plus heureuse sans moi. C'est la énième lettre que je t'écris sans oser te l'envoyer. Je suis rentrée en Floride, aujourd'hui. Mon père a enfin divorcé d'avec Nina, j'ai décidé de le pardonner. Il a vu ta mère, la semaine dernière, elle lui a dit que tu allais bien. Je suis contente. Tu sais, j'ai des lentilles, maintenant. Fini les lunettes de secrétaire pour rester des heures devant mon ordinateur pour coder. Ca me fait les yeux bleus, comme à toi. Je me rappelle encore la profondeur de ton regard et j'en tremble encore. Tu me manques, Cloé. C'est pas à cause de toi que je suis partie. Je voulais pas que tu me vois au fond du gouffre. Je ne sais même pas si tu vas réussir à me pardonner. Je l'espère, du plus profond de mon être. J'arrive dans trois jours à Cambridge. Tu me manques, je t'aime.

J'ai écris cette lettre, et pour la première fois en trois ans, j'ai eu les couilles de l'envoyer. Les trois jours se sont écoulés, et me voilà devant la grande porte du hall de l'université, une clope au bec, en attendant de l'apercevoir, la boule au ventre.