RYO SUZUKI ► Kim Jisung

Je suis né à Osaka, en février 94. J'y ai vécu avec mes deux parents et ma petite sœur de quatre ans ma cadette, dans un vieux quartier miteux où créchait les magouilles mafieuses de mon géniteur qui avait tendance à avoir la gâchette facile. Ouais parce que dans la famille, on a pas les mains propres. Enfin, ça allait plutôt bien je suppose, jusqu'à ce que les flics débarque chez nous pour l'embarquer, après ça, on l'a plus jamais revu et je crois que c'est pas plus mal. Évidemment, il était pas juste un père et un mari « aimant », c'était aussi un gros pilier financièrement parlant alors lorsqu'il a terminé derrière les barreaux, ma mère a dû se trouver un job, puis deux parce que c'était jamais assez. Je l'aidais comme je pouvais, on faisait de notre mieux. On commençait seulement à s'en sortir un peu quand, deux ans après, on a apprit que Yoko, ma petite sœur, était atteinte d'un cancer. Bien sûr, on ne bénéficiait d'aucune aide financière parce qu'on était endetté jusqu'au cou, alors il a fallu qu'on fasse sans et je l'admets, ça a été le début du chaos. La totalité des soins revenait cher mais il était pas question qu'on laisse s'éteindre le seul rayon de soleil de ce gouffre dans lequel on vivait quotidiennement. On s'est battu, jours et nuits, on a donné tout ce qu'on avait. Ma mère bossait plus qu'elle ne dormait, de mon côté je faisais la plonge le soir après les cours, dans des restaurants, des maisons de retraites. On s'est toujours donné au maximum, on était soudé, même lorsqu'il s'agissait de tomber de haut.

Malgré ça, nos efforts n'étaient toujours pas suffisant. C'est en voyant l'état de ma sœur se détériorer qu'elle a songé à la dernière des options ; la plus dégradante qui soit. C'était une belle femme, elle ne laissait généralement pas les hommes indifférents alors elle a vendu son corps, je crois que l'espoir de garder son enfant en vie a effacé tout le dégoût qu'elle a pu éprouver envers elle-même en se rabaissant à ces activités-là. Certes, c'était pas très glorieux comme façon de gagner de l'argent mais ça permettait de payer les soins aisément et de rembourser une partie des dettes qu'on accumulait. Je suppose qu'on avait pas d'autres solutions alors j'ai rien dis, j'ai laissé faire et je me suis occupé de ma sœur, de ses séjours répétés à l'hôpital. Je prenais le rôle de ma mère, parce que je pouvais pas faire autrement, mais à côté de ça je continuais de bosser après les cours pour l'aider un peu. Cette connerie d'espoir a prit un terme un an et demi après le diagnostic de la maladie ; tout ce temps à s'être acharné, à s'être battu n'avait finalement pas suffit. Yoko est décédée à l'âge de onze ans, fatiguée de rendre les coups dans le vent. C'était sûrement trop à encaisser pour une enfant, j'imagine qu'on pouvait pas la forcer à se battre davantage, elle avait déjà fait de son mieux et malgré le fait que son départ nous avait arraché le cœur, on était terriblement fiers d'elle.

Toute ma vie avait toujours tournée autour de ma sœur alors lorsqu'elle s'est éteinte, je savais plus trop ce que je devais faire, comment vivre, qui être et comment agir. À partir de ce jour-là, j'ai été vidé, complètement. Malgré ça, j'ai dû mettre tout ça de côté pour soutenir ma mère qui menaçait de s'écrouler jour après jour. Faut dire que c'était difficile de tenir debout en vivant un quotidien comme le sien ; elle s'était salie, elle avait tout donné et ça n'avait pas marché. Malheureusement, sa réputation avait rapidement fait le tour du quartier et on ne parlait plus que de « la pute bon marché » comme ils l'appelaient souvent, cette femme qui n'avait pas su « sauver cette pauvre gosse ». C'en était trop de devoir sortir et encaisser les regards, les ricanements, alors on a déménagé avant qu'on ne se laisse totalement bouffer par ces vautours. On a prit nos économies et on s'est tiré à Tokyo pour démarrer un semblant de nouvelle vie en laissant derrière nous nos démons. C'est dans la capitale que j'ai terminé mon adolescence. J'ai continué mes études dans un établissement publique et surtout ; gratuit. J'étais en mécanique et design automobile et j'ignore comment, j'ai obtenu mon diplôme. J'étais passionné de dessin, de mécanique, j'ai combiné le tout et ça m'a apporté la réussite j'imagine. Au delà de ça, j'étais un geek éprit par l'électronique, alors à part via internet, j'avais pas vraiment de potes. Je m'étais un coupé du monde pour la simple et bonne raison que l'humain en lui-même m'avait assez dégoûté comme ça, alors j'ai abandonné l'idée d'être sociable et je me suis mis dans le piratage informatique, qu'il s'agisse d'un simple site ou de m'introduire dans un système complexe, plus rien ne m'échappe. C'est ma façon de dire au monde que ouais, je l'emmerde.

L'été qui succédait mon diplôme, j'ai rencontré une fille. Particulière, je l'admets. Toki, c'était un phénomène comme on en trouve nulle part ailleurs. Au début, elle avait l'air juste un peu folle mais ça semblait être dans sa nature, mais plus je la côtoyais et plus j'en apprenais sur elle. En réalité, elle était vraiment dingue. Elle était borderline et atteinte de troubles qui m'échappait totalement mais je crois qu'au final, le plus fou de nous d'eux, c'était bien moi. J'ignore comment c'est arrivé, mais je suis tombé amoureux de sa folie, de ce qu'elle dégageait et c'était sûrement une mauvaise idée, mais j'avais plus grand-chose à perdre de toute façon. Je suis devenu dépendant et ensemble, on a brûlé des voitures, on s'est infiltré illégalement dans des magasins pour casser tout ce qui nous tombait sous la main ; on était un peu les rois du monde. C'est à cette époque là qu'elle a commencé à m'appeler Tokyo, pour le simple union de nos deux prénoms et en hommage à la capitale dans laquelle on s'était connu. Puis c'est resté et tout le monde a prit l'initiative de me nommer de cette manière. Je vivais quelque chose d'incroyable, d'imprévisible et peut-être d'un peu dangereux ouais, mais au fond, qu'est-ce que je risquais de plus que ce que j'avais déjà vécu ? L'adrénaline c'était devenu un mode de vie et je me voyais aller loin avec Toki, quitte à connaître une fin tragique ; je craignais plus rien, je me pensais invincible, inatteignable, et en effet, encore une fois, je me suis bien cassé la figure.

Huit mois de folie à m'enfoncer toujours plus dans cette relation nocive dont je pouvais pourtant pas me passer, et je retombais de mon nuage, vivement ramené à la dure réalité. Ma mère était tombée malade, à croire qu'on cherchait à m'achever. Impossible pour elle de payer les soins et c'est pas mon salaire de mécanicien et mes bonus de pickpocket qui payerait quoique ce soit, alors j'ai tout lâché. Toki et son amour pour le risque trouvait la solution facile en braquant quelques magasins de luxe, je revendais et j'empochais l'argent que j'utilisais pour faire guérir ma génitrice. J'y prenais goût, j'aimais ça et on visait toujours plus haut. J'avais ma partenaire, mon acolyte, toujours avec moi et ça lui plaisait certainement plus qu'à moi. Seulement voilà, tout ne peut toujours pas tourner comme on le prévoit et en prenant en compte à quel point le cours de ma vie avait emprunté des chemins inattendu, j'aurai sûrement dû m'attendre à ce que ça arrive. Lors d'un braquage, une balle a atteint Toki et elle s'est effondrée sur le sol. Je l'ai vu se vider son sang, là, sous mes yeux. J'ai à peine eu le temps de prononcer son prénom qu'elle s'était déjà éteinte, j'ai seulement dû fuir pour pouvoir semer les flics. C'est ce qu'on appel un parcours épineux, mais on s'y fait à la longue, on s'adapte. Quoi qu'il en soit, j'ai tout arrêté après ça et j'ai regardé ma mère s'éteindre à son tour. J'avais plus rien alors j'ai pris l'argent qu'il me restait et j'ai quitté la capitale pour les états-unis. J'ai pris la première destination du panneau d'affichage et je suis partis. J'avais pas trop le choix de toute façon, j'étais bien trop recherché au Japon.

Je voulais recommencé de zéro, sur de nouvelles bases, j'avais vingt ans passé et je savais pas trop où aller, j'avais même plus de quoi payer une nuit dans un motel miteux, j'étais fauché. J'ai airé et j'ai vécu dans la rue durant huit mois, je me suis débrouillé comme j'ai pu et puis j'ai rencontré Lhassa. Elle était inattendue mais elle m'a tendue la main et je l'ai saisi. Elle m'a hébergée et ça m'a permit de retrouver une situation plus ou moins stable. Je savais plus trop quoi faire, qui devenir alors je sortais et je dessinais ce que je trouvais dehors. Un jour, un mec un peu louche s'est arrêté et il m'a proposé de me prendre en apprenti dans un salon de tatouage, j'avais vingt-et-un an et j'avais vraiment besoin de me trouver une place alors j'ai accepté et ce phénomène un peu tordu m'a tout appris, il m'a tatoué et m'a fourni mon premier dermographe. J'ai pu louer mon propre appartement, j'avais l'impression d'avancer un peu plus et deux ans après, j'ai investis dans mon salon. Alors bon, c'est vrai que je suis toujours pickpocket, que je revends les biens que je vole pour rembourser mon crédit, mais je suppose que les vices, les mauvaises manies, ça s'en va pas du jour au lendemain. À l'heure actuelle, j'essaie juste de mener ma vie comme je l'entends ; j'essaie juste de reconstruire ce qui a été bousillé, même si parfois certaines pièces font défauts. J'imagine que pour être heureux un jour, il faut s'efforcer de faire ce qu'on a jamais su faire dans le passé.