SAMUEL WHIGHAM ►Ben Barnes

Septembre 2017.
Trigger Warning: Mention d'un suicide.

« Papa m'a appelé, j'arrive pas à croire que tu lui ai dis ça ! », sa sœur entra d'un pas décidé dans son appartement, trousseau de clés à la main. Sam ne releva même pas la tête, les yeux toujours fixé sur son ordinateur. Il avait déjà un devoir à rendre avant la fin de la journée et il comptait bien s'en débarrasser au plus vite, notamment avant d'oublier et de se retrouver défaillant dans cette matière. Maintenant qu'il commençait à se frotter au métier – vraiment, pas assis sur une chaise, Sam avait du mal à rester concentrer sur ses cours. Bien sûr, la théorie est importante lorsqu'on veut devenir neurochirurgien. Tant de chose à apprendre, à retenir et à appliquer. Mais maintenant qu'il était en 6ème année et qu'il travaillait à mi-temps à l’hôpital en tant qu'externe, il savait qu'il n'y avait pas de meilleur endroit pour apprendre que sur le terrain. « Tu comptes vraiment m'ignorer ? Parce que je sais que c'est ton truc, de pas parler et rester dans ton coin, mais tu peux pas lui faire ça, Sam. », la voix se fit pressante. Sam soupira, ses doigts tapant les derniers codes d'accès avant de laisser son fichier s'envoler. D'un geste, il repoussa le fauteuil du bureau et le laissa glisser sur le plancher jusqu'au milieu de la pièce. Sa sœur, 1m65 de charisme et détermination, le fixa d'un air abasourdi. C'est vrai qu'il n'avait peut-être pas assez réfléchi avant de s'adresser à son géniteur, mais même après réflexion, le résultat n'aurait pas été très différent. « Excuse-moi de ne pas vouloir assister à cet événement où notre père va se marier à la femme avec laquelle il a trompé maman pendant près de quatre ans ». Il était là, le problème. Rien que l'idée d'enfiler un costard pour célébrer un amour qui avait coûté la vie d'une autre personne... Il pouvait pas. C'était pas envisageable. Sam pouvait transgresser des dizaines de règles sans difficulté, mais remettre son intégrité en question n'était pas en option.

L'atmosphère dans la pièce se transforma immédiatement. Une tension s'installa, vibrant aux dessus de leurs tête. C'était le cas dès que le sujet de discussion se tournait vers leur mère. « Sam... Ca va faire 8 ans que maman est parti... » Sam reconnu la compassion dans ses paroles, celle que lui-même avait employé tant de fois envers elle dans sa jeunesse. Cependant, la douceur de sa sœur ne l’apaisa pas, bien au contraire. Il en pouvait plus d'être considéré comme le petit gamin qui arrivait pas à tourner la page, qui restait bloqué sur un événement du passé. Comme s'il était censé tout oublier. Sam quitta son fauteuil, gagnant maintenant en hauteur face à son interlocutrice. Un rictus s'imposa sur ses lèvres et il secoua la tête, empli d'incrédulité. « Arrête de dire qu'elle est parti. Elle est pas parti, elle s'est taillé les veines dans une putain de baignoire avec des lames à deux dollars l'unité. Elle est morte il y a huit ans, et notre père est avec sa poule depuis douze ans. Tu trouves ça normal, toi ? Parce que moi je trouve ça faible et petit, et il peut toujours attendre pour que je joue le fils parfait à son mariage ». Les mots s’enchaînèrent plus vite qu'il ne les pensa, mais le fond y était, peu importe la forme. Sa sœur resta silencieuse un instant et Sam pouvait presque voir l'estime qu'elle avait pour lui diminuer à la seconde. Comme toujours, il était obligé de rappeler que sa mère était tellement dépressive que la seule solution qu'elle trouva fut de se prendre la vie alors que sa fille était quelques portes plus loin dans le couloir. C'est sa sœur qui l'avait retrouvé, et c'est sa sœur aussi qui lui avait rapporté la nouvelle alors qu'il était en voyage humanitaire au Faso. Il était tellement obnubilé par l'idée de sauver le monde, qu'il n'a même pas pensé à sauver sa famille d'abord. Tout le monde savait sa mère dépressive, lui inclus, mais tout le monde prétendit que tout allait bien dans le meilleur des mondes. C'est ce qu'elle voulait, après tout. Pour quelles autres raisons serait-elle resté quatre ans avec un homme qui ne la respectait pas ? « Okay. Très bien. Ne viens pas au mariage, c'est ton choix. Tu peux tenir papa responsable de la mort de maman si tu le souhaites, mais ça, ce que tu fais là, ça aura des conséquences, Sam. Il va pas seulement couper les ponts, il va aussi te couper les vivre et crois-moi t'auras l'air idiot quand t'auras plus assez d'argent pour te payer tes costumes hors de prix et tes virées à travers le pays ». Sam encaissa les pics qu'elle lui lança avec calme. Elle avait certainement raison, mais ce n'était pas suffisant pour le faire changer de position. Personne d'autre n'était apte à lui cracher ses quatre vérités au visage comme elle le faisait. Peut-être qu'elle n'acceptait aucune des décisions (parfois non réfléchies) qu'il prenait, mais une chose était certaine. Elle surveillait ses arrières coûte que coûte et pour ça, Sam sera toujours reconnaissant.




Mars 2018.

Six mois. Six mois, que son père a cessé de remplir son compte en banque. Peut-être même qu'il a retiré quelques zéros. Sam pourrait pas le dire avec certitude – il n'a jamais été le meilleur comptable au monde et ne s'est jamais occupé de ses papiers. La seule chose dont il se préoccupait était sa carte bleue. Tant qu'elle était accepté, le reste il s'en fichait. Pendant quelques temps, il a continué à vivre comme il le faisait avec son compte d'antan. Puis, il s'est rendu compte que son appartement, situé dans un des quartiers respectés de la ville, n'était pas gratuit. De même que les courses qu'il entassait dans son réfrigérateur. Des soirées qu'il organisait. Que ses livres de cours. Tout s'est enchaînait si rapidement, qu'il n'a rien vu venir. La seule chose qu'il sait, c'est que maintenant il est obligé de dormir dans sa voiture et de se faufiler dans le complexe sportif pour garder un semblant d'hygiène. Ses chemises sont froissées parce qu'elles traînent en boule au fond de son coffre, ses chaussures sont de l'ancienne collection et ses cheveux auraient besoin de passer entre les mains d'un coiffeur.

Sam, il sait pas quoi faire. Il sait pas quoi faire, parce que toute sa vie, il s'est reposé sur ses acquis. Sa générosité du passé, son désir d'aider les autres, au final n'était qu'un moyen de nourrir son égo. Regardez-moi, je suis la solution à vos problèmes. Et d'une certaine façon, il pense toujours de la sorte. Le manque de confiance en lui lors de sa jeunesse, s'est transformé en un besoin de contrôle absolu. Devenir neurochirurgien a toujours été son rêve, en dehors de jouer Batman, évidemment. Il s'est convaincu que c'était pour aider les autres, sauver des vies.   Et beaucoup le voit comme ça ; un homme qu'il faut suivre, un leader. Le fait est, Sam ne fait pas confiance aux autres, il ne croit qu'en ses propres capacités. Cet orgueil dissimulé apparaît très certainement dans la liste de ce que les gens lui reproche, mais au final, ils n'y peuvent rien. Parce que Sam, il est bon. Il fait le sale boulot. Il vote pour les décisions que personne n'ose prendre. Sam, il sait que ses défauts énervent, mais il sait aussi que ce sont ces derniers qui feront de lui le meilleur chirurgien au monde. Du moins, c'est ce qu'il pensait jusqu'à récemment.

La vérité, c'est qu'il est pas sûr que son père va continuer à lui payer ses études. Harvard, c'est pas la fac du coin. C'est pas un endroit que t'intègre sur un coup de tête et c'est certainement pas celui que tu quittes sans regret. Sam, toute sa vie, il a voulu faire ses études dans cette école prestigieuse. Son père l'a encouragé, malgré leurs différences. Mais la vérité, celle qui fait mal, c'est que Sam, il est plus très sûr de vouloir devenir neurochirurgien. Non, lui, il a besoin d'adrénaline, d'action. D'être celui sur qui tout repose. D'être les quelques secondes décisives. Et c'est pourquoi, depuis quelques mois, l'idée de tout plaquer et de devenir secouriste-ambulancier se fait de plus en plus insistante. La question ne se posera pas, si son père vient à ne plus financer ses études. Le truc, c'est que Sam vit pour sa future carrière, quelle qu'elle soit et il est pas sûr de qui il est sans cette liste d'objectifs à atteindre qu'il s'est fixé.