Le professeur passe dans les rangs, ajustant au fur et à mesure ses lunettes sur son nez et tu l'observes silencieusement. Tu adores ce moment. Celui juste avant de savoir ta note, cette petite attente et ce doute. Auras-tu une bonne note ? Peut-être. Et il annonce ton nom « Freya » et s'avance de ton pupitre. Sans commentaire, il jette une feuille sur ta table et tu baisses les yeux. Un sourire naît sur ton visage parsemé de tâches de rousseur. A+. Encore une excellente note. Tu n'as personne à qui l'annoncer : les amis, au collège, ne se font pas vraiment nombreux. Pourtant, tu habites à New York. Il y a tellement d'habitants dans cette ville, qu'avoir des amis doit être facile. Mais pas pour toi, jolie Freya. Toi, tu es la petite binoclarde bizarre, qui chantonne des airs que personne ne connaît et marche en se dandinant bizarrement. Oui, tu as besoin de semelles mais pas d'argent pour en avoir, alors en attendant, tu as une démarche de canard. Tout le monde se moque de toi à cause de ça et de ta scoliose. Tu ne sais ni marcher ni te tenir droite. Quelle horreur. Mais là, tu es heureuse. Tu tournes la tête, à droite, à gauche, tu entends plusieurs élèves se plaindre. Eux n'ont pas assez bien révisé, ils ne passent pas leur temps à le faire comme toi. Ils ont des amis. Ils sortent. Ils font la fête. Tout ce que tu ne connais pas. Finalement, tu te lèves de ton siège puisque la sonnerie vient de retentir et te dirige à l'extérieur. Il fait frais et tu tremblotes légèrement : tu n'as pas de manteau pour la saison. A la place, tu as mis deux t-shirts les uns sur les autres, ce qui a le mérite de cacher ta maigreur apparente. Tu ne manges pas beaucoup. Non, tu n'es pas anorexique, d'ailleurs, si on te mettait un bon repas devant la figure, tu le mangerais en intégralité. Mais faudrait-il encore que quelqu'un à la maison pense à faire les courses. Tandis que les autres se dirigent vers le bus, tu prends le chemin des rues des quartiers mal famés de NY à pied. Tu n'as pas peur. Courageuse comme personne, tu te dis que si on t'agresse tu pourras mettre tes techniques de combat imaginaire à bon usage. Mais rien ne t'arrive. Tu es devant la porte de ton immeuble et tu montes lentement les escaliers qui mènent à ton appartement. L'ascenseur est en panne, et tu peines un peu après plusieurs étages. Mais finalement, tu y es. Comme d'habitude, la porte n'est pas fermée, et tu la pousses lentement. Un soupir s'échappe de ta bouche. Ta mère est en train de ronfler sur le canapé, et dans sa lancée, elle a renversé un verre d'alcool par terre. Tu t'approches et tu essaies de nettoyer la moquette du mieux que tu peux. Et juste au moment où tu jettes le verre cassé, elle s'éveille. « Quinn, c'est toi ma chérie ? » Elle t'appelle Quinn et tu détestes ça. Elle est la seule à le faire : en même temps, c'était elle qui avait choisi ce prénom. Tu préfères Freya, celui que le père que tu ne connais pas t'a donné. « Oui c'est moi maman, tu es allé faire des recherches de job aujourd'hui ? » C'est à elle de pousser un soupir, et tu comprends qu'elle n'a pas bougé de devant la télé depuis le début de la journée. Tu ouvres le réfrigérateur et trouves une bouteille de bière entamée et une pomme qui s'est retrouvée là par hasard. « ça sert à rien, personne veut me prendre. Tu peux me passer de la bière Quinny .. » « Non ! Maman, il faut que tu te bouges, nous n'arriverons pas à payer les factures à la fin du mois ! » Mais elle s'en fiche. Et toi, tu commences à pleurer. Tu sais que dès que tu auras l'air d'une adulte, il te sera obligatoire de travailler même illégalement pour garder l'appartement, l’électricité, l'eau .. « Il faut que tu travailles maman .. Je peux t'aider à chercher dans le journal, si tu veux .. » Tu t'es agenouillé face à elle. Et sans crier gare, elle te gifle. Les larmes commencent à couler sur tes joues et tu te précipites dans ta chambre. Quand est-ce que cet enfer finira ?
[...]
Il t'a abordé lors d'une soirée. Ta première soirée. Au lycée, tu ne peux y échapper à présent. Tu n'as pas été invitée mais quelques unes de tes connaissances t'y ont traîné. Il fait nuit, la fête se passe à l'extérieur d'une maison et il y a beaucoup de bruit. Cela te donne mal à la tête. Mais tu restes, sirotant tranquillement une boisson composée de tu ne sais quoi. Il y a de l'alcool, dedans, mais tu ne le sens pas. Ta tête commence à se faire plus légère, et tu ris sans même savoir pourquoi. Une de tes amies s'approche de toi et te dit. « Tu vois le mec là bas ? » Tu te tournes et tu observes. Elle te montre un grand homme, avec une coupe de cheveux bruns ébouriffée. Il est beau. Tu le remarques tout de suite. Un sourire vient se greffer sur ton visage et tout de suite, tu sens la température monter dans ton corps. « Oui, et alors ? » La fille glousse comme une idiote et s'accroche à ton bras. « Il me plaît mais son pote vient de me dire qu'il a carrément flashé sur toi .. » Tu restes un moment interdite. « Sur .. moi ? » Tu finis ton verre et le pose sur le bar. « Ouais, va lui parler, allez ! » Elle te pousse et tu trébuches avant de tomber par terre. Tout le monde se moque de toi, et les larmes viennent rapidement trouver tes yeux. Alors que tu penses fortement à fuir cette fête, tu vois une main devant toi. Tu la prends, et on te relève. Tu l'observes dans les yeux, ton sauveur. C'est lui. Il a un sourire aux dents blanches et rigole un peu, mais il ne se moque pas. « Je n'aurais pu laisser une fille aussi jolie par terre. » « Je suis la seule à être tombée. » Ses amis s'éloignent, les tiens aussi. Vous restez seuls. Alors, il te prend par le bras et t'amène à l'intérieur de la maison. Tu apprends que c'est la sienne. « Tu n'es pas dans notre lycée, si ? » « Non, j'ai eu mon diplôme l'année dernière .. » Ainsi, il est plus vieux que toi. Au lieu de te décourager, cela t'incite à te rapprocher de lui. Vous parlez durant plusieurs heures. Il t’entraîne alors dans une chambre à coucher et commence à t'embrasser. Tu découvres des sensations, plus nouvelles les unes que les autres. Que c'est agréable. Tu veux embrasser, embrasser, embrasser jusqu'à la fin de ta vie. Et tu te demandes pourquoi tout le monde ne le fait pas à longueur de journées. « On devrait fermer à clé .. » « Pourquoi ? » Il te regarde d'un air équivoque. Il se lève et verrouille, avant de revenir vers toi et de déboutonner ta chemise. A l'époque, tu t'habillais comme une gentille fille. Chemises et jupes plissées. Tu n'étais pas très folle. « Je t'apprécie beaucoup, tu sais .. » Il t'embrasse dans le cou et tu te laisses charmer. Il est tellement parfait tu te dis. Il te déshabille, tu le déshabille, vous le faites. Vous reprenez votre souffle sous les couettes, et tu as les joues légèrement roses, les yeux plein d'étoiles. Il se tourne vers toi. « Tu es tellement belle. » Avec un sourire, tu te rapproches de lui avant de l'embrasser. Il prend un petit papier et note ton numéro, car tu dois partir pour rentrer chez toi. Tu gardes précieusement le papier. Pendant un moment, tu crains qu'il t'ait roulé dans la farine, mais il répond. Commence alors une belle histoire d'amour.
[...]
« Tu me manques. » Son SMS te fait rougir. Tu lui réponds rapidement que toi aussi, avant de fermer ton téléphone et de te concentrer sur le cours. C'est ta dernière année de lycée, et tu dois absolument avoir des notes impeccables pour entrer dans l'école de tes rêves : Harvard. Tu as tout misé sur ton entrée dans cette école. Tu as travaillé durant des années pour économiser et te payer les droits d'entrée, puisque ta mère ne souhaite pas t'aider dans ta démarche. Bientôt, tu n'habiteras plus avec elle. Tu n'auras plus à supporter ses états d'âme, et l'entendre te dire qu'elle s'est encore faite virer. La liberté. Tu pourras aller à l'université avec ton petit ami, et tes amies. Le rêve. La sonnerie retentit et tu te diriges vers les toilettes des filles. Il n'y a personne. Tu te diriges vers une cabine et t'enferme, lorsque plusieurs filles entrent. « J'arrive toujours pas à croire qu'ils sont toujours ensemble .. Dire qu'au début, c'était juste un pari .. » Tu écoutes, et reconnais la voix d'une de tes amies. « Freya est tellement naïve qu'elle ne s'est doutée de rien, mais il me l'a dit, bientôt, il la jette et lui dit toute la vérité. » Tes yeux s'écarquillent. Sans attendre d'en entendre plus, tu déverrouilles la cabine pour te confronter à ta meilleure amie et la bande . « Freya .. » Un sourire s'éffiche sur son visage. Les larmes viennent à tes yeux, tes mains tremblent. « On allait pas faire semblant encore bien longtemps de toute façon .. » « Quoi ? » Ta voix chevrote. Tu la vois avec un air satisfait, croisant les bras. Les autres filles semblent plutôt perdues. « Je ne t'ai jamais apprécié Freya. Faire semblant d'être ton amie a été la chose la plus dure que j'aie eu à faire ! Heureusement, c'est fini ! » Tu tends une main vers elle, et elle la repousse. Finalement, après un rire qui s'apparenterait à quelque chose de diabolique, elle se dirige vers l'extérieur avec ses petits toutous. Tu sors ton téléphone et compose le numéro de ton petit ami. Il répond à la troisième sonnerie. « Freya ! Ça tombait bien j'allais t'appeler, ça te dise qu'on se voit à la sortie des cours, ? Je .. » « Menteur. » « Quoi ? » Tu restes silencieuse encore un moment avant de reprendre la parole. « Ce .. Ce n'était qu'un .. qu'un pari. » Il reste silencieux à l'autre bout de la ligne. Sûrement qu'il comprend de quoi tu parles. « Au début oui, mais Freya .. J'ai appris à te connaître et ce n'est pas du tout un mensonge à présent. » les larmes coulent sur tes joues tel un torrent infini. Tu te mets à genoux et tu te mets à crier. Le début de ta folie. Le début de la fin. « S'il te plait pardonne moi Frey, je ne voulais pas .. » « Je ne veux plus jamais te parler. Adieu. » Comment perdre tous ses amis et l'amour de sa vie en deux temps trois mouvements.
[...]
Tu es épuisée. Le travail te tue. Tu restes encore derrière le comptoir du Starbucks où tu travailles en attendant le prochain client. Mais personne ne vient. Tu as envie de t'allonger et de lire quelque chose sous le soleil mais tu dois faire ton boulot, sinon, il n'y aura rien à manger pour ce soir. Ta mère s'est encore faite virer de son dernier travail de serveuse et tu dois soutenir financièrement la famille. Ces temps-ci, tu penses de plus en plus à ton père. Qui il est, où vit-il, s'il a une famille. Tu te demandes si un jour, tu découvriras que tu as un demi frère ou une demi sœur. Tu aimerais qu'il te demande de vivre avec lui, peut-être dans le luxe que tu ne connais pas. Mais ce ne sont que des rêves. Finalement, l'heure de la fin du boulot arrive sur l'horloge et tu enlèves ton tablier pour sortir et rejoindre ton appartement. Il faut prendre le métro pour arriver jusqu'à l'immeuble où tu habites depuis ta petite enfance. LE quartier est toujours aussi sale et mal famé, tu as peur de tomber sur quelqu'un qui voudrait te voler ton sac. Ou te violer. Car depuis le temps, ton corps est devenu celui d'une vraie femme, bien que tu sois un peu maigre. Depuis que tu as rompu avec ton petit ami, tu as perdu dix kilos. Ton visage est émacié et tes jambes comme des allumettes, mais tu as perdu le goût de la nourriture. Tu prends des bonbons de temps en temps. Finalement, tu te mets à courir pour arriver le plus vite jusqu'à chez toi. Arrivée en bas, tu sors tes clés pour prendre le courrier et te précipite dans les escaliers. Tu regardes en même temps les lettres. Et tu vois le sceau. Celui d'Harvard. Enfin, tu as reçu la réponse à ta candidature. Tu n'ouvres pas la lettre tout de suite, tu entres dans l'appartement et tu regarde ta mère. « J'ai reçu ma lettre. » « Ta lettre pour quoi ? » Tu pousses un soupir. Elle ne sait même pas de quoi tu parles. Sans laisser la tristesse d'atteindre, tu entreprends de déchirer l'enveloppe. Tu fermes les yeux. Et quand tu les rouvre, tu vois que tu es acceptée. Acceptée dans l'université de tes rêves. Tu ne peux retenir un cri et tu sautes sur place comme une imbécile. « Je suis prise ! Je pars enfin d'ici ! Enfin ! » Même pas un regard pour ta génitrice, tu cours dans ta chambre et prends ton téléphone, avant de te rendre compte, que tu n'as personne à qui l'annoncer.