CÉLESTE EVERGHTON ► jenna-louise coleman

UN.
Le 31 octobre 1994, j'ouvre les yeux. Le monde me parait innocent, comme paisible et sans défauts. Après tout, comment pouvais-je bien savoir que ce n'était que le début d'une longue série de chutes qui allaient m'arriver. Lorsque nous sommes un bébé tout vous semble beau, surtout quand vous êtes dans les bras de vos parents qui se portent un amour inconditionnel. La vie n'a que peu de signification et vous êtes à des lieux de savoir que rien n'est facile. Que vous allez tomber pour mieux vous relever. Ou que vous allez tomber, sans jamais pouvoir vous relever. Un an après ma naissance, c'est la première chute. Mais je suis beaucoup trop jeune pour comprendre ou même me rendre compte des méandres de la vie. Mon père, après être sorti de l'usine dans laquelle il travaillait afin de nous nourrir ma mère et moi, ne rentre jamais. Des policiers, l'arme à la cuisse, la casquette qui signifie qu'ils font partis des forces de l'ordre sur la tête et les uniformes parfois trop serrés après être tombé dans la boite de Donuts de Dunkin' Donuts nous informent qu'il ne reviendra jamais et qu'il faut se faire une raison sur le fait qu'il se soit envolé vers d'autres aventures et vers un monde sûrement meilleur que celui dans lequel j'ai ouvert les yeux un an plus tôt. « Nous allons partir. Nous allons partir de cette maison qui me rappelle sans cesse le visage de ton père. » Me répétait ma mère à longueur de journée. Mais encore une fois, j'étais beaucoup trop petite pour comprendre ce qu'elle me disait et ce que cette décision allait engendrer dans notre bien-être familial. C'est alors qu'à l'âge de mes deux ans, nous prenions les voiles pour partir en Amérique, là où se déroulerait notre nouvelle vie.


J'avais quinze ans désormais. Je vivais à New-York avec ma mère qui suite à l'accident de mon père était devenue beaucoup trop sur-protectrice à mon égard. Non pas que ça me dérangeait, du moins au début, c'est devenu beaucoup plus compliqué par la suite. J'étais devenue mannequin, l'une des plus jeunes et des plus populaires de ma génération. Je posais pour les plus grands photographes et paraissais dans les plus grands magazines de mode. Cette époque était grandiose, du moins c'est ce que me disait ma mère à tue-tête. « Mr. Goldblum souhaite faire un shooting avec toi ma petite orchidée, demain à 8h. D'accord ? Bien sur que tu es d'accord. » Elle ne me laissait jamais donner un avis. Mais à quinze ans qu'est-ce que vous vouliez dire à votre mère alors que vous aviez vécu toute votre vie qu'avec elle. Elle ne s'était jamais remariée suite au décès de mon père, et je ne voulais pas lui faire de la peine en lui disant que le mannequinat n'était pas la voie que j'aurais choisi. Déménager dans la ville de la Grosse Pomme pouvait avoir des avantages, moi, je n'y voyais qu'une cage doré dans laquelle je devais m'épanouir sans donner mon avis. Je n'avais aucun droit de sortir avec mes amis, de m'amuser comme le faisaient les jeunes de mon âge. Je devais faire tout ce que ma mère me disait, réaliser mon rêve. Ou plutôt, le sien. Jusqu'au jour de mes dix-sept ans. La goutte d'eau qui fait déborder le vase, le craquage à l'américaine comme peu de monde en avait vu. La célèbre mannequin Céleste Everghton chute de son piédestal ! Voilà les gros titres de la presse américaine. Un shooting de trop, une pression insupportable et me voilà dans la liste des personnes peu fréquentables.


TROIS.
Troubles mentaux. C'est ce que les médecins disaient. Du moins, seulement les dix que ma mère m'avait fait consulter. Il paraîtrait que j'étais dangereuse pour les personnes de mon entourage et pour moi-même. Allez savoir ce que ça voulait réellement dire. À l'âge de dix-huit ans, j'avais l'impression d'être caractérisée comme une sociopathe. Enfin, dans le fond, ce n'était pas complètement faux. « Il ne faut pas que les gens te voient comme ça ma petite orchidée. Nous allons partir de cette ville. » Au début, je pensais que ma mère s'inquiétait réellement pour moi et pour mon état mental. Mais ce n'était qu'une impression, en réalité elle avait seulement honte que sa fille qui avait été si célèbre pendant son adolescence avait pu être diagnostiqué sociopathe par des médecins. Elle voulait s'enfuir, me cacher du monde et m'endormir avec tous ces cachets. C'est comme ça que nous nous sommes retrouvées à Cambridge dans un luxueux appartement, payé avec la fortune que j'avais gagné en tant que mannequin à New-York. Fortune que je n'avais pas le droit de toucher et dont seule ma mère pouvait profiter.


Mon admission à Harvard s'est faite en janvier 2018. En rentrée décalée. J'espérais pouvoir enfin m'échapper des griffes de ma mère en quittant l'appartement et en vivant dans une confrérie qui laisserait parler mon imagination. « J'ai réussi. J'ai été admise. » Ma mère n'en revenait pas, elle n'avait jamais cru en moi. Je ne sais pas si c'est parce qu'elle était en mal d'amour ou si elle n'éprouvait tout simplement plus ce sentiment depuis qu'elle avait perdu mon père lorsque je n'étais encore qu'un bébé. Aujourd'hui, je ne loupais jamais mes heures pour prendre mes cachets. Je m'étais épanouie dans le marketing, certes un métier qui pouvait se montrer stressant, mais qui représentait pour moi le moyen d'être qui je suis. Malgré tout ce que j'ai pu subir dans le mannequinat, j'avais décidé d'ouvrir mon propre blog et un Instagram pour partager mes tenues et les nouvelles tendances du moment. Je m'épanouissais et rien ne pouvait se passer mal. J'étais heureuse. Mais jusqu'où ça allait durer ?