Entre deux rangées de livres

Les mots avaient eu du mal à sortir. Je m'étais imaginée dix mille fois cette scène et je n'avais jamais été à court de mots. Ce qui n'avait pas été le cas ici. Je ne savais pas comment aborder le sujet. Je ne savais pas comment lui dire que j'étais sa soeur. Après tout, je débarquais dans sa vie sans lui demander son avis. Peut-être n'avait-il pas envie de connaître sa famille biologique. Peut-être même ne savait-il pas qu'il était un enfant adopté. Toutes ces questions, je me les avais posé mentalement des dizaines et des dizaines de fois, sans parvenir à trouver une façon correct d'aborder le sujet. Ce n'était pas un sujet banal, qu'on abordait autour d'un verre. J'avais imaginé des tas de façon de le dire. La plupart du temps, c'était plutôt avec douceur que j'arrivais à dire les choses mais là. Je crois que je m'étais emportée face à son comportement que je n'appréciais pas. Son comportement m'insupportai. Et je crois que ma nervosité n'arrangeait rien. Cette librairie, c'était un peu mon cocon. Le lieu où je me sentais bien. Où j'avais un peu l'impression d'être chez moi. Et il venait d'y pénétrer en y déversant son mépris. Cela m'avait mise en colère. Je me rendais compte que mis à part notre accent anglais, notre sang et nos yeux, nous n'avions rien en commun. Il avait tout ce qu'il voulait. Et je devais bosser pour m'acheter la moindre chose. Non pas que cela m'attristait. J'étais fier d'être la fille que j'étais. Mais je me disais que nous allions avoir du mal à nous trouver des points communs. Je me voyais déjà entrain de lui parler de la pluie et du beau temps. C'était tellement idiot. Et puis ces paroles, avaient fait déborder le vase comme on dit. Malgré le froid, j'avais préféré quitter la librairie plutôt que de supporter son regard condescendant.

Dehors, je tentais de me calmer. Je me disais que toutes les chances pour lui parler, venaient de s'envoler. Et c'était en grande partie de ma faute. Je m'étais emportée contre lui, contre son attitude. Il devait me prendre pour une dingue. C'était certain. Puis ma nervosité avait augmenté d'un cran en voyant mon sac dans ses mains. Je ne m'étais pas rendue compte que je l'avais perdu. J'étais étonnée également qu'Andy l'avait ramassé. Je le reprenais sans songer une seule seconde qu'il avait pu y jeter un oeil. Pourquoi s'intéresserait-il au contenu de mon sac? Je n'étais personne pour lui. Enfin, il n'était pas censé savoir que nous étions parents sauf s'il... avait regardé les photographies. Et c'était le cas. Je l'observais. Il était inutile de mentir. Je détestais même cela. Alors j'avais répondu simplement à sa question. J'avais un peu détourné la réponse. Je ne savais pas s'il avait des photographies de son enfance. Des photographies de William, de nos parents ou de moi avant qu'il ne soit adopté et que notre famille ne se désagrège.

Un silence s'installa entre nous. Je ne savais pas quoi dire. Et je voulais lui laisser le temps de s'habituer au fait que lui et moi, étions de la même famille...Enfin famille...c'était vite dit. Je sentais mon estomac se tordre au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient.
Andy se passa une main dans les cheveux avant de s'asseoir sur le banc où je m'étais assise quelques minutes plus tôt. A sa question, je sentis mon cœur bondir dans ma poitrine. S'il posait cette question. C'était peut-être qu'il avait envie de me connaître, d'en savoir un peu plus sur sa famille naturelle. Je le regardais un instant. Puis je finis par le rejoindre sur le banc. J'étais plutôt soulagée de constater qu'il ne me fuyait pas. Enfin, pas pour le moment en tout cas. Je répondais ensuite:
« Je m'appelle Reaghan. Reaghan Elisabeth Evers. » Je ne sais pas ce qui me prenait à lui donner mes deux prénoms, ni même mon non. Cela me fit sourire un instant. « Et je n'ai pas envie de sortir avec toi. »