ASTRA KINGSTON ►maggie duran

Les pieds congelés dans une paire de chaussures définitivement pas adaptées au froid glaciale d'un mois de Décembre au Nebraska et les joues rosies par la brise matinale, Astra s'aventura timidement dans sa chambre. Son ancienne chambre. Maintenant elle servait plus de bureau qu'autre chose, bien qu'elle se rappelait pourtant d'une époque où sa mère refusait que son père n'entre dans la pièce. Il s'agissait d'un territoire interdit – presque sacré. Astra ne la jamais vraiment comprise, pas jusqu'à récemment du moins. Il lui en avait fallu du temps pour se rendre compte que sa mère vivait son départ à l'université comme un véritable abandon. Par manque de temps et peut-être d'envie, Astra mettait un peu trop de temps à répondre aux messages et aux appels et sa mère le vivait très mal. C'est son père, un soir de Février, qui l'appela car il n'en pouvait plus de cette situation ; vivre avec une femme empli de chagrin, un chagrin semblable à celui accompagnant un deuil. Astra n'était pas morte. Loin de là. En ayant entamé sa septième année à Harvard, elle peut le dire sans l'ombre d'un doute : elle ne s'est jamais senti aussi vivante que depuis qu'elle a quitté sa campagne natale. C'est un détail qu'elle se doit de taire, pour ne pas blesser sa mère, mais auquel elle pense à chaque visite. D'autant plus que celles-ci se font un peu plus régulières désormais, histoire de garder tout le monde heureux, quitte à passer ses propres sentiments au second plan.

« Est-ce qu'il sera présent ? » une voix interrompit ses pensées alors que son regard balayait la pièce.  Les murs recouverts de posters de ses chanteuses et sportives préférées contrastaient atrocement avec les piles de dossiers qui s'entassaient dans un coin du bureau – seul signe de l'invasion de son géniteur. « Hm ? » se vit-elle répondre, revenant à la réalité. Un sentiment étrange s'emparait d'elle à chacune de ses visites. De la nostalgie, peut-être ? Bien que rien de son enfance ne lui manquait. Ses parents ont toujours été aimants et attentionnés – tant que celle-ci allait dans leur sens – et elle n'avait jamais vraiment eu à faire face à un quelconque malheur. Le problème venait certainement de là, elle n'avait jamais rien vécu ici. Pas de malheurs, mais pas de bonheurs non plus. « Ton petit-ami, est-ce qu'il compte venir pendant les fêtes de Noël ? Il faut que je sache si je dois prévoir une personne en plus, tu sais bien que tante Judy va déjà débarquer avec son nouveau mari et ses quatre enfants. Je pourrais faire une table pour les enfants dans le salon, pour qu'on puisse tous tenir sur la table de la salle à manger, ça sera pas facile, mais au moins on- »

« Maman », Astra la coupa, un soupire s'échappant d'entre ses lèvres malgré elle. « Il viendra pas à Noël, c'est pas... On en est pas là, vraiment pas. Je crois pas que ça va durer et de toute façon, il passera Noël avec sa famille, ça fait même pas un moins qu'on est ensemble ». Sa mère avait toujours tendance à exagérer pour tout et n'importe quoi, mais là ça approchait de la folie. Elle n'était même pas censé savoir qu'Astra était en couple – son copain l'avait accompagné à l'aéroport et sa mère avait été témoin d'un rapide baiser d'au revoir. Largement suffisant pour qu'elle lance les projets de mariages qu'elle a en tête depuis des années. Il faut dire qu'Astra lui a rendu la chose difficile en ne ramenant aucun garçon à la maison, pas même pendant son adolescence. Le peu de relations qu'elle a eu sont restées secrètes vis-à-vis de sa famille, celles-ci ne durant jamais assez longtemps pour qu'elle fasse the annonce. Alors, maintenant, sa mère débordait de joie. Peut-être même qu'elle lui pardonnerait d'espacer ses visites si c'était pour passer du temps avec son amoureux. « Je suis même pas sûr de revenir pour Noël, j'ai beaucoup de travail et j'ai déjà dépensé pas mal d'argent en billets d'avion cette année ».

Le visage de sa mère se décomposa rapidement, mais Astra remarqua qu'il ne lui fallu qu'une seconde pour se reprendre en main et afficher un sourire. « Oh, je comprends ». Un silence s'installa entre les deux femmes. Contrairement à ce qu'Astra craignait, il n'était pas lourd. Il était étrangement réconfortant. Astra prit le temps de regarder la bibliothèque qui dans le passé était toute sa vie – littéralement. On pouvait y retrouver les livres qui avaient bercés son enfance et rythmés son adolescence. De petits articles découpés minutieusement du journal local – certains écrits par sa plume, d'autres écrits sur sa personne, se trouvaient à l’abri dans des pochettes plastiques. Cela força un sourire sur son visage. Peut-être bien qu'elle ne réussirait pas à Boston, ou New-York ou Los Angeles, ni dans aucune autre grande ville qui voit naître les plus grandes noms, mais ici, elle avait déjà réussi. Ici, les gens qu'elles connaissaient depuis toujours étaient fiers d'elle et peut-être que cela devrait être suffisant. Elle en doutait, mais une part d'elle l'espérait.

Sa mère, elle aussi perdue dans ses pensées, se mit à lui frotter légèrement le bras et ne dit qu'une seule chose avant de quitter la pièce : « Je vais parler à ton père pour les billets d'avion, on va s'arranger entre nous. »