Before it breaks (Alexander)

La soirée promettait d'être longue. Ce soir encore, elle devrait renoncer à elle-même pour pouvoir assumer les apparences. Aux heures obscures, Deirdre laisserait place à Iris, la fière Eliot à la Mystérieuse strip-teaseuse, mais cela viendrait plus tard. Alors pour oublier, ou pour se donner du courage, l'Irlandaise prenait la détestable habitude de noyer ses veines d'alcool avant le grand saut. Pour ce faire, elle aimait à changer d'endroit, histoire qu'on ne puisse pas repérer ses mauvaises habitudes. Elle prit donc place à une table de ce bar et commanda une vodka sans glace, aussitôt, la liquide brûlant fût avalé dans le gosier dérouté sans l'ombre d'un ménagement. Les doigts agiles reposent le cadavre de verre sur le bois abîmé et bruni par le temps. Les prunelles acier se font distraites vont et viennent comme souvent, pour se nourrir d'histoires imaginaires en observant les autres, pour combler le vide de sa propre âme en se replissant d'autres. Une lueur les interpelle, celle d'un jeton qu'on manipule entre des doigts hésitants. Deirdre ne peut que reconnaître cette lutte intérieure qui se joue dans le cerveau en plein doute. Alors, elle attend, elle observe de voir ce qu'il va bien pouvoir faire. C'est bien simple, elle devrait s'en foutre, mais pour autant, son regard ne peut s'empêcher de revenir à la scène, comme pour apaiser une curiosité malsaine, et son corps tressaille, prêt à secourir le naufrage qu'elle s'imagine. Comble du comble quand une Noyée veut sauver une âme coulée par les fonds.

Quand on est dans mon cas, on a des hauts, parce qu'on fait des efforts pour éviter de penser au désastre que pouvait être notre vie. Mais il suffisait d'une pensée, une simple et unique pensée pour être tiré directement vers le bas. Et ça faisait mal, ça faisait vraiment mal, au point de sentir des centaines de coups sur tout mon corps. Je tremblais, je ressentais le manque et j'avais besoin d'aller mieux. Une goutte d'alcool, c'est tout ce que je demande. Sortant en trombe de chez moi après avoir vérifié qu'Ava était bien là à surveiller Robyn, j'avais chopé ma veste et j'errais dans les rues de Boston avant de pénétrer dans un bar non loin de chez moi. Tremblant, fébrile, je me posais au bar et je sortais ce jeton qui était dans ma poche. Deux mois. Deux mois que j'étais sobre aujourd'hui. Deux mois que je n'avais pas rechuté et bordel que c'était dur. Elle me manquait, terriblement. Alors je regardais ce jeton, d'un regard perçant en espérant le faire disparaître lui et toute culpabilité qui pouvait naître en moi ce soir. Mais il était là, et je jouais avec. Mes doigts habiles le faisaient passer au dessus, en dessous, sans cesse, jusqu'à le poser sur le bois de ce bar. Soufflant, c'étaient mes deux mains qui venaient se réfugier dans ma chevelure légèrement bouclée. Je devais résister, je ne devais pas céder à cette pulsion. Robyn. Pense à Robyn Alex bordel. Les yeux fermés, je posais une main sur le jeton avant de l'attraper et le regarder un peu plus. C'était sans compter une présence qui venait se poser juste à côté de moi. « Je bois rien. » que je disais, sans regarder, sans savoir quel agenda passait dans la tête de cette personne.

Sauver les âmes désespérées, c'est pas sa spécialité habituellement. Non, Deirdre est plutôt partante pour damner les Errants pas pour les faire briller. C'est les ténèbres qu'elle apporte et non la lueur espérée. Pourtant, c'est bien Elle qui se trouve à côté de l'Hésitant, telle l'âme secourable prête à tendre la main au Désespéré qui tenterait de se jeter du haut d'un immeuble. Elle ne sait pas pourquoi et elle n'a même pas envie de comprendre. Un rictus habille ses lèvres simplement alors qu'il murmure pour lui-même ou bien pour elle, qu'il ne boit rien. La Bonté l'a prise en otage mais elle ne s'est pas débarrassée de son sarcasme. « C'est bizarre de venir dans un bar quand on veut rien boire. » Les prunelles se plissent sous l'effet de la provocation qu'elle lui lance au visage, comme ça gratuitement, c'est encore plus facile quand on ne connaît pas la personne. Ses dents viennent meurtrir furtivement la chair rosée de ses lèvres alors qu'elle fixe de nouveau son regard sur lui. « Mais je peux boire pour toi si tu veux, ça me dérange pas. » Le métallique de ses yeux passe au similaire du jeton qu'il tient toujours entre ses doigts torturés par la pulsion. « Ou je peux te sortir d'ici par la peau du cul, ça me dérange pas non plus. » Le sourire vient de nouveau éclairer ses traits malsains, une lueur plus complice venant éclairer ses traits froids. Deirdre ne sait pas vraiment l'effet qu'auront ses paroles sur le garçon mais au moins elles auraient sans doute l'avantage de provoquer une réaction.

C'était inhumain de se sentir torturé de cette façon. Cette fille était revenue dans ma vie et j'osais espérer qu'elle allait en sortir bien assez vite. Mais c'était bien trop compliqué dans le fond, parce qu'elle avait le droit à la belle vie, au diplôme d'Harvard et de ne pas se ruiner la vie à bosser partout. Seulement, c'était Az. Az en version plus pauvre et qui avait du mal à joindre les deux bouts. Et la revoir me tuait intérieurement. Et j'étais là, dans ce bar, à deux doigts de replonger dans mes vices les pires qui soient, avant d'être interrompu par une personne s'installant à mes côtés. Non, je ne boirai pas, me convainquais-je. « En effet, peut-être que j'en ai envie. » J'en ai envie, c'est certain, mais je devais pas retomber là dedans. Alors je jouais un peu plus avec ce jeton entre les doigts, comme s'il allait faire partir cette envie dévorante qui me bouffait de l'intérieur. Je finissais par regarder mon interlocutrice, puisque c'était une femme au timbre de sa voix. Elle avait des cheveux noir de jais et des yeux bleus à s'en damner. Mais qu'importe, elle semblait lire en moi la tourmente que j'étais en train de vivre. « Si ça peut te faire plaisir » Parce que dans le fond, c'est qu'elle avait envie de se bourrer la gueule si elle le proposait de cette façon. Et c'était son choix, non le mien. Mais elle avait également autre chose en tête, puisqu'elle avait vu mon jeton. Bon samaritain ? Faut croire. « Au premier regard, tu sembles plus être une tentatrice qu'une ange gardienne » Parce qu'elle était sulfureuse cette fille et poussait au vice plus qu'autre chose. Pour moi en tout cas.

Son regard s'accroche au sien comme pour jauger ses réactions, un doux sourire éclaire ses traits habituellement sévères. C'est pas vraiment son genre de jouer au bon samaritain, va savoir pourquoi elle fait ça, mais il y a longtemps qu'elle a abandonné l'idée de comprendre comme elle fonctionne. Elle lui a proposé de boire à sa place, ou bien de le sortir par la peau des fesses, et il s'est pas vexé de son intervention, ce qui est déjà pas mal. « Que je boive pour toi ou que je te sorte d'ici par la peau du derrière ? » demande-t-elle alors qu'un sourcil se hausse sous l'effet de la question. L'une ou l'autre option lui conviendrait de toute manière, et malgré les apparences salvatrices de la situation, il se peut qu'il passe en réalité une sorte de pacte avec le démon. Chose qu'il ne manque pas de remarquer apparemment. « Tu veux dire que j'ai une tête de peste, c'est ça ? » Sa moue se fait boudeuse mais qu'il ne s'y trompe pas, elle prend ça pour un compliment. Rien de pire que de laisser l'autre indifférent. « Je ne sais pas depuis combien de temps, tu luttes contre ça, mais une chose est certaine, il est plus sage d'affronter un démon à la fois. » Elle se lève subitement et fouille de ses doigts agiles le fond de la poche arrière de son jean. Elle en dégage une petite fiole transparente contenant un liquide de la même apparence, le tend à son nouveau protégé. « Bois ça. » Les prunelles incandescentes enveloppent le regard plus sombre tandis que ses lèvres susurrent. « ça va apaiser ta pulsion, ce n'est pas de l'alcool ou de la drogue, promis, juste des plantes. » Elle le gardait pour elle avant de monter sur scène et de s'adonner à sa basse pratique mais il semblait en avoir davantage besoin qu'elle, restait à savoir si il lui ferait confiance pour l'écouter sans douter d'elle.

Tout ce que je voulais, c'était en finir avec cette addiction. Seulement, elle sera toujours là, que je le veuille ou non. Dans un an, dix ans ou vingt ans, je serai obligé de me battre avec ça pour ne pas finir dépravé ou le poivrot du coin. Et c'était une étiquette assez compliquée à porter donc je préférais ne pas la porter du tout, quitte à faire tous les efforts du monde. J'avais commencé et j'étais sur une bonne lancée. Le reste cependant, c'était que j'étais dans un bar, à jouer avec mon jeton des deux mois de sobriété et on venait m'enquiquiner. « Envie de boire » Et c'était bien pour ça que je me torturais l'esprit et le corps avec cette envie qui me prenait aux tripes. C'était dur de résister et je le faisais sans rechigner, ou presque. « Et ouais, t'en as clairement une » C'était pas contre elle mais c'était sa morphologie. On peut rien y faire contre la morphologie. Alors qu'importe cette mine boudeuse, pour moi je ne pouvais rien faire de plus que d'acquiescer à ses propos. Et finalement, elle me parle de démons. On ne peut pas en battre plus d'un à la fois. Était-elle vraiment sûre de ça ? Non mais parce que j'étais en train d'en battre plusieurs en même temps et c'était pire qu'épuisant. « Je suis peut-être en train d'en combattre trois à la fois. T'en sais rien » Et puis dans le fond, qu'est-ce que ça pouvait lui faire ? Sa réaction restait des plus étranges. Se relevant et attrapant une fiole dans sa poche, elle me la tendait en me proposant de boire. Elle était vraiment sérieuse ? « Qu'est-ce qui me prouve que je dois avoir confiance en toi pour boire ça ? » Parce que clairement, ça pouvait être de la tequila, de la vodka, du gin. De l'alcool. Et même si elle m'assurait que c'en était pas, j'avais du mal à y croire. J'attrapais cependant cette fiole, l'ouvrant pour sentir ce qu'en émanait. Et ouais, ça semblait être des plantes.

Elle commence à s'amuser, il sort les griffes et a au moins le mérite de se défendre. L'addiction est une maladie qui vous expose sans cesse à votre pire faiblesse et pourtant il savait puiser une sorte de force. « Très bien. » rétorque sa voix assurée « C'est quoi ton alcool de prédilection ? » Tous les addicts en avaient un. Pour sa part c'était la vodka, bien que le whisky tienne également une place de choix. Son sourire s'élargit alors qu'il confirme effrontément qu'elle a une tête de peste. « Et tu les aime ou tu les déteste les pestes ? » Le délavé de ses prunelles se fait plus sombre alors qu'elle le jauge quelques instants. « Parce que toi t'as un peu une tête de chaton en perdition. » Et c'était plus fort qu'elle les chatons ça lui faisait bien plus de peine que les hommes. C'était peut-être ça qui l'avait conduit en mission sauvetage alors qu'elle ne le connaissait pas le moins du monde. Et surtout qu'elle avait pourtant la tenace habitude de ne sauver personne, à commencer par elle. « J'en sais rien ouais. » Ce qu'il avait traversé, ce qu'il traversait en ce moment. Pour sûr, on ne venait pas à apprécier les paradis artificiels quand la réalité était confortable, elle en faisait elle-même l'amère expérience. C'est peut-être bien elle qui aurait un jeton entre les phalanges dans quelques mois. Mais pour le moment, elle est bien trop occupée à plonger dans l'obscur. « Rien. » Autant être honnête, rien ne pouvait lui indiquer qu'il pouvait avoir confiance en elle. « Si ce n'est ton instinct et la probabilité qu'à terme, tu boives quelque chose, si tu restes seul dans ce bar. » A lui de faire la balance entre le risque et le bénéfice d'accepter son offre. Elle lui tendait la main, elle n'allait pas non plus le porter.

« Whisky. Et bière » Même s'il y a moins de degré d'alcool dans la bière, ça reste quelque chose qui peut me faire plonger. Cinq pintes et je suis à terre. Alors ouais, vaut mieux éviter de me mettre de la bière sous le nez ou du whisky, parce que je ne réponds plus de moi. Suis-je dans un bar ? Oui, en effet.. et la lutte était terriblement difficile. « Ça dépend pour quelle raison elles entrent dans ma vie » Disons que pour combler mon addiction à l'alcool, je me penchais quelques fois sur le sexe sans lendemain et ça m'aidait. Les pestes dans ce domaine sont particulièrement douées et ça, ok. Le reste, très peu pour moi. Je vois pas l'intérêt d'avoir quelqu'un de cet acabit dans ma vie. « Il parait ouais » En même temps, dur de trouver un sens à ma vie quand on a perdu autant que moi. Déjà que j'avais eu du mal à relever la tête à la perte d'Hendrix, alors maintenant, c'était encore plus compliqué. Mais je tenais bon.. du moins, j'essayais. Puis j'avais le mérite de combattre plusieurs démons à la fois, m'empêchant de me foutre en l'air une bonne fois pour toute. Et ça, la jeune femme n'en avait clairement pas idée et je ne m'empêchais pas de le lui rappeler. Et c'était le moment qu'elle choisissait pour sortir une fiole de sa poche, me la tendant en m'avouant être un truc que je devais boire. La confiance, je ne l'avais pas, mais j'ouvrais malgré tout la fiole pour sentir alors qu'elle ramenait sa science mathématique, prouvant que je finirai par céder à ma pulsion si je ne buvais pas ça. Le regard fixé sur elle, je finissais par sortir un « Ok » avant d'ingurgiter ce contenu transparent, au goût clairement autre que de l'alcool.

Ce n'était pas le genre bavard et en même temps ce n'est pas comme si elle s'était imposée dans sa soirée de torture. Elle porta seulement son intention sur le fait qu'il accepte finalement de boire la fiole présentée. Il s'était méfié et c'était parfaitement normal, rien ne pouvait que ses intentions étaient louables et ce n'était d'ailleurs pas dans ses habitudes. Elle décide finalement de s'asseoir à côté de lui et le regarde ainsi quelques instants. « Alors ? » demande-t-elle avec un sourire aguicheur. Elle est douée dans son domaine, la meilleure même, elle le sait parfaitement et elle est certaine qu'il commence à ressentir les effets apaisants de la mixture qu'elle a préparé. Elle le sait suffisamment parce qu'elle l'a elle-même de nombreuses fois expérimentés. Ce liquide au moins n'appelait pas d'accoutumance mais apportait un effet de bien-être quasi immédiat. Elle interpella le serveur et se commanda un jus de fruit « Tu prends quoi ? » demande-t-elle encourageante mais provocante aussi, on ne peut renier sa vraie nature d'un revers de main.

J'étais loin d'aller bien ce soir et me retrouver face à une provocatrice me poussait dans mes retranchements. En toute honnêteté, j'étais pas en confiance, surtout quand elle me filait une petite fiole. Et si ce n'était pas de l'alcool, qu'est-ce qui me prouvait que ce n'était pas une drogue ? J'en savais rien. Mais ses yeux bleus m'hypnotisaient et j'arrivais pas à aller à l'encontre de sa volonté, c'est à dire boire cette fiole. Je le faisais. Sans regrets. Et forcément qu'elle cherchait à savoir si les effets se faisaient ressentir, elle qui connaissait très bien le produit qu'elle m'avait fait boire. « C'est étrange.. mais agréable » Indescriptible même. Mais voilà, c'était bien ce qu'il fallait admettre, ça faisait du bien. Comme une sorte de relaxation qui venait de l'intérieur. Il fallait qu'elle m'en vende plus souvent. « C'est vraiment pas de la drogue ? » Parce que si j'avais posé la question sur l'alcool, il n'en était pas de même avec la drogue, avec laquelle j'avais également un problème. « Un jus de fruits aussi » Pas d'alcool, pas de drogue. Rien qui puisse me faire replonger de sitôt. Certes, le sucre était partie intégrante des jus de fruits mais l'addiction à ce produit n'était pas autant nocif que les deux autres pour ma vie. « Pourquoi tu m'as filé la fiole ? T'aurais très bien pu me laisser misérable que j'étais » D'autant plus que si elle l'avait, c'était sûrement pour un usage bien précis et je venais de le lui enlever.