MORE OF YOUR OWN STORY
1. J’ai toujours compris que j’étais différent. Et ce depuis mon plus jeune âge. Que je n’avais pas le droit à ce traitement de faveur que les autres enfants avaient le droit. Je me sentais punis. Peut-être avais-je fait quelque chose de mal dans le fond, peut être que la soupe que je refusais d’avaler parfois me l’interdisait à présent ? N’étais-je pas assez sage ? J’avais beau réfléchir du haut de mes sept ans, pourtant, l’incompréhension se lisait sur mon visage, et sur celui de ma mère une tristesse profonde. Surtout quand je lui avais posé la question fatidique un beau matin ensoleillé ; « Il est où mon papa ? ». De mes yeux humides, je ne mesurais pas mes mots, leurs impacts, mais j’étais déterminé à comprendre pourquoi personne ne venait me chercher à la sortie de l’école. Que je ne donnais pas de cadeau le jour de sa fête. Pourquoi tout le monde en parlait autour de moi sans que je ne puisse en faire de même. Je ne ressentais qu’une profonde frustration d’un gamin, ne pouvant que pleurer à la moindre occasion, et c’est ce que j’avais fait ce jour-là. Pleurant les larmes de mon corps quand ma mère m’avait finalement avoué « qu’il était parti », qu’il ne reviendrait plus jamais, qu’il n’existait plus. Qu’il était mort. Une réalité cruelle, idiote puisque mensongère mais protectrice. Ma mère me prenait dans ses bras, m’englobant de sa bulle défensive, me couvrant presque les yeux d’un avenir peu radieux. J’ai grandi ainsi, n’ayant que de quoi manger, ne pouvant espérer mieux et ne croyant jamais vraiment au père-noël qui avait cette salle manie d’être généreux avec la plupart, sauf moi. Mais je ne me plaignais pas. Je ne voulais pas encourir le risque de lui faire du mal. De la voir de nouveau pleurer. Comme toutes ses nuits. Où je l’entendais, tapis dans ma chambre, à boucher mes oreilles de mes petites mains, espérant de plus entendre ses sanglots devenue une mélodie insupportable, une rengaine de chaque nuit. Et je me raccroche aux dessins animés, à superman, Batman, pour ces hommes extraordinaires avec un mental d’acier. Sauvant la terre. Et je me plaisais à m’imaginer, sauvant ma maman, retrouvant mon papa dans les cieux, ouvrant une brèche dans le temps pour être heureux. Alors je me promets d’être fort, de croire en mes rêves, de garder le sourire, et surtout de le redonner à ma mère.
2. Je scrute un moment mon badge d’employé. « Tu es l’un des plus jeunes. » m’avait-on dit comme si cette information devait me réjouir. Je grimace en regardant mon prénom qu’on avait écrit maladroitement de la forme suivante ; Blese. Un affront que je ne relevais même pas, j’avais une chambre à nettoyer, un salaire à gagner du haut de mes quinze ans. Et même si ma mère m’avait presque supplié de renoncer, j’avais finalement atteint son unité, travaillant à temps partiel, jonglant avec les cours. Je me sentais capable enfin de l’aider, sentiment que j’avais ressentis une grande partie de mon existence, restant en retrait, presque inutile mais potentiellement une bouche à nourrir. Je passe la serpillière dans le couloir, m’arrêtant sur quelques détails, quelques traces cachées, j’avais l’œil pour ça. Et j’en étais gratifié. Mais ça ne me suffisait pas. Mes notes baissaient. Et une rage provocatrice avait pris le dessus. Une rage forte, angoissante, dont les mots me manquaient. Je me sentais vide, inutile parfois, encombrant. Les sensations n’étaient jamais assez fortes. Les tours dans les fêtes foraines plus assez angoissantes. Une colère grondait en moi. Elle me rendait fou. Je me surprenais le soir à des insomnies rancunières. Quelque chose changeait en moi. Je n’en avais jamais assez. Les soirées entre pote à traumatiser les nouveaux arrivants, à sentir mes poings se fracasser sur mes ennemies, même jouer les Yamakasi ne me suffisaient plus. J’en étais presque apeuré, de cette limite inexistante. Mais je continuais à foncer tête baissée, cherchant toujours plus fort, toujours plus haut, toujours plus sensationnel. Je bosse de plus en plus, j’enchaîne les petits boulots, oubliant même les cours. Tout y passe, nettoyage chez les petits vieux, le sang des tables opératoires des vétérinaires, le car wash, je donne de ma personne, tellement. Que j’en oublie le principal. Ma vie défile, le temps ne m’attends plus. Et cette envie de toucher toujours plus haut. Forcément, je ne la vois pas arriver. Je ferme les yeux. Je ne veux pas en entendre parler parce que c’est angoissant. Pourtant, elle me regarde, elle attend tapis dans l’ombre. La chute. Et tel Icare, je me brûle les ailes en approchant bien trop près du soleil.
3. Les valises en main, ma mère me regarde, presque désolée de notre condition. Déçu, mais masquant ma peine, je pose mon bras sur ses épaules en la réconfortant. Ce soir, je n’allais plus goûter au seul luxe qu’on m’avait ouvert, celui d’une maison, d’un toit, d’un lit, et surtout d’une bulle. Une enfance passée dans un endroit qui était devenu mon repère, dont j’avais apprivoisé chaque contour, chaque arrondit pour jouer, faire face à mes désillusions mais aussi à quelques joies. Les souvenirs remontent mais je tente de garder la face, je ne voulais pas que ma mère comprenne que j’étais touché. Je me devais de garder la tête hors de l’eau, même si une pierre nous collait au pied, nous entraînant dans les eaux profondes. Un licenciement pour le prix de deux. Restriction budgétaire qu’ils disaient, je t’en foutrais. Perdant nos boulot, croulant sous les dettes, la maison avait été repris par les créanciers. Nous n’avions plus rien. A part une valise. Une putain de valise où j’avais dû regrouper toute une vie. Tenant dans une minuscule valise, seize ans de ma misérable vie. L’amertume me gagnait mais je promettais au nom de mon père que j’allais revenir sur le devant de la scène. Que je me vengerai. Notre vie meilleure on y avait le droit, nous aussi.
Les semaines se suivirent, les unes après les autres, découvrant un tout autre univers. Une peur profonde grouillant au plus profond de soi. Le froid aussi mortel que glaciale, emprisonnant le corps de ceux vivant dehors qui eux, cherchent un peu de chaleur. Mais, même si la météo était une tare, et que j’avais extrêmement peur pour ma mère que je protégeais comme je le pouvais, le pire c’était les autres. Les vols, les pilleurs, les territoires à ne pas toucher. Les bagarres, les coups à essuyer, le respect à imposer, faire l’école buissonnière. Les ventres manquent. Les bouches s’assèchent. La fatigue s’accumule. Le temps nous emporte peu à peu. L’incertitude nous gagne, l’espoir nous quitte. La force n’est plus qu’une illusion. Les nuits sont d’une noirceur angoissante. Je ne dors plus. J’ai peur. On se rend compte en cet instant que les monstres ne sont pas ceux dans nos placards ou bien encore coincé sous nos lits mais bien en nous-même. Brûlant ardemment, nous rappelant assidument ce que nous sommes. Misérable. Qu’une poubelle déchiquetée. Une inutilité. La folie nous gagne par moment, mais on se raccroche à la réalité, réalisant de vieilles habitudes. Se brossant les dents, se douchant dans les salles de bains communes. Se raccrochant au peu d’humanité qui peut nous rester. Des confidences nous tenant éveillé pendant les nuits d’hiver, une brutale claque, un secret verrouillé qui avait finalement ouvert ses portes. Mon père n’était pas mort. Toujours bel et bien vivant, cet enfoiré c’était barré avant même ma naissance. Si j’avais tout d’abord été surpris, l’agitation, la vengeance grondait en moi. Si je l’avais pris autrefois pour model, aujourd’hui, je ne désirais plus qu’une seule et unique chose qu’il plonge. Le détruire.
« J’ai un travail à te proposer. » Je ne connaissais absolument pas ce type, mais il savait que je traînais souvent dans les rues, ce n’est pas la première fois que je le voyais m’observer. Il savait que je n’avais rien, et j’avais bien du mal à croire que c’était un bon saintmaritain. J’avais déjà entendu parler de vieux qui cherchait de petits jeunes pour de la prostitution ou bien encore pour simplement comme donneur d’organe et ce avec ou sans le consentement. Pourtant, même si j’étais terrorisé à l’idée qu’on puisse me désarticuler, j’avais besoin de ce qu’il me proposait. D’argent. Pour nourrir ma mère, pour me nourrir. Je l’avais suivi, m’attendant à tout, mais surement pas à ça. Je me souviens encore de l’horreur. « Tu es capable de tout, non ? » m’avait-il dit en observant mon regard effaré. « Je sais que tu es bon dans le domaine, alors je vais t’apprendre. » Aurifié, paralysé par le spectacle que le gars m’offrait je reste sur place, ne sachant que faire de plus. Je me souviens du regard de cette personne, de la lueur de terreur dans ses yeux, immobile, immaculé de sang, baignant même dedans. La nausée me prend. Je recule et bute dans le mur derrière moi. J’ai froid. J’ai peur. Et je vois cet homme s’afférer autour du corps, me donnant quelques directives. Puis le blackout. Je me souviens juste de l’odeur de mon propre vomi dans une ruelle sombre.
Le travail était bien payé. J’avais un mentor de renom. Et ma conscience était passé en mode off, tout ce que j’avais à faire c’était de nettoyer des scènes macabres, maquiller d’autres en suicide. Je me sentais comme le scénariste d’un film, le fossoyeur de l’ombre. Le « Cleaner ». C’était devenu une routine que je cachais bien entendu à ma mère, lui mentant, nous remplissant les poches peu à peu, remontant la pente avec rapidité. Retrouvant logement, argent, nourriture, et surtout la dignité que j’espérai tant. Mais à quel prix ? Celle de mon innocence.
4. Hohenstaufen. C’était donc son nom de famille. A cet enflure qui avait eu le culot d’abandonner ma mère. Le retrouver n’avait pas été bien compliqué, surtout avec les précisions de la mère. Je lui réservais un sort des plus terribles, commençant par nous rendre l’argent qu’il nous devait, celle qu’il avait tant, alors que nous vivions autrefois dans la rue. Je l’ai traîné en justice, prouvant par mon ADN que cet individu n’était autre que mon géniteur. La première fois que je l’ai aperçu c’était durant une audience, un homme grand brun, d’origine allemande qui avait causé le malheur, ravagé le bonheur de ma mère et lui aurait de plus mangé un bout de son cerveau, puisque même devant lui, elle semblait encore raide dingue. Je n’arrive pas à comprendre. Je suis partagée entre la colère et la joie. Un mélange qui me rendait dingue. Je gagne. Les dettes de ma mère s’effondrent enfin, et pour la première fois depuis longtemps je me sens bien. Reposé. En paix concernant l’argent. Ce qui ne m’empêche pas de continuer mes petits extras bien payés. Il me reconnait enfin, je gagne son nom mais me promet de le salir autant que possible. Et je suis de nouveau partagé entre l’envie de ne plus jamais le revoir et celle de lui bouffer son fric. De le rendre poisseux, misérable. De le mettre en galère, de lui faire comprendre ce qu’on a enduré moi, nous. Alors, je m’inscris à Harvard en sachant pertinemment que je n’étais pas le meilleur, et il accepte, s’engageant à payer mes années. Puis y’a Miles. Mon demi-frère. Un rejeton, lui aussi, mais le caractère aussi acerbe que notre donneur de sperme. Une nouvelle vie qui s'offre à moi, et que je compte absolument pas laisser passer.