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Terence & Hannah
(c) Little Boots.
(c) Little Boots.
- 14 avril 2009, hôpital de Cambridge.
Elle monologuait. C’est tout ce dont il se souvenait. Elle monologuait longuement sur une tirade qui semblait familière à l’oreille du jeune homme. Une pièce de théâtre certainement. Shakespeare ? Molière ? Eschyle ? Ou bien une simple conversation qui durait le temps d’une tirade ? Dieu seul le savait. L’important était que cette voix inconnue apaisait les sens de Terence malgré les dégâts de son estomac. Et de tout le reste de son corps sois-dit en passant. Sa gorge l’irritait, ses jambes semblaient hors d’atteinte et sa respiration se terminait par une furtive douleur aiguë au niveau du thorax. Mais cette voix. Cette mélodieuse voix lui fit oublier que son corps avait eu l’air de se faire écraser par un semi-remorque.
Cependant, ce n’était pas la première fois qu’une situation pareille lui arrivait. Déjà petit, il s’était fait opérer en urgence pour une méchante crise d’appendicite et, deux mois plus tard, pour qu’on lui retire les amygdales. Ce fut la période la plus rude de Terence et bien qu’il fasse la connaissance de quelques compatriotes au sein de la clinique, il se jura de ne plus jamais se retrouver dans cet endroit qu’il qualifiait lui-même de « monstrueusement morbide ». Mais, peu de chance pour lui, le pire arriva trois ans plus tard lorsque le personnel de son école l’y emmena une nouvelle fois pour une fracture de la cheville. La cause ? Sa trop grande curiosité : Monsieur voulait jouer la femme de Barbe-Bleue pour montrer à ses camarades que les garçons savaient aussi très bien se mettre dans la peau de certains rôles féminins et que monter en haut d’une tour en carton ne l’effrayait en rien. Résultat, monsieur n’en est sorti qu’à moitié vivant avec, en prime, des pleurs qui durèrent deux bonnes heures avant que l’anesthésiant passe par là. En clair, Terence a toujours entretenu une relation plus ou moins tumultueuse avec les hôpitaux. Comment savait-il qu’il se trouvait dans un hôpital ? Le bruit constant et régulier du moniteur qui se trouvait à sa gauche. Ou à sa droite. Il n’avait plus aucun repère.
Et puis l’instinct. Il en était si habitué. Les hôpitaux avaient tous ces particularités qui n’existaient nul part ailleurs : des draps rugueux et inconfortables, des coussins inadaptés pour le cou, des robes qui pouvaient causer la plus grosse crise d’urticaire au monde, des couvertures qui ne réchauffaient jamais assez et, pour finir, une odeur des plus infâmes. Celle-ci troublait d’ailleurs l’odorat du jeune homme qui prenait de la vigueur à mesure qu’il redevenait de plus en plus conscient. Et pour la première fois, il n’avait pas la moindre idée de la raison pour laquelle il s’était retrouvé à l’hôpital. Il avait pourtant essayé de ressasser sa mémoire mais la seule chose qui en ressortait fut cette sensation d’avoir subi le processus de digestion dans le sens contraire. Une chose bien terrifiante. Et avant ça ? Il se rendait à une fête en compagnie de Marloes. Le reste ? Un néant complet.
C’était bien sa veine ça.
Etant conscient pour de bon, Il décida alors de briser l’opacité de ses paupières pour ainsi les ouvrir avec une lente prudence. La lumière était excessivement claire et ce n’était en rien quelque chose de naturel. Voilà encore quelque chose que Terence pourrait écrire sur sa plainte à envoyer au bureau des réclamations : Éteindre vos foutues lampes, être économe ça ne tue personne. Mais il s’en occuperait plus tard. Après une gentille grimace, il referma vivement les yeux puis détourna le regard à sa gauche. Ainsi, il les rouvrit plus calmement. Immédiatement, il identifia une silhouette féminine assise non-loin de lui sur un siège. Une femme qui avait de l’âge, mais une belle femme. Des cheveux infiniment longs. Et roux. Terence aimait le roux. Il connaissait une fille aux cheveux roux à Harvard mais elle était plus jeune et ne cessait de courir dans tous les sens comme une girafe qui apprenait à naître. Non, elle, elle semblait si calme. Et cela rendit Terence plus calme qu'il ne l'était. Un apaisement qui renvoyait sur l’autre. Cette même femme se mit à le regarder un bon petit instant avant qu’il ne prenne la parole sans savoir que sa voix déraillait énormément. « Je vous connais vous… ». Le visage de Terence restait étonnement neutre. Son retour sur terre était visiblement difficile. Il était à ramasser à la petite cuillère. « Vous traînez sur le campus, je vous ai vu plusieurs fois » poursuivit-t-il avec cette même faiblesse dans la voix. Quant à celle de la femme aux cheveux roux, c’était bien celle qu’il entendait avant de se réveiller correctement. Cette femme à la voix douce qui monologuait sur dieu sait quoi. Terence en déduit qu’il s’agissait certainement d’un professeur. Il l’avait déjà vu. Visiblement jamais entendu auparavant. Le jeune étudiant ne se demanda même plus ce que ce professeur venait faire ici. Il l’avait deviné tout seul. « Allez-y, balancez » s’exclama-t-il avec une voix nettement plus claire, signe qu’il reprenait peu à peu ses esprits. « Je suis tombé d’une échelle ? Je me suis fait écraser ? J’ai fait un coma éthylique ? C'est ça hein ? » La dernière semblait la plus plausible en connaissance de cause. Mais ce n’était peut-être pas ça. Terence était nul pour les devinettes.
Vraiment nul.
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