Cecil de Rothschild ► Pierre Niney

C'est imprimé partout dans les journaux, sur les écrans, dans le regard des gens. C'est même écrit en grand sur les immeubles, la nuit. C'est hurlé au monde pour appuyer cette putain d'suprématie.


Cecil, vingt six ans, aîné de quatre enfants. Un jour il sera marié - avec une gosse de riche catho', faut pas trop déconner - de belles maisons et la fortune familiale en héritage, ça vend du rêve. Deux trois gosses, et un sourire crispé sur le visage. C'est ça que tu veux Cecil ? Il en sait rien, il sait pas, il sait plus. L'idéal qui se morcèle parfois dans son esprit. Mais il garde le masque de la perfection factice, toujours. Il ne faudrait pas décevoir la famille... Sidonie, Bérénice et Judith de Rothschild. Ses trois princesses, les seules femmes de sa vie, les seules avec qui c'est pas le connard qu'il aime à jouer. Trois sylphides, déesses, divines, les deux jumelles de vingt quatre ans puis la dernière, vingt ans à peine, qui fait un peu des conneries, mais elle est jeune, on pardonne. 



« Judith ? Je peux entrer ? » Il attend pas la réponse Cecil, ouvrant la porte de la chambre de sa cadette, donnant sur l'immense chambre de leur hôtel particulier parisien. « Ah mais Émile, dégage ! J'ai rien à te dire. » Elle a les yeux rives sur son téléphone à liker tout ce qui passe sur instagram, sur son lit défait, les cheveux en bataille. Elle fait très guerrière déchu Judith. « Tu devrais sincèrement aller t'excuser, père apprécierait. » Elle lève la tête, le dévisage, son Cecil, son frère, l'unique amour de sa vie, dans son costume et sa cravate qui lui sert un peu le cou, mal à l'aise. Elle peut pas s'empêcher de rigoler Judith. Dieu qu'elle est belle quand elle rit. Il peut pas s'empêcher de sourire comme un con Cecil à chaque fois que les yeux de son renard jubilent. « Tu l'a entendu comme moi Em'. C'était la connerie de trop, il m'emprisonne dans son enfoiré de pensionnat du fin fond du Yorkshire. » Elle aurait pas du aller incendier les voitures de luxes de quelques délégations étrangères avec qui leur paternel négociait de nombreux accords financiers. Un c'est ta faute Judith, qui résonne dans les yeux de Cecil. « C'est un excellent établissement Judith. Tu seras très bien là bas. Il y a la crème du gratin anglais, tu te feras des copines princesses ou je ne sais quoi... »  À peine le temps de se baisser pour éviter le coussin qui vole à travers la pièce pour venir cogner contre le lustre - en cristal - de la pièce. Bordel Ju' fait gaffe. « T'en a rien à foutre toi de toute façon, tu t'barres à Harvard sale lâche. Sido' et Bérénice t'en veulent d'ailleurs. Tu  m'abandonnes, tu l'sais en plus, que les princesses j'en ai rien tellement à cirer. » Évidement Judith, c'est la princesse de Cecil. Les autres elles valent rien. « Sido' et Bérénice pensent ce qu'elles veulent. On est en démocratie. » Elle se lève les pupilles en feux, son renard. « Un jour Émile, tu finira despote. Allez casse toi, j'ai ma valise à faire. » Il soupire le français, énervé mais tellement habitué à ce genre de sautes d'humeurs. Il s'avance, la prend dans ses bras. Elle s'abat, les larmes coulent toutes seules. Les de Rothschild comme les mousquetaires, un pour tous et tous pour un. « J'suis là Judith. Pleure pas. »    

« Allo ? » La voix nonchalante, elle doit encore être en train de défiler. Peut être. À vrai dire il en sait rien. « Bonsoir Sido'. » Un oh de surprise à peine maîtrisé, elle sert les dents, se reprend. Imperturbable serpent. « Émile de Rothschild, seigneur je rêve ! T'es vivant ? Je te croyais... je sais pas, j'aimais à t'imaginer mort et enterré avec ton téléphone. Par rapport au nombre astronomique de messages que je t'ai laissé et auquels tu n'a pas répondu si tu vois ce que je veux dire. » Le sarcasme, sa spécialité. Elle pique, pointe, sait toucher où ça blessé le plus. Cecil confirme, ça fait mal. « Je sais Sidonie, j'aurai du répondre, mais j'avais du travail et... » Et rien en fait. Il avait fait le con, refusé d'assumer. « J'en ai rien à faire de tes excuses Émile. Tu crois que ça m'a plu de savoir que tu n'étais plus avec cette Valentine par Marie-Charlotte ? Marie-Charlotte, la voisine Émile. Je sais même pas comment elle a su ça mais elle le savait avant moi. Sidonie. Ta soeur, pour t'aider à te rappeler. Tu sais très bien que j'ai jamais aimé Valentine, ça pas moi qui t'aurai fait des reproches de l'avoir larguée. Elle était profondément stupide, quoi qu'en dise père. » Père. Le mot qui glace le sang. Le grand, l'unique et l'intouchable Benjamin de Rothschild, celui qui avait approuvé les fiançailles de son fils avec cette jolie noble britannique. Sauf que Cecil, il l'aimait pas Valentine. Trop parfaite, trop bigote, le genre à approuver avec des étoiles dans les yeux tout ce qu'il pouvait dire ou faire, même les choses les plus sottes. Cecil, il aimait le défis, les filles qui lui résistaient, celle avec un sourire mutin sur le visage quand elle le laissaient seul sans avoir rien fait d'autre que boire un verre. Elles n'étaient jamais comme ça. C'était décevant. « ... » De la grande repartie à la Cecil. « T'as eu peur de l'avis de père donc t'as coupé les ponts avec tout le monde. Bien, bravo ça, c'est très de Rothschild comme attitude. Un message pour un signe de vie ça aurait été adorable Émile. Merde quoi, y'a eu des fusillades à Harvard, j'étais morte de peur à l'idée qu'il te soit arrivé quelque chose. Est ce qu'il t'es arrivé quoique ce soit ? Dit le moi Émile, j'ai besoin de savoir si tu vas bien. » Oh Sidonie, comme elle lui a manqué, sa voix de velours et ses engueulades à n'en plus finir. « Je vais... bien. Sido' arrête de t'inquiéter. Oui l'avis de père me faisait flipper, tu sais comment il est, quand il est contrarié et je veux pas que ce pourquoi je fais tant d'efforts me passe sous le nez à cause d'une fille qui n'en valait aucunement la peine. On passera ton cynisme. Et pour les fusillades il ne m'es rien arrivé. Le gars était dingue, il s'est suicidé, une balle dans la tête c'était finit. J'ai rien eu. Je suis toujours aussi beau si c'est ça qui t'inquiètes. » Un touche d'humour pour dédramatiser. Cette conversation le mettait au supplice. « Ok Émile. » Silence. « Tu me manques. »  On sent sa voix qui faiblit, qui frémit, un j'arrive hurlé loin du combiné qui défonce quand même les tympans. Même quand elle est là elle est n'y est pas Sidonie. « Toi aussi Sido'. Oublie pas que je t'aime. » Des talons qui claquent, une bise vite fait. « Je t'aime aussi Em'. Au revoir. » Ça sonne comme un adieu bordel.

Cecil, seigneur de son royaume, un prince au sommet de son everest. Il écoute absolument pas ce qu'on lui dit, il fait semblant d'être assis à son siège. Les gars lui parlent mais c'est comme si ils étaient de part et d'autre d'une porte vitrée.