(flashback) william f. carter > l'âge est un état d'esprit

« Un verre de vin s'il-vous-plaît. »
Un rire nerveux lui échappe alors que le serveur redisparaît entre les tables. Maintenant qu'elle se trouve là, il n'est plus question de faire machine arrière et de planter là l'homme qui vient de l'inviter à dîner. Mais plus elle y pense et plus c'est insensé. Il doit avoir quoi ? 20 ans , 22 tout au plus ? Elle pourrait être sa mère. Enfin, mieux valait ne pas y penser sous peine de sérieusement plonger dans la dépression. A vrai dire, il aurait été difficile de dire non vu la posture dans laquelle il l'a mise à l'hôpital.
Il y a de ça peut-être une semaine, alors qu'elle quittait un colloque, Hannah était tombée sur une scène légèrement embêtante pour l'avenir de l'université à savoir un des joueurs de l'équipe de football joliment amoché à l'épaule. Et comme le veut l'orgueil masculin, il allait sûrement assurer tout le monde que tout était en ordre et finir avec un ligament déchiré ou autre chose qui lui aurait coûté une immobilisation pendant des mois. C'est donc en levant les yeux au ciel qu'elle avait sacrifié son heure de répit entre les cours et ses premières consultations de la journée pour donner un coup de main au coach et éviter qu'un problème plus grave ne finisse par se manifester. Après tout, c'était son métier même si ce n'était pas sa spécialité. Mais s'occuper des autres avait toujours fait partie de sa vie alors difficile de s'en détacher, surtout quand on connaît les risques d'une foulure mal cicatrisée. Et le voilà qui débarque dans son service, à l'hôpital, pour sa plus grande surprise. Pour l'inviter à dîner en plus. Mais face à la tête de Jack, totalement abasourdi de voir que son ex-femme était loin de se laisser autant abattre par leur divorce qu'elle ne voulait bien le laisser paraître, elle n'avait pas pu dire non. Et cette incompréhension mêlée à de la rancoeur dans son regard … si elle avait pu avoir un appareil photo sur elle pour immortaliser sa tête, elle l'aurait fait sans hésiter rien que pour pouvoir savourer encore et encore ce moment une fois seule chez elle.
Mais maintenant qu'elle se trouvait là, dans le calme du resto tout à fait charmant qu'il avait choisi, une sorte de gêne la serrait un peu le cœur. Il allait s'ennuyer à mourir avec une femme de son âge, surtout qu'il n'avait dû lui faire cette proposition que par pure politesse sans se douter qu'elle sauterait là-dessus pour assouvir une petite vengeance personnelle. Et il devait être tout aussi gêné qu'elle de se retrouver dans cette position, à dîner avec une prof qu'il connaissait à peine. Pour étouffer sa nervosité contrôlée, elle trempe ses lèvres dans le verre de vin rouge avant d'adresser un sourire à ce jeune homme qui certes est très charmant mais tellement … jeune.
« Alors … William c'est bien ça ? Comment va votre épaule ? Vous avez suivi mes consignes j'espère ? Je n'aimerais pas vous voir arriver par la porte des Urgences un beau jour. »
Bon au moins, ils touchent à un sujet qu'elle maîtrise et qui aura peut-être le don de détendre un peu l'atmosphère. Mais tout cela lui semble un brin irréel et elle commence à se persuader qu'il ne doit attendre qu'une chose : échapper à ce repas et s'enfuir tranquillement vers sa vie d'étudiant fêtard. Un nouveau rire s'échappe des lèvres de la rouquine alors qu'elle ose enfin un regard franc dans la direction du joueur de football.
« Ecoutez William, j'apprécie énormément votre invitation que je trouve absolument charmante. Mais vous avez sûrement proposé ça par pure politesse alors ne vous inquiétez pas, je ne vous en voudrais pas du tout si vous voulez vous enfuir pour faire des choses .. d'étudiants. Comme des devoirs ... »
Une nouvelle gorgée de vin. Plus elle parle et plus elle se sent vieille et moralisatrice. Ne manquerait plus qu'elle contrôle son cahier de texte tant qu'on y est.
« Enfin … vous avez sûrement des choses plus importantes que ça à faire … Alors, ne vous en faites pas, je réglerais pour le vin. »
Bon d'accord, on pourrait penser qu'elle le met à la porte mais quand on est ni habituer à se faire inviter sincèrement et encore moins à fréquenter des gens d'une nouvelle génération, on a tendance à manquer cruellement de tact.

Ce soir Will était au restaurant avec le docteur Edelsberg ; il n’en savait pour ainsi dire pas plus que ça sur elle. En fait il avait eu un choc à l’entrainement avec un autre joueur et son épaule avait un peu pris. C’était qu’une petite douleur mais le coach ne voulant pas perdre son joueur l’avait forcé à arrêter l’entrainement, bien sûr William ne voulait pas mais la charmante doctoresse passait comme par hasard à ce moment-là et ce fit un plaisir d’aider le coach pour ausculter le joueur. Will se résigna donc à se laisser examiner, il devait avouer qu’il aimait bien quand une femme s’occupait de lui mais son orgueil et sa fierté lui disait surtout que ce n’était pas utile de se faire soigner car ce n’était qu’un choc de plus et qu’il n’avait rien. Enfin bref, miss Edelsberg fit sa magie de docteur et il dû avouer qu’il n’avait quasiment plus mal, du coup pour la remercier il se pointa une semaine plus tard dans son service et l’invita à diner. Oui elle avait 20 ans de plus que lui et alors ? Où était le mal à aller diner avec quelqu’un de plus âgé ? Et puis il avait déjà couché avec une prof ce ne serait pas sa première soirée avec une « vraie » femme, même si ce dans le cas présent ce n’était qu’un diner.

Pour l’occasion il avait fait un effort, il avait enfilé une chemise et un pantalon de costume, il n’allait quand même pas se pointer en jean basket comme pour se bourrer la gueule à la mather house quand même … enfin bref le voilà donc assis à table avec une prof/docteur qu’il ne connaissait pas et il ne s’était pas du tout demander comment la soirée allait se passer. Il se disait qu’ils allaient échanger quelques banalités en prenant l’apéro et puis après l’alcool ferait son effet et la discussion irait toute seule. Elle avait commandé un verre de vin, quand le serveur revint il lui demanda de ramener la bouteille, il ne cherchait pas à la saouler il voulait juste s’amuser et le vin aiderait bien. Pour entamer la discussion elle lui demanda des nouvelles de son épaules et s’il avait bien suivit ses consignes … il lui répondit en souriant « vous en faites pas madame mon épaule va parfaitement bien … par contre si vous pouviez me tutoyer ça m’arrangerait ». Il n’aimait pas qu’on le vouvoie, il trouvait ça trop formel et trop coincé. Bien sûr elle était professeur et lui simple élève mais ils étaient là pour passer une bonne soirée et n’étaient pas vraiment en cours ou sur le campus. Le serveur ramena la bouteille de vin que Will lui avait demandé et lui servit un verre à lui aussi.

Il ne put s’empêcher de rigoler quand elle lui dit qu’elle ne lui en voudrait pas s’il voulait allez faire des choses d’étudiants comme faire ses devoirs … on voyait qu’elle ne le connaissait pas et il trouva ça presque « mignon ». Il arrêta de rigoler mais souriait toujours quand il lui répondit « ne vous en faites pas pour moi, si je suis ici c’est que je le veux, si je n’étais pas avec vous je serais à la mather house en train de boire entre potes. Donc pour ce soir je suis bien mieux ici à boire et à diner avec une jolie femme ». Bon certes cette dernière phrase était tout ce qu’il y avait de plus banal mais dans le fond c’était ça, soit il se saoulait la gueule avec les gars comme tous les soirs soit il allait diner avec elle, le choix était vite fait. En plus de le vouvoyer voilà qu’elle le mettait limite à la porte et qu’elle allait payer le vin, Will l’avait invité et elle n’allait surement pas s’en sortir comme ça. « Si je vous ai invité au restau, c’est pour vous remercier mais aussi parce que j’en avait envie, alors vous allez devoir prendre votre mal en patience et me supportez toute la soirée ». Il lui resservit son verre qui était presque vide ainsi que le sien et appela le serveur pour qu’il leur apporte les cartes et les le menus.

Un rire lui échappe quand il lui annonce sa lourde sentence à savoir devoir supporter sa compagnie toute une soirée. Elle doute que ce soit un tel fardeau mais accepte de rentrer dans la plaisanterie de bon gré.
« Bon eh bien si je n'ai pas le choix ... »
Machinalement, elle passe une main dans ses cheveux, chose qu'elle a toujours tendance à faire dans les situations qui la mettent un peu mal à l'aise. Ce que peuvent penser les autres lui est bien égal. Son seul soucis avait été de se retrouver à contraindre un jeune homme à passer une soirée ennuyante en sa compagnie mais comme il l'avait fait très justement remarquer, il était là de son propre chef et personne ne l'avait enchaîné à sa chaise. C'est avec un sourire qu'elle accueille le vin. Il lui faudra sûrement plus d'une bouteille pour dépasser cette barrière qu'elle a toujours tenu à garder entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Enfin … quand elle n'était pas occupée à la réduire en morceaux. Après tout, n'avait-elle pas épousé un de ces collègues après avoir allègrement profité de la situation de se retrouver tous les jours dans le même lieu que lui, pendant de longues gardes où ils avaient souvent peu dormi ? Oui c'est vrai … et puis ce jeune homme n'était même pas son élève. Après une nouvelle gorgée de vin, elle se reconcentre et pose son regard clair dans celui du footballeur.
« Faisons un deal. Je ne te vouvoie plus et tu ne m'appelles plus jamais madame. De toute façon je ne suis même pas mariée … »
Oui bon, les détails sur la vie privée on s'en passera Hannah. Il fallait vraiment qu'elle tienne sa langue dans sa poche et qu'elle évite de sortir la carte de la vieille fille. Pas devant un gamin d'une vingtaine d'années qui avait bien d'autres soucis en tête. Elle tente de reprendre un peu de constance en buvant une nouvelle gorgée de vin.
« Enfin, Hannah suffira largement. Et plus de vouvoiement pour toi aussi. Je ne suis même pas ta prof après tout. »
Elle lui sourit à nouveau avant de finir son verre d'une traite. C'est bien, comme ça en plus de la prendre pour une vieille folle dégénérée, il ajoutera à la liste alcoolique.
« Désolée, j'ai tendance à oublier que c'est autre chose que de l'eau … Surtout quand je suis nerveuse. »
C'est pas vrai … Des fois, elle avait vraiment envie de se mettre des claques. A quarante ans, était-il encore tant d'être nerveuse pendant un dîner ? Surtout quand il s'agissait d'un élève, juste d'un élève ? Même pas d'un potentiel soupirant ou alors d'un chef de neurologie venu lui proposer un poste important. Bon il était tant de changer de sujet si elle voulait éviter d'être catalogué comme la folle en chef. Et ô miracle, le serveur arrive pour leur donner les menus. Il tombe vraiment à pic, lui laissant le temps de se cacher derrière la carte et de se répéter de tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de dire une ânerie. Et d'arrêter de boire aussi avant qu'elle ne finisse par ne même plus être en état de conduire son sublime cabriolet. Après avoir choisi un plat totalement aux hasards et au nom étrange, elle rabaisse le menu pour afficher un sourire un peu gêné.
« Vous avez choisi ? »
Tiens, encore le serveur. Il avait le chic pour tomber au bon moment en tout cas et rompre un silence qui commençait à s'éterniser.
« En fait je me demandais ce que sont les animelles aux girolles ... »
Elle déchiffre ce nom étrange avant de croiser le sourire discret mais amusé du serveur.
« Des testicules de mouton madame. »
L'art de mettre les pieds dans le plat littéralement. Un peu sous le choc et totalement décontenancé, elle tente de garder son sérieux et son calme en reprenant la carte en main.
« Bon … eh bien … je ne vais .. pas prendre ça. Mettez-moi les pennes carbonara .. si ça ne risque rien. »
Elle tend son menu au serveur avant de repasser sa main dans ses longs cheveux roux. Ce n'est pas ce genre de gaffes qui va avoir le don de la mettre à l'aise, au moins ça c'est sûr. Après un énième sourire embarrassé, elle finit par se resservir du vin histoire d'avoir l'air un peu occupée.