47 THE PROMENADE
4217 GOLD COAST,
QUEENSLAND, AUSTRALIA
23 août 2003 — 10:42« Elliot, tout est prêt? Allez dépêche-toi, tu sais très bien que c’est contreproductif de trainer comme ça sans raison. » Mon père n’avait jamais été très doué avec les mots, et encore moins avec le ton qu’il employait pour s’adresser aux gens. Je regardais autour de moi les quelques valises et sacs qui s’accumulaient dans l’entrée de notre résidence luxueuse. Du haut de mes neuf ans, je ne comprenais pas pourquoi on partait. Je ne comprenais pas pourquoi on décidait de tout laisser derrière nous, de quitter l’Australie pour aller s’installer aux États-Unis. Est-ce que je l’ai mieux compris par la suite? Peut-être un peu, mais jamais totalement. L’Australie, Gold Coast, Brisbane, c’était la terre promise pour moi. Notre jardin s’étendait jusqu’à la plage de sable blanc, on était réveillé par le bruit des vagues ou les rayons de soleil tous les jours. Ma seule préoccupation, c’était de surfer. Mais mes parents — ou plutôt mon père, car c’était celui qui prenait toutes les décisions dans la famille — avaient décidé que s’installer aux États-Unis serait plus avantageux pour le business familial. Un plus grand public, une plus grande influence, et donc plus d’argent en poche. Ça, je ne le comprenais pas, à l’époque. J’avais beau avoir toujours baigné dans ce milieu d’affaires, quand on est qu’un gamin, ça nous paraît franchement futile et compliqué pour pas grand chose. Alors, poussé par la détermination sempiternelle de M. Maxwell, on prenait nos biens les plus précieux et montait dans le jet privé qui nous attendait à quelques mètres de chez nous. Ou du moins, de notre ancien chez nous.
Un vol de près de vingt heures m’attendait, et je n’étais franchement pas réjoui. On aurait pu aller en France. Ma mère était française. Mais non, comme c’était mon père et son business, et que lui était américain, on devait s’installer aux États-Unis. À Boston, précisément, car même si je n’avais que neuf ans, mes parents avaient déjà mon futur tout tracé : je ferai Harvard. Soit, si ça leur fait plaisir. Je n’étais pas vraiment axé sur les études. J’étais un gamin bien trop agité, avec un trouble du déficit de l’attention déjà diagnostiqué. La moindre chose réussissait à me déconcentrer, et me paraissait bien plus intéressante que la chose que j’étais en train de faire auparavant. Je soupirais déjà en sentant le jet privé décoller et décidais de dormir un peu pour passer le temps. Qu’est-ce que je pouvais bien faire d’autre? Peut-être que ce grand changement serait pas si négatif que ça. J’avais neuf ans, et rien n’était vraiment accompli dans ma vie. Peut-être que ça ne serait même pas un si grand changement que ça, en fin de compte.
455 BERKELEY ST
BOSTON 01208, MA
17 janvier 2009 — 03:57Je ne me souviens plus pourquoi j’étais éveillé aussi tard. Si j’avais eu un petit creux, si j’avais un peu trop joué aux jeux vidéos, si j’avais regardé un film. Je ne me souviens plus. Ce dont je me souviens parfaitement, en revanche, c’est le bruit de la porte d’entrée qui se referme et des pas de velours presque silencieux qui se dirigent vers le salon où je me trouvais, pour me dévoiler ma mère, escarpins à la main, se frayant un chemin dans la pénombre de la nuit. Elle pensait sûrement passer inaperçue. Elle avait dû passer inaperçue des tas de fois auparavant. Manque de bol, ce jour-là, j’étais là. Et je vis à son visage qu’elle cherchait désespérément une excuse, une explication qui serait assez crédible pour que j’oublie cet évènement.
« Laisse tomber, m’man. » me contentais-je de lui adresser. J’avais quatorze ans. Je savais ce que sa virée nocturne impliquait. Je n’étais pas assez naïf pour passer outre. Elle roulait des yeux.
« Oh, ça va Elliot. Pas à moi. » Je la regardais, en silence, quelque peu surpris par sa réaction.
« Tu crois que je suis un monstre? » À mon tour de lever les yeux au ciel. Ma mère avait le don de tout exagérer et se faire passer pour le vilain petit canard.
« Tu crois quoi? Que ton père ignore tout ça? Il est au courant. Et il fait pareil de son côté. Et je suis au courant aussi. D’autres questions? Sinon j’aimerais bien que tu me laisses aller me coucher, j’ai eu une nuit… éprouvante. » Je grimaçais. Pas besoin des détails, merci. Et comme je ne protestais pas, elle reprenait son chemin vers l’étage pour rejoindre la suite parentale où se trouvait mon père. Je ne sais pas ce qui m’interpelait le plus dans ce qu’elle venait de me dire. Le fait que tous les deux allaient voir ailleurs sans aucun scrupule, ou le fait qu’ils n’essaient même pas de le cacher. En vérité, ça m’importait peu. Ils faisaient leur vie, je faisais la mienne. C’était triste, dans un sens. J’avais toujours pensé que mes parents, malgré leur façon peu conventionnelle d’exposer leurs sentiments, s’aimaient réellement. À croire que le vrai amour, c’était surfait. Peut-être même inexistant. Et je me rendais compte que tout ça n’était qu’une image, le couple aimant, le fils unique, le business florissant — la famille parfaite. Tout ça n’était que superficiel. Peut-être que j’avais des tas de demi-frères ou demi-soeurs aux quatre coins du monde dont je ne connaîtrais jamais l’existence, et qui ne connaîtraient jamais leur père ou leur mère. Et sur ces révélations qui me touchaient moins que ce que j’aurais imaginé, je retournais moi aussi finir ma nuit.
867 BRATTLE ST
02138 CAMBRIDGE, MA
12 juin 2014 — 02:39Je rabattais les draps et me levais du lit, le corps encore luisant de transpiration. Je ramassais mes fringues et me rhabillais rapidement.
« Tu fais quoi? » m’interrogeait-elle. Je me retournais vers elle et la regardais, comme si elle était un peu trop idiote.
« T’as l’impression que je fais quoi là? Je m’en vais. » lui répondis-je de façon nonchalante, comme si c’était évident.
« Tu comptes partir comme ça? Ça fait même pas cinq minutes qu’on a terminé. Tu veux pas rester la nuit? » Je ne pus retenir un petit rire. C’qu’elle était naïve.
« Je reste jamais la nuit. Tu devrais le savoir, tes copines te l’ont pas dit? » Pourtant, ma réputation n’est plus à faire. Je sais ce qu’on raconte sur moi. Je suis le mec cool avec ses potes, assez populaire, qui fait tourner les têtes et qui en profite avant de se barrer comme un voleur. Je suis un peu trop macho, un peu trop con sur les bords et je ne me prends pas la tête. Je suis plutôt ouvert — peu importe le sens que vous donnez à cette phrase. Et cette réputation n’est pas fausse. Au contraire. Pourtant, derrière cette apparence de mec copain avec tout le monde, je me méfie et j’ai tendance à ne croire qu’en moi-même. On va dire que j’ai une confiance superficielle. Je suis un peu je-m’en-foutiste et je m’entends bien avec tout le monde, certes, mais il ne faut pas se fier aux apparences. Tout comme je l’ai appris il y a cinq ans avec mes parents, parfois, tout n’est question que d’image.
« T’es vraiment un connard. » Je soupire en enfilant ma veste.
« Écoute, j’ai passé un bon moment, t’as passé un bon moment, c’est le principal non? On va pas tout gâcher maintenant. » Je pouvais le voir dans ses yeux qu’elle était énervée.
« On se croisera peut-être sur le campus. » lançais-je en guise d’au revoir avant de sortir de chez elle.
Je ne croyais pas en l’amour, en toute ces conneries naïves. Ça peut sonner cliché, mais c’est la vérité. J’ai jamais rencontré quelqu’un qui a su me prouver le contraire — et je n’ai jamais vraiment cherché non plus. J’ai seulement vingt ans, les années universitaires sont censées être les meilleures, alors pourquoi me gâcher le plaisir à me caser avec quelqu’un? Plutôt profiter. Et puis, faut dire que j’ai eu quelques mauvaises expériences aussi qui refroidissent sèchement, comme la fois où j’ai couché — plusieurs fois, même — avec une fille qui était vraiment bien et sacrément douée au lit, avant d’apprendre quelques mois plus tard que qu’elle faisait parti de mes nombreux demi-frères et soeurs qui jusqu’alors étaient imaginaires.
Eww. Merci papa. Ou maman. Qui sait? Depuis, je ne m’attarde plus à les connaître un minimum. J’ai pas envie d’avoir de mauvaises surprises. Autant que je me barre avant de me poser trop de questions.
IN A FANCY RESTAURANT
BOSTON 01208, MA
13 décembre 2015 — 21:30J'sais pas comment c'est arrivé. C'est parti d'une connerie, en fait. Quelques verres dans le nez, un peu d'insubordination, d'envie de déconner. Et je me retrouve à jouer la comédie devant Papa et Maman Maxwell, à leur présenter une amie en tant que petite-amie. Et plus le temps passe, plus je me rends compte qu'ils me lâchent la grappe. Pour eux, j'étais censé être casé à vingt ans, prêt à me fiancer, planifier un mariage, penser à fonder une famille. Parfaite petite vie. Mais moi j'suis pas comme ça. J'suis trop jeune pour m'enchainer. J'ai juste envie de profiter. Et avec ce mensonge, cette histoire de fausse petite-amie, mes parents me lâchent. Ils l'adorent, on s'amuse à jouer ce rôle pour les repas de famille. Jusqu'aux fausses fiançailles. Et derrière ça, cette fille, c'est ma sauveuse, mon double. Une réelle amitié est née de ce petit jeu, et c'est devenu un de mes piliers. On gardera cette comédie pendant un an et demi. Notre (faux) couple se terminera en Juin 2017. Avant le drame.
455 BERKELEY ST
BOSTON 01208, MA
27 mars 2016 — 23:12Mes parents étaient absents pour le week-end. Voyage d’affaires, apparemment. Ce qui voulait dire que ça allait être la fête chez moi. Une grande baraque de riche avec une piscine, un mec populaire, il ne fallait rien de plus pour attirer les gens. L’alcool coulait à flots, les joints passaient de lèvres en lèvres. Certains étaient de fervents danseurs se déhanchant au rythme de la musique, d’autres préféraient chiller sur les sofas avec leurs potes ou une nana sur les genoux, pendant que le reste occupaient les nombreuses pièces de la maison. Ça, c’était mon monde. Celui dans lequel je me sentais euphorique. Ou peut-être était-ce que à la petite pilule rose que j’avais ingurgité? La MDMA était devenue assez courante pour moi. Non, je n’étais pas accro. Oui, j’en prenais souvent, et ça me faisait bizarre quand je passais une soirée sans, mais ce n’était pas de la dépendance. Des tas de personnes fumaient des joints quotidiennement et on les considérait pas comme des toxicos. Je passais mes mains sur mon visage, comme si ça allait aider à remettre mes perceptions en place. Une main se posait sur mon bras et m’entraînait à sa suite.
« Viens… » Un chuchotement lointain. Une blonde à la bouche bordeaux et les yeux charbonneux cernés par un trait de khôl noir. Et moi, je me laissais guider. On arrivait dans une pièce peu éclairée et, ça avait beau être chez moi, j’avais du mal à reconnaître l’endroit. Sa main ferme sur mon torse me fit reculer jusqu’au fauteuil dans lequel je me laissais tomber. Je fermais les yeux, mon esprit vagabondant bien plus loin que ces quatre murs qui m’entouraient, et je sentais ses lèvres s’emparer des miennes, l’avant-bras me chatouillant. Je suis quelqu’un de téméraire. Je ne dis jamais non et je vis pour le frisson des nouvelles expériences. Parfois un peu trop. Voilà ce à quoi j’ai pensé quand j’ai senti l’aiguille me transpercer la peau. Et voilà comment je goûtais aux vices de l’héroïne, des drogues plus dures, pour la première fois. Et le reste? Black-out.
SOMEWHERE IN MASSACHUSETTS
UNITED STATES
29 septembre 2017 — 15:22« Tout va bien, Elliot? » James, le pilote attitré des Maxwell, m’avait appris à piloter l’hélicoptère familial il a y quelques années. Depuis, j’aimais bien aller faire des tours de l’État. Boston, c’était parfois ennuyant. C’était mon moment de détente, j’étais seul et je pouvais me poser loin d’Harvard, des rumeurs, de l’hypocrisie croissante que je pouvais observer quotidiennement là-bas. Je n’étais pas le genre de gars à m’immiscer dans les embrouilles ou les différents clans. Je m’entendais bien avec tout le monde et c’était bien comme ça.
« Elliot? » Je levais les yeux au ciel à l’entente de sa voix dans le casque que j’avais sur les oreilles.
« Oui James, c’est bon, tout roule. Comme d’habitude. » Le Massachusetts, ce n’était pas l’Etat le plus cool des États-Unis. Même des airs, perché dans mon hélico, la vue n’était pas super. Un bruit me sortait de mes pensées. Je jetais un coup d’oeil au panel de contrôle où un bouton était allumé en orange.
« James? » Pas de réponse. Je voyais que je commençais à perdre de l’altitude et que je ne parvenais pas à régler le problème.
« James! » « Elliot, je t’entends mal, qu’est-ce qui se passe? » « James, t’avais fait le plein de kérosène? Je crois que je suis bientôt à court. » « Elliot, au moindre problème tu lances la procédure d’atterrissage, tu m’entends? Elliot? » Je n’avais pas besoin de lancer l’atterrissage. Je tombais en pic. J’avais beau être con, j’étais quand même rationnel. Alors, je retirais mon casque, resserrait la sangle qui me servait de ceinture de sécurité, et insultais une énième fois ma bêtise en priant pour que tout se passe pour le mieux.
MASSACHUSETTS GENERAL HOSPITAL
55 FRUIT ST
BOSTON 02114, MA
30 septembre 2017 — 12:34« …choc a été assez violent. Il n’a rien de cassé, l’appareil l’a protégé de manière générale. Les équipes sur place m’ont confirmé que le crash a été causé par un manque de kérosène, ce qui a provoqué la tombée en chute libre du véhicule… » Des voix, cependant encore lointaines, parvenaient jusqu’à moi et tambourinaient dans mon crâne comme des échos.
« ...intervention neurologique, il est arrivé avec une hémorragie cérébrale. Pour vous expliquer avec des mots simples, il avait un saignement dans le cerveau et on a du intervenir pour le stopper. Tout va bien maintenant, il est stable et il s’en sortira, mais il faut que je vous prévienne… » Je me forçais à ouvrir les yeux, aveuglé par une lumière blanche. Je battais des cils pour m’habituer à l’atmosphère de la pièce où je me trouvais. J’apercevais un plafond blanc, des murs blancs, une perfusion non loin de moi…
« …pertes de mémoire plus ou moins sévères, et plus ou moins irréversibles. » Et je comprenais qu’on parlait de moi. Plus je m’éveillais et plus je savais que la situation était mauvaise. J’étais dans un état second, essayant de comprendre comment j’en étais arrivé là. Dans ce qui semblait être un hôpital. Mais rien. Le noir total.
« Elliot? » Comment est-ce que je ne pouvais me rappeler de rien? Absolument rien?
« Elliot. » Quoi, Elliot? Je tournais la tête vers l’homme en blouse blanche, qui semblait attendre une réponse de ma part. Et mon rythme cardiaque s’emballait, au fur et à mesure que je réfléchissais. Mon cerveau bouillonnait, et mon mal de crâne empirait. J’avais l’impression que ma tête allait exploser.
« Tout va bien, t’es entre de bonnes mains ici. » C’était un bon médecin. Sa voix était apaisante. Ou alors un sédatif avait été ajouté à ma perfusion? Quelle que soit l’option, ça fonctionnait.
« Est-ce que tu peux me dire quel jour on est? » Je le regardais, avant de regarder les deux personnes qui étaient figées sur moi non loin derrière lui. Je réfléchissais. Vraiment. De toute ma volonté. Mais je me contentais de secouer la tête. Je n’avais aucune idée de quel jour on était.
« Comment je suis arrivé là? » demandais-je avec peine. Mais il ignorait ma question.
« De quoi te souviens-tu? Est-ce que tu peux me dire comment tu t’appelles? Ton nom et ton prénom? » De quoi je me souvenais? Rien. Et pour ce qui est de mon nom… Je n’en savais rien non plus.
- Petite précision du 12/05/18:
Elliot a retrouvé la mémoire à cette date, il a bien évolué grâce au drame, il est devenu une meilleure personne, a eu son premier amour, se dévoile un peu plus et essaye de moins s'occuper du regard des autres pour essayer d'être heureux.
- Chronologie des études à Harvard:
- Septembre 2012-Juin 2013 : 1ère année à Harvard en relations internationales et français. Elliot intègre la Winthrop House. Ses parents le voulaient à la Eliot House, lui hésitait entre la Winthrop House et la Mather House. Au final, il ne regrette pas du tout son choix car il considère les Winthrops comme sa vraie famille. (18 ans)
- Septembre 2013-Juin 2014 : 2ème année à Harvard (19 ans)
- Septembre 2014 -Juin 2015 : 3ème année à Harvard (20 ans)
- Septembre 2015-Juin 2016 : 4ème année à Harvard (21 ans)
- Septembre 2016-Juin 2017 : 5ème année à Harvard (22 ans)
- Septembre 2017-Juin 2018 : 6ème année à Harvard (23 ans)
- 29 Septembre 2017 : crash d’hélicoptère
- Septembre 2018-Juin 2019 : Il se réoriente en journalisme après avoir raté sa 6ème année de relations internationales (24 ans)