CALLIEL M. SANDERS ► Charlie Himmelstein

« Allez, lèves-toi m’man ! »

Je m’accroupis à côté de la femme couchée par terre et la redressais de mon mieux avant de me diriger jusqu’à la salle de bain en trainant ma charge. C’était toujours pareil, tous les week-ends, au point que j’en venais parfois à me demander pourquoi je continuais d’aller voir ma mère. Habitude, problème de conscience ? Peut-être était-ce simplement pour vérifier qu’elle était encore en vie… non, en fait, n’étais-ce pas juste de l’affection ! Ouais, c’est bien ça. C’était ma mère, elle m’avait élevé pendant des années, et même si aujourd’hui elle ne pouvait plus s’occuper d’elle-même, ça ne changeait pas la place qu’elle occupait dans mon cœur.

Comme tout enfant, j’aime mes parents… mais mon père n’étant plus là depuis son départ pour l’armée dont il n’est jamais revenu, les choses ont changé dans les relations au sein de ma famille. Ca va faire cinq ans qu’on a reçu la lettre officielle qui nous a informés du décès de mon vieux. Cinq ans, et tout a basculé comme si un tsunami était passé par là. Premièrement, vous devez l’avoir compris, la veuve du Sergent Sanders a fini alcolo et son fils n’a pas la moindre idée de comment gérer la situation. S’il n’y a personne d’autre pour s’occuper d’elle à part peut-être ses amies fidèles, c’est parce que mes oncles et tantes ont déménagé dans un autre Etat et que mes grands-parents ne parviennent pas à faire le deuil de leur enfant unique. Finis les Noëls chaleureux, finis les Thanksgiving. Tout ce à quoi j’ai le droit en guise d’anniversaire se résume à présent à des cartes postales. Ah non, on m’invite parfois à passer les vacances d’été en Californie chez mes cousins pour garder un semblant d’unité dans la famille, mais y’a plus rien. Comme quoi, il suffit d’une perte et la balance de l’équilibre se brise. Équilibre fragile, visiblement…

Après avoir assit ma mère dans la baignoire, je retirais ses vêtements sans état d’esprit et commençais à faire couler l’eau. Ses yeux étaient à moitié ouverts, mais je ne savais pas si elle m’écoutait. Quoi qu’il en soit, cela ne m’empêcha pas de commencer à lui parler pour lui raconter ma semaine à l’université.

« On a gagné le match de Vendredi, le Quaterback a vraiment assuré sur ce coup-ci ! Ca veut dire qu’on est en quart de finale maintenant. Dans quinze jours, tu viendras me voir ? »

Pas de réponse. Okay, elle était encore loin dans son trip… tant pis. Un soupir m’échappa, puis je retroussais mes manches avant d’attraper l’éponge posée au bord de la baignoire pour commencer à nettoyer la peau de la femme allongée dans l’eau. Le jour où j’aurai un enfant, et j’en aurai un, je me jure à moi-même de ne jamais lui faire vivre ce que j’expérimentais actuellement. Je sais pas si vous vous rendez compte de ce que ça fait de devoir s’occuper comme ça de sa propre mère, du poids moral que ça représente, mais c’est difficile. D’ailleurs, quand je fais ça, je ne suis même pas capable de regarder ma génitrice dans les yeux tellement c’est… bref.

Parfois et même souvent, je me dis que je suis chanceux d’avoir une place à Harvard grâce à ma bourse sportive. Si j’avais dû travailler au premier dépanneur du coin et rentrer tous les soirs à la maison, je serais devenu dingue. Déjà que je suis assez nerveux de nature… voila, quoi. L’uni, c’est le pied pour projeter l’image qu’on veut de soi et mettre de côté sa situation familiale, alors j’en profite à fond. Un peu comme Harry Potter avec Poudlard ?

Sur le campus, je fais partie des Sportifs que les filles de première année dévorent des yeux, je suis au top, j’ai un grand sourire aux lèvres toute la journée… j’ai de bons résultats généraux et tout le monde –ou presque- me respecte. Que demander de plus ? Une copine ? Oh non, pas le temps pour ça, j’ai déjà essayé et c’est pas mon truc si ça dure plus que deux semaines et que c’est pas rentable au niveau « sexe ».

Ah, au fait ! Si je ne vous ai pas raconté le début de mon histoire de ma naissance jusqu’à mes 17 ans, c’est parce qu’il n’y a rien à dire à ce sujet. Je pourrais vous détailler les cadeaux que je recevais sous le sapin chaque année, mais je pense qu’on s’en fiche tous un peu. Gardez juste en tête une chose : Je suis un Américain normal, qui a eu une vie normale dans une famille normale et ce n’est que depuis peu de temps que tout s’est carrément dégradé, y compris mon caractère que vous aurez bien le temps de découvrir en venant me parler. Enjoy !