I Paid the Iron Price

Le sommeil agité à la pensée de celle que j'ai laissée derrière moi là bas, je n'ai trouvé réconfort qu'auprès de mon fils, contemplant les reflets de son mobile altérer ses traits assoupis et si innocents...mais pour combien de temps? Partagé entre deux mondes qui n'ont ni l'un ni l'autre de quoi lui offrir ce que tout gamin est en droit de recevoir, une attention de chaque instant ainsi que l'appui de ses deux parents réunis, c'est un fait, une vérité: Tobias commence très mal dans cette vie. Plongés tous deux dans l'obscurité de sa chambre que seuls les éclats du phare de la rade égayent de temps à autres, j'espère secrètement pour lui un avenir meilleur que celui de son père. Et il le sera, digne héritier Malcolm et futur intendant d'Omnicom, si tant est que sa mère sache jusque là tenir à flot son entreprise sans en pondre un second.

Mais le temps des théories est révolu lorsque ma présence l'éveille doucement, jérémiades et pleurs rompant ce silence pesant. Il est délicatement pris puis apposé contre moi, me surprends même à penser qu'il fait maintenant son petit poids. Tout comme son père, à croire que c'est héréditaire, il ne retrouvera un sommeil de plomb alors autant appliquer ce que cette pédiatre nous a sagement expliqué. Il est en quelques minutes habillé puis lové dans son siège auto pour une promenade nocturne dans l'arrondissement...

00h30. Les rues sont pour le moins désertées, ce qui m'arrange et profite de cette accalmie de temps en temps pour dévisager au travers du rétro celui qui commence sur la banquette arrière à bailler. Dix minutes n'auront pas suffit et il me faut encore rouler. Alors subitement, je décide de braquer ma direction vers une autre destination, pour celle où il a passé ses premiers jours avant de jongler entre villégiatures et chambres d’hôtel. Cambridge est, à l'image de sa voisine, une ville aux rues abandonnées. Seuls quelques établissements baignent de leur clarté blafarde les caniveaux et les pavés. Par curiosité, ma route croise l'enseigne du Nirvana à l'ombre duquel mon véhicule ralentit, le regard empreint d'un nouvel intérêt grandissant du nom d'Iris. Elle fait l'affiche de l'établissement depuis quelques temps et plait curieusement à Jonas, bien que je ne sache ce qu'il lui trouve de particulièrement séduisant. Le masque peut-être....

Une idée avait rapidement germé et je l'ai donc engagée pour passer du temps avec lui histoire d'égayer un peu les soirées mornes du geek qu'il est. Un enfer pavé de bonnes intentions. Véhicule à l'arrêt, le petit dans les bras puisque je ne peux l'abandonner dans l'habitacle, je pénètre dans la luxure sous le regard médusé du nouveau videur qui ne cesse d'épier l'être endormi. Il le connait et ce n'est que pour cette raison qu'il me laisse entrer, fouillant du regard déjà l'environnement tamisé à la recherche de celle que j'ai payée.

Quelques jours se sont écoulés depuis la venue de Jonas. Deirdre a repris ses habitudes en tant qu'Iris. Danse lascive, peau dénudée la nuit, mots acerbes et tailleurs haute-couture la journée. Elle entretient tant qu'elle peut cette mascarade et endort son esprit d'un rythme effréné. Pas le temps de tergiverser, ni de réfléchir, les choses sont très bien ainsi. Au départ, elle a pensé à lui souvent, redoutait autant qu'elle chérissait ce souvenir de sa faiblesse. La facilité aurait été de le recontacter, de demander son numéro ou son adresse à Annalynne. Mais voilà, elle ne pensait ne pas pouvoir faire ça. Tout simplement parce qu'elle se l'interdisait et aussi parce qu'elle estimait qu'il vaut bien mieux qu'elle. Elle fait du mal aux gens. Elle est vénéneuse, elle ne vaut pas la peine d'attirer la lumière sur son âme bien trop sombre. Que de nobles sentiments, alors autant ne pas s'y épancher. Mais tout ça c'était avant que la tentation ne s'offre à elle. Clay et son idée étrange de dérider son frère. Il lui offre le prétexte sur un plateau et arrose le tout de billets. Comment refuser ? Et comment continuer à se regarder en face ? Elle nourrit le tumultueux de la situation, en a conscience, tout ceci se retournera un jour contre elle, mais en attendant le plus jeune des Cooper apparaît comme une trêve dans la noirceur ambiante.

C'est presque comme un Automate qu'Iris réalise sa danse, elle voit bien les yeux masculins, elle ressent le désir de tous ces hommes, mais ça ne lui fait presque rien. On s'habitue à tout, et l'enfer est bien pire. Seule la musique compte, les basses sourdes qui résonnent entre ses os, martèlent l'hémoglobine dans ses veines et entraîne le mouvement de son corps en rythme, la musique lui fait oublier tout, et c'est une sensation dans laquelle elle aime se perdre. Elle prend plaisir à sentir le papier se froisser sur sa peau, le prix à payer pour maintenir l'illusion. Bientôt la musique de son numéro cesse, et une autre suit, le show est terminé pour le moment. Elle observe, avec le vain espoir d'y voir des prunelles sombres, mais c'est un visage bien plus juvénile qui attire son regard clair finalement. Elle se dirige vers l'homme dont la stature massive contraste avec l'aspect chétif de l'enfant. « Ce petit homme est un peu jeune non ? » Un sourire amusé passe sur ses lèvres colorées tandis qu'elle observe le père. Pas commode le garçon. Elle est étonnée de voir le contraste entre les deux hommes, aucune ressemblance, qu'elle soit physique ou caractérielle. Les sourcils se haussent alors qu'elle l'observe interrogatrice. « Besoin d'un bilan de la situation ? » A moins qu'il ne vienne pour autre chose, mais si la raison de sa venue était sa personne autant qu'elle le sache immédiatement et qu'on ne tourne pas autour du pot plus longtemps.

« Ce petit homme est un peu jeune non ? » Là voilà donc cette prêtresse de la nuit qui ne souhaite être adulée que sous une forme aux traits ignorés. Le petit est par instinct écarté de la créature à demi-vêtue sous ses voilages, sans penser à mal. Mais elle sait jouer de ses charmes sur tous les mâles de ce lieu alors mieux vaut le préserver des vices dont il a forcément hérité. C'est chez lui génétiquement programmé. « Besoin d'un bilan de la situation ? »  Si je suis là, ce n'est pour voir ton corps affecter les pauvres fous venus se perdre ici, achetant ton amour pour quelques minutes jusqu'à la fin d'un juteux compte à rebours. Pas avec le petit dans les bras.  " Peut-être dans un endroit plus reculé. " Ce n'est pas tous les jours qu'on la paye pour s'adonner à ce genre de jeu de rôle et sa patronne ne serait sans doute pas enchantée d'apprendre qu'elle fait fructifier son compte en banque grâce à ses atours en dehors de ses heures de travail.

L'une des cabines de show restée libre est toute désignée pour cet entretien privé. Je sais d'expérience qu'Anna, depuis qu'elle en a fait l'acquisition, y a fait installer en amont des caméras de sécurité. Elle et sa foutue manie de tout vouloir contrôler... Je la soupçonne cependant de n'avoir fait de grosses dépenses les concernant, juste le nécessaire en image mais rien en son cependant. Notre petite discussion restera donc entre ses murs de contreplaqué submergés par cette couleur pourpre et laquée et couverte par les résonances de cette musique encline aux douceurs et à l'érotisme. La créature est invitée à me suivre jusqu'à refermer la porte sur elle, nous cloisonnant dans une illusion d'intimité. D'emblée je m'octroie la banquette et appose le gamin sur mes genoux, d'un regard interrogateur sur l'objectif dont le témoin lumineux vient de s'animer. Coucou Malcolm, ou peut-être n'est-ce que Sarah, son bras droit, qui trouve enrichissant de nous épier derrière son poste d'observation. Tobias est à présent bien éveillé et nul doute qu'il a du voir s'écouler des heures dans ce bordel pour se montrer d'une pareille docilité. "  Elle est là ce soir? " Sa mère, celle que je ne veux croiser mais à cette question je ne souhaite pas vraiment de réponse et l'abroge d'un geste de la main. " Alors. Est-ce que mon investissement a été lucratif? "