DAVY BECKINS ► Felix Bujo

T'es pas chez toi ici. J'ai pas de chez moi, pas de mère, juste un père qui passe son temps ailleurs. Je sais même pas ce qu'il fait, s'il bosse, s'il sort avec ces femmes que je vois passer de temps en temps. Non, la seule chose sûre est qu'il me prend pour un animal, une chose qui vit ici mais qui n'a aucunement le droit de parole. Oui. Voilà tout ce qu'il m'a appris à dire. Ne jamais lui tenir tête, toujours obéir aveuglément, étudier pour avoir de bonnes notes afin de reprendre l'entreprise familiale, éventuellement trouver un bon parti à épouser, une femme qui rapporterait de l'argent, qui ne gaspillerait pas mon temps. Et je continuais à vivre comme une machine jusqu'au jour où tout s'est arrêté. Jusqu'à ce fameux moment où mon oncle est mort.

Cet homme était d'une grande humanité, nous avons perdus un être cher ce soir mais qui restera pour toujours dans nos coeurs. Et ainsi continuait le discours du prêtre, rendant hommage à celui qui m'avait pratiquement éduqué, celui qui avait joué le rôle d'un père remplaçant car le mien ne voulait pas l'assumer. J'avais dix-sept ans, bientôt diplômé, de bonnes notes, de l'argent, une belle gueule mais rien de tout ça ne me rendait le sourire. Parce qu'il n'était plus là. Et parce que ma vie allait devenir fade à nouveau. Puis la nuit était tombée, on rentrait chez nous, enfin chez lui.

Harvard, autrement dit la meilleure université de Cambridge, celle que je visais. Mais cette fois, ce n'était pas pour faire plaisir à mon père mais pour commencer à vivre. Fini les non-dits, les oui en rafales, l'obéissance inconsciente, ma décision était prise. J'irais en économie et politique, j'utiliserais cette logique que j'avais si souvent exercée et ce qu'il m'avait appris pour me faire un nom dans ce milieu, ma belle gueule pour goûter aux plus belles lèvres du campus et mon argent pour vivre comme bon me semblait. Les bonnes résolutions pouvaient aller se faire voir, mon règne commençait et je ferais parti des Roi qui écrasent les rébellion d'un seul regard. Ce monde était à conquérir et il se plierait devant ma volonté. Alors j'entrais dans cette université avec une citation de John Green en tête : Lorsque les adultes disent avec un sourire imbécile et sournois : "les adolescents se croient invincibles",ils ne se doutent pas à quel point ils ont raison. Inutile de perdre espoir car nous ne pouvons être brisés irrémédiablement. Nous pensons être invincibles parce que nous le sommes. Nous ne pouvons être nés ni mourir. Nous sommes comme les énergies, nous changeons seulement de forme, de taille et de manière de nous manifester.
Les adultes l'oublient en vieillissant.