NOAH V. CAHILL ► Keiynan Lonsdale

Hey, girl, open the walls, play with your dolls
We'll be a perfect family.

C'est le 16 décembre 1993, lors d'une chaude nuit d'été que ma soeur et moi naissons à Sydney. Nos parents, tous content d'accueillir leurs premiers enfants deux pour le prix d'un, yay! décidèrent de nous nommer Rose et Noah. Deux jolis noms pour deux petits bébés bien en chair. Maman nous a beaucoup dit Vous étiez à croquer!. On dit souvent que les jumeaux sont complémentaires, qu'ils ne se passent pas l'un de l'autre... pourtant, avec Rose on n'était pas du tout comme ça. On s'entendait bien, mais pas aussi bien que tout le monde peut le penser. On n'avait pas ce lien qui est censé caractériser les jumeaux. Je pense que cela a un lien avec le fait que nous étions des enfants très différents. Rose était toute rigolote et moi j'étais calme. Un peu trop calme. Quand on était jeunes, Maman passait énormément de temps avec nous. Elle nous emmenait à droite, à gauche et jouait avec nous. Papa nous a apprit à faire du surf alors que nous étions enfants. C'était notre activité préférée, et je dois l'avouer, comme tout bon australien, même encore maintenant il m'arrive de prendre ma planche et de rejoindre la côte pour laisser les vagues me chatouiller avec cette montée d'adrénaline que j'aime tant. Nos parents venant d'une famille aisée, nous ne manquions de rien. L'affection que Maman nous portait et l'argent que Papa ramenait étaient suffisants à notre bonheur.

When you walk away is when we really play
You don't hear me when I say,
"Mom, please wake up.
Dad's with a slut, and your son is smoking cannabis."

Malheureusement ce bonheur ne fut qu'éphémère. Plus je grandissais, plus je comprenais les mots que Papa employait lorsqu'il parlait à Maman. Et ça, c'était de plus en plus difficile à accepter. Le ton sur lequel il lui criait dessus, les insultes, la violences dans ses mots... c'en était trop. Je ne comprenais pas. Maman était une héroïne. J'avais dix ans quand elle commença à m'emmener avec elle à la soupe populaire, ou dans d'autres endroits où elle pouvait me montrer que la générosité était une qualité importante qu'il fallait chérir. Et pourtant! Papa était méchant avec elle. C'était un homme violent. Du moins, violent verbalement.

Hey, girl, look at my mom, she's got it going on
Ha, you're blinded by her jewelry.
When you turn your back she pulls out a flask
And forgets his infidelity.

Nous n'avions que 14 ans quand Maman partit. Elle quitta la maison, Papa et nous avec pour aller s'installer aux Etats-Unis. Quand j'appris ça, ce fut tout mon petit monde qui s'écroula. Il s'écroula aussi facilement que la maison en paille des trois petits cochons lorsque le loup souffle dessus. C'est à ce moment là que tout bascula. Quand on nous apprit la nouvelle, je liais alors ma main à celle de Rose. A partir de ce moment-là, ma soeur et moi ne nous sommes plus lâchés.
Maman était partie. Elle nous avait abandonné. Ce n'était la faute d'aucun d'entre nous deux, non. Le responsable c'était Papa. Il lui avait toujours parlé comme si elle n'était rien. Elle ne méritait pas qu'on l'insulte, Maman. Elle méritait tout le bonheur du monde. Papa l'avait fait fuir. Certains diront que ma soeur et moi nous sommes ligués contre mon père. Et ils n'auraient pas tort. Il était le seul et unique responsable de notre malheur et de celui de Maman. Ma soeur et moi on comptait bien le lui faire payer.

No one ever listens, this wallpaper glistens
One day they'll see what goes down in the kitchen.

C'est ainsi que j'ai commencé à me rebeller contre lui. Mon père. C'était de sa faute que toute notre vie devint un enfer. Rose et moi prenions parfois contact avec Maman qui m'avait laissé un numéro de téléphone où la joindre. On ne prévenait pas Papa, et lorsqu'il se doutait que quelque chose on se couvrait mutuellement. Au début il n'y voyait que du feu, mais il n'était pas dupe et je pense qu'il comprenait bien qu'on lui faisait à l'envers.
Je n'ai jamais relâché mon travail. Je continuais de bosser, j'avais toujours de très bonnes notes et j'étais très bien vu par les professeurs. Par contre, une fois que je passais la porte de chez moi, je n'hésitais pas à tenir tête à mon père. Lorsqu'il parlait mal à l'un d'entre nous, lorsqu'il jurait ou grogner sans raison, et même lorsqu'il y avait une raison, je criais à mon tour et plus il continuait plus je devenais à mon tour irrespectueux. Mes meilleurs amis ne connaissaient même pas cette partie de moi. Je lui hurlais dessus, car tout était de sa faute. Lorsque ma soeur faisait quelque chose qu'elle n'aurait pas du, on se serrait les coudes et je la couvrais, j'aurais même été capable de me dénoncer à sa place. Je l'avais déjà fais. Je voulais son bonheur. Mon père n'avait pas le droit de nous gâcher plus la vie qu'il ne l'avait déjà fait.

Picture, picture, smile for the picture
Pose with your sister, won't you be a good brother?

C'est parallèlement au lycée que j'ai touché pour la première fois à une guitare. J'avais pris l'option "musique" dans le but premier d'avoir plus de points aux SATs. Dans cette option, on devait avoir un instrument de musique on devait faire partie d'un des groupes de musiques du lycée et chaque groupe à son tour animait les bals et les soirées organisés par l'établissement. Au lieu d'acheter un instrument simple qui ne coûte pas cher je me suis mis à la guitare. Il s'avère que je suis apparemment pas trop mal doué et que j'ai une jolie voix. On m'a même une fois laissé chanté seul, sans le groupe, un slow au bal de fin d'année de la dernière année de lycée. C'est ainsi que j'ai commencé à écrire des chansons et à jouer de la guitare lorsque j'en ressens le besoin.
Puis, après le lycée ma soeur et moi avions commencé à échafauder un plan. Elle partirait de la maison, irait se rapprocher de Maman en allant faire ses études supérieures aux Etats-Unis. J'avais beaucoup de mal à me faire à l'idée que j'allais devoir rester seul en Australie. Seul sans elle. Seul avec mon père. Mais depuis que Maman nous avait laissé, Papa se défoulait beaucoup trop souvent sur ma soeur. Et ça, je ne l'acceptais pas. C'était pourquoi je me rebellais tant face à lui. Et pourquoi je l'avais aidé à partir.
C'est une fois à l'aéroport pour prendre l'avion en direction de Boston que Rose appela Papa pour lui annoncer son départ. Quand j'entendis le téléphone de mon paternel sonner, j'envoyai alors un sms à ma soeur. "M'oublie pas. Je te rejoindrai un jour. Je te le promets. Je t'aime." disais-je dans ce message. Une fois que Papa eut décrocher, j'entendais hurler. J'osai ouvrir la porte de ma chambre pour entrer dans le salon. Quand mon père raccrocha au nez de ma soeur, il se tourna vers moi, un regard noir et terrifiant. Tu savais, n'est-ce pas?! Tu savais toi, hein! Tu m'as arraché de ma fille, espèce de connard!! me dit-il, tellement fort qu'un enfant aurait pu croire que ses cordes vocales allaient s'arracher de sa gorge. Un sourire en coin mesquin, j'hochais la tête. Ouais. C'est même moi qui lui as commandé ses billets d'avion. Il s'approcha alors de moi, si déterminé que je vous jure, j'ai bien cru que j'allais m'en prendre une. Il était sur le point de le faire, je vous promets qu'il allait le faire. Au lieux de s'en prendre à moi, il hurla en se mettant à balancer les chaises de la salle à manger. Je reculais pour m'éloigner de lui et sortis de la maison en criant. Vas te faire soigner espèce de taré!
C'est sur ces mots là que je suis parti faire un tour dans le quartier. Marcher, prendre l'air, digérer ce qu'il s'était passé. Digérer le départ de ma soeur et la violence de la scène à laquelle je venais d'assister.

Everyone thinks that we're perfect
Please don't let them look through the curtains.

Et là, vous vous dites que ça ne pouvait pas être pire? Et pourtant. Depuis le départ de Rose, le comportement de Papa a empiré. Enfin... de "papa". Il hurlait encore plus, se défoulait sur moi, m'insultait de tous les noms. Il ne m'a jamais frappé mais pourtant il a faillit. Plus d'une fois. Et puis moi alors, moi je le provoquais. Il était responsable de tout ce qui n'allait pas dans ma vie. Bien sûr que je lui en voulais. C'était lui le connard.
Un jour, pendant une dispute, je lui criais dessus. T'es qu'un salaud! J'ai honte d'avoir un père comme toi! Rose a bien fait de partir, de s'éloigner de toi! T'es qu'un sale parasite de merde!! De manière surprenante, mon père ne m'a pas répondu en hurlant. Au lieu de ça, il ouvrit le frigo, décapsula une bière et rétorqua. Bah t'sais quoi, t'as pas à avoir honte. T'as pas un père comme moi. De là, je déglutis difficilement. Je glissais mes mains dans les poches arrières de mon jean et observais mon père, dubitatif. Quoi? Il but une gorgée et s'appuya contre le meuble de la cuisine. J'suis pas votre père de toute façon. Une nouvelle fois, mon monde s'écroula. Je ne répondis même pas à ces mots et m'assis sur une chaise, les dents serrées. Mon père m'expliqua alors que lorsqu'il a connu ma mère, elle était enceinte de jumeaux. Le père... notre père biologique l'avait quitté lorsqu'elle lui avait annoncé qu'elle allait mettre au monde ses enfants. Je me sentais une nouvelle fois trahi. Seul. Encore une personne qui nous avait abandonné. Tout prenait un sens dans ma tête. C'était à propos de ça toutes les disputes quand on était enfants. C'était pour ça que Papa s'occupait moins de nous que Maman. Papa... quel Papa, hein.


Uh-oh, she's coming to the attic, plastic,
Go back to being plastic.

C'est à ce moment là que je me mis sérieusement à vouloir partir. Partir, m'enfuir, m'évader, loin de mes problèmes, loin de celui qui avait prétendu être mon père pendant des années, loin de cet homme qui n'était qu'un étranger qui nous prenait pour un punching ball, loin de cette vie, ma vie qui n'avait été qu'un énorme mensonge depuis le début. J'ai même, les quelques derniers infâmes mois que j'ai passé en Australie, commencé à développer une rancoeur envers ma mère. Au final, elle avait fait exactement ce que notre paternel biologique avait fait. Elle nous avait abandonné, été partie à l'autre bout du monde. Elle avait même fait pire que lui: elle nous avait laissé seuls avec cette personne violente qui nous mentait depuis le début de notre vie.
C'est tout naturellement que je choisis Boston comme destination, et plus précisément l'université d'Harvard. Ambitieux, j'ai toujours eu envie d'intégrer un établissement aussi prestigieux et si en bonus cela pouvait me permettre de rejoindre ma jumelle, alors c'était parfait.