SEPHORA D'HAEYER ► romee strijd

4 janvier 2016.
Elle est morte. Je suis morte avec elle.


« - Dieu n’a pas fait la mort. Il ne se réjouit pas de la perte des vivants. Il a créé toutes choses pour qu’elles subsistent. Les impies ne sont pas dans la vérité lorsqu’ils raisonnent ainsi en eux-mêmes. […] Ils se trompent, car Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable. Il a fait de lui une image de ce qu’il est lui-même. »

« - L'Éternel a donné, l'Éternel a repris, béni soit son nom. »

Les mots te parviennent sans vraiment que tu les écoute. Tes joues sont inondées par les larmes que tes yeux n’arrêtent pas de laisser couler. Ton maquillage est complètement fichu. Tu ne sais même pas à quel moment tu t’es mise à pleurer. Mais c’est un fait, tu pleures. Tu pleures, la tête baissée. Regardant le sol, tu voudrai que tout ceci ne soit qu’une mauvaise blague. Qu’elle se réveille, se lève dans son cercueil et rit de son rire si cristallin. Et qu’elle crie : « - I’m not dead. Not yet. » Mais c’est un fait. Elle est morte, brutalement. Elle s'est donnée la mort. Elle t'as abandonnée. Et t’as mal. T’es bousillée, complètement détruite. T’es morte au moment où ses yeux se sont fermés. Tu ne veux pas y croire. Tu ne veux pas et tu ne le peux pas. Tu refuses qu’elle te laisse. Elle n’a pas le droit. C’est ce que t’as crié à la morgue. Quand enfin t’es revenue à la réalité, quand tu t’es rendue compte qu’il n’y avait pas que toi dans ce foutu monde. T’as hurlé. Comme une possédée, une folle. T’as crié tout ce que t’avais. Ce qu’elle était. Tes genoux sont encore douloureux du choc que tu leur a fais subir. Quand t’es tombée face à sa dépouille. Pleurant toutes les larmes de ton corps. Et tu sais que jamais, non jamais tu ne pourra accepter qu’elle soit morte. T’es toute seule. Complètement paumée. T'as peur de partir en vrille, t'as peur de faire une connerie. Parce que tout ce que tu veux en cet instant précis, c’est la retrouver. Parce que t’es peut être morte de l’intérieur. Mais physiquement, t’es toujours là. Et c’est aussi difficile à supporter. D’être celle qui reste.

« - Et à présent, nous allons laisser la parole aux membres de la famille, aux amis et tout ceux qui ont voulu lui faire un dernier hommage, un dernier adieu. »

Ces mots te font revenir à la réalité. Parce que tu sais que ça va être à ton tour de t’adresser à l’assistance. De lui adresser un dernier mot, un dernier adieu à cette jumelle que tu viens de perdre à tout jamais. Tu te lèves de ta place et tu te traînes jusqu’au pupitre, ta feuille un peu froissée en main. T’as écris quelque chose. Une fois face à toute l’assistance, tu n’oses pas regarder en face de toi. Les voir, tous yeux fixés sur toi. T'imagines ta mère, aussi stoïque et froide qu'à son habitude. Et ton père, ton pauvre père... Tu sais d'avance qu'il doit être dans le même état que toi. T’essaye de calmer tes pleurs. Quelqu'un s'avance vers toi, sûrement une de tes cousines, pour te soutenir. Mais d’un geste de la main, tu la repousses. Tu ne veux pas qu’on t’aide. Tu n’es pas une assistée. T’as juste le cœur complètement bousillé. Tu baisses les yeux sur ton morceau de papier et t'as envie de rire jaune. C'est ridicule, complètement ridicule. Y'a aucun mot qui pourrait exprimer ce que tu ressens à cet instant précis alors tu finis par choisir de ne pas lire les quelques lignes que t'as écrite et tu passes directement à un poème que t'as trouvé dans un de ses bouquins. Tu t'éclaircis la voix, prends une grande respiration et finalement, tu parviens à entrouvrir les lèvres. Pour la première fois depuis que t'as mis les pieds dans cette église, tu te mets à parler. D'une voix hésitante, frêle, éteinte à cause des larmes qui continuent de couler sur tes joues.

« - La mort n'est rien. Je suis seulement passé dans la pièce à côté. Je suis moi, vous êtes-vous. Ce que nous étions les uns pour les autres, nous le sommes toujours. Donnez-moi le nom que vous m'avez toujours donné. Parlez de moi comme vous l'avez toujours fait. N'employez pas un ton différent, ne prenez pas un air solennel et triste. Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble. Priez, souriez, pensez à moi, priez pour moi. Que mon nom soit prononcé comme il l'a toujours été, sans emphase d'aucune sorte, sans une trace d'ombre. La vie signifie tout ce qu'elle a toujours signifié. Elle est ce qu'elle a toujours été. Le fil n'est pas coupé. Pourquoi serais-je hors de votre pensée simplement parce que je suis hors de votre vue ? Je vous attends. Je ne suis pas loin, juste de l'autre côté du chemin.
   
Vous voyez, tout est bien. »

Sans un regard pour l’assistance, tu quittes le pupitre et tu traverses l’église. Il faut que tu sortes de là. T’es en train d’étouffer. Tout les regards sont tournés vers toi et tu n’en a que faire. T’as juste envie de sortir et de te griller une clope. Tu veux sortir de là et ne plus y retourner. La vue du cercueil ouvert est juste un supplice pour toi, tu parviens pas à t'avancer vers la dépouille de ta jumelle pour lui faire tes derniers adieux. Parce que tu sais que dans quelques minutes, dès que la cérémonie sera terminée, il sera enseveli. Ça ne ferait que confirmer que tout ceci n’est que la réalité. Tu sens ton cœur se serrer, ta trachée est comme bloquée. Tu cours les quelques mètres qui te sépare de la porte d’entrée. Que tu passes aussi vite que possible. Tu laisses la porte claquer, provoquant un bruit sourd. Tu t’en fous. Tu cours jusqu’au banc le plus proche, où tu te laisses tomber. Tu trembles de tout ton corps. Tes larmes venant tremper ta jolie robe noire. T’as l’impression que ta réserve de liquide lacrymal ne sera jamais épuisée. Et tu voudrai arrêter de pleurer. Tu détestes ces larmes. Tu les détestes autant que tu te détestes de ne pas avoir été là pour les derniers instants de vie de ta sœur, de ta moitié. T’attrapes ton paquet de clopes dans la seule poche que contient ta robe. T’as du mal à en attraper une avec ces foutus doigts qui n’arrêtent pas de trembler. Tu grognes de rage. Et finalement, t’arrives à choper ce petit bâton de nicotine. Que tu ne perds pas de temps à glisser entre tes lèvres et à allumer avec le briquet que contenait ton paquet. Tu tires sans attendre et la nicotine prend alors possession de tout ton être. T’as l’impression d’aller un tout petit peu mieux. Mais c’est que passager. Juste le temps d’une clope. Une fois la cigarette terminée, le vide se fait à nouveau ressentir. Et ça fait mal. C’est pire qu’une douleur physique. Cette douleur-là, tu sais qu’elle restera à vie. Et que la seule manière de ne plus l’éprouver, serait de mourir.

« Sa philosophie de la vie c’était qu’elle pouvait mourir à tout moment. Ce qu’il y avait de tragique selon elle, c’est qu’elle ne mourrait pas. »


Née à Bruxelles et y a vécu jusqu'à ses dix huit ans. ✝ Est venue dans ce monde accompagnée de sa jumelle, Allegra. ✝ Son père, Théodore, est notaire et possède la plus grande étude notariale de Belgique. Il gère d'ailleurs les actifs de la famille de Belgique-Schueller. Sa mère est héritière. La famille d'Haeyer est une famille très ancienne et très respectée de Belgique. ✝ Famille catholique obligée, Sephora a du faire toutes ses communions et sa profession de foi. Ils vont d'ailleurs tout les dimanches à la messe et chaque repas est commencé par une prière. Choses qu'elle déteste, bien évidemment. ✝ Elle a toujours fréquenté des écoles privées et à d'ailleurs passé sa scolarité dans un pensionnat catholique en Suisse. ✝ En perpétuel conflit avec sa mère. ✝ Gâtée pourrie depuis sa naissance. ✝ Après le pensionnat, à leurs dix huit ans, Allegra et elle s'envolent vers Paris pour poursuivre leurs études. Ayant besoin de couper le cordon avec leur mère ultra protectrice et assez toxique. ✝ Sephora c'est le feu et la glace. Un caractère trempé et une langue de vipère. ✝ Intelligente et ambitieuse, elle a finit major de promo de sa licence de droit et de ses masters en droit européen et droit international. ✝ Après ses masters, elle décide de prendre une année sabbatique alors que sa soeur continue sur un doctorat. ✝ Elle l'abandonne quelques mois pour aller faire la fête aux quatre coins du monde et alors qu'elle décide de revenir vers elle, elle fait une terrible découverte : Allegra s'est suicidée. ✝ Chose qu'elle ne savait pas c'est que cette dernière s'était faite violer quelques mois plus tôt. ✝ Depuis sa mort, Sephora éprouve un grand sentiment de culpabilité. Qu'elle a d'abord tenté de noyer dans l'alcool avant de s'envoler vers l'Amérique latine. ✝ Là bas, lors de ses missions humanitaires et de reconstruction, elle découvre une toute autre réalité. Une année passée là bas qui va commencer à la métamorphoser et lui ouvrir les yeux sur ce qu'est réellement le monde. ✝ Sephora rentre en Belgique en Mars 2017 mais ne supporte plus de vivre au manoir familial. Elle prends la décision de reprendre ses études et envoie une application à Harvard. Chose qui a fortement déplu à ses parents. Mais comme la belge aime avoir le dernier mot et qu'elle obtient toujours ce qu'elle veut, la voilà aujourd'hui à Boston, à tenter de refaire sa vie. De combler le vide qu'à laissé Allegra derrière elle.