NIKOLI V. VARRICCHIO-PENA ► mathilda bernmark

insoumis est le cygne qui porte la couronne. tu n'es pas née princesse, mais quel importance, tu es bien décidé à être reine. le monde t'appartient. du moins, tu en es convaincue et tout ce que tu vois, tu le veux. car tu es l'insatiable dévoreuse de connaissances, avide de toujours plus. plus d'influence, plus de reconnaissance, plus de pouvoir. tu veux la planète au creux de tes doigts, que la terre cesse de tourner pour ne regarder que toi. ô que tu aimes l'attention. le regard des autres ne t'effraie pas, tu adores admirer ton reflet dans les iris transis d’intérêt.
toi, nikoli, tu incarnes la témérité de la génération de demain. les sentiers battus sont bons pour ceux qui ne savent pas où ils vont. une étincelle de méprise au coin de l’œil, tu as du faire de ton arrogance un charme. ton sourire moqueur, c'est ta plus belle arme. et beaucoup pourront témoigner, c'est vrai que t'as l'air d'une salope bouffie d'orgueil des orteils à la pointe de cheveux et c'est difficile d'affirmer le contraire, mais y'a pas que ça. comme un chevalier à la guerre, tu la joues toujours loyal. même les garces ont des principes. il n'y a pas de victoire sans honneur et ce que tu veux, toi c'est gagner. et ça peut choquer quand on s'en rend compte, toi la pétasse dédaigneuse au sens de la vertu quasi chevaleresque. tes promesses sont tenues, tes serments ne sont jamais brisés et tes amitiés sont éternelles. une connasse au cœur de glace enrobé d'une fine couche d'or. même la pourriture brille au soleil. le truc c'est que t'as beau être née avec une cuillère en argent dans la bouche, t'ignores pas que la vie c'est dur. et c'est ça qui rend la course excitante. tu vises toujours plus haut, tu te promets d'atteindre des sommets. dans ta vie, il n'y a de place que pour la perfection, l'excellence. pour prouver à ton père que tu peux le faire. pour te le prouver à toi-même.
t'es ce genre de fille qui ne fait jamais rien à moitié. go big or go home. et c'est pas encore l'heure de rentrer. quand tu fais la fête, c'est le monde entier que tu retournes. avec toi, c'est tout ou rien. pas de demi-mots, pas de demi-victoire. mais tu fais attention, nikoli. tu voudrais pas devenir comme ton père. t'as beau avoir des ambitions, tu sais compartimenter : y'a le temps du carriérisme et le temps de la fête. mais ces temps-ci, t'as tendance à l'oublier, tu te perds dans tes aspirations, tu te dis que t'as plus le temps pour autre chose. des choses importantes comme tes amis, comme tes amours. la perfection vient à un prix que tu as de plus en plus de mal à payer. et puis tu te cherches des excuses. tu te dis que c'est pour ta passion. qu'un un jour, tu monteras sur cette scène qui t'appelles. tu prouveras à tout le monde que t'as du talent. car tout ce que tu fais, tu le fais pour la danse. pour l'amour du ballet. la parfaite petite fille d'ambassadeur à la destinée toute tracée deviendra cygne.

AND WHAT YOU'VE LIVED
comme beaucoup d'enfants de personnalités, t'as élevé par des nounous, des gouvernantes et des majordomes. papa était toujours parti à la conquête du monde. gouverneur de ci, ambassadeur de ça. émissaire du G20, conseiller diplomatique du président. il avait toujours un rendez-vous, toujours un avion qui l'attendait, toujours un chauffeur garé en bas de la maison. et maman, elle, elle vivait la vie de star. c'était une américaine qui avait rencontré ton père alors qu'il était en voyage d'affaires. tombé sous le charme, il l'avait ramené en italie où ils t'avaient eu, toi. mais maman n'avait pas abandonné ses rêves hollywoodiens pour autant. étoile montante du cinéma, rien ne pouvait empêcher esther pena de se présenter sur les plateaux de cinéma de l'autre côté de l'océan.
donc à la maison de venise, souvent il n'y avait que toi. toi et la gouvernante. ça devenait vite ennuyeux alors t'as commencé à t’intéresser à des loisirs, pour que le temps passe plus vite, pour que maman et papa rentrent plus tôt. et dans tes premières années, t'as essayé beaucoup de choses : la gym, le foot, le tennis, l'athlétisme. mais y'a rien qui te plaisait, rien qui satisfaisait ton envie d'élégance, ton désir de grâce. rien jusqu'à ce que tu la rencontres elle : ta meilleure amie, ta plus fidèle alliée, la danse classique. tu te souviens encore de votre première rencontre : elle avait des airs de cygnes avec ses tutus blancs et ses musiques si douces aux oreilles et toi, t'as tout de suite vy que c'était la bonne. t'as tout de suite su que pour toi, c'était la danse. et c'est comme ça que t'as survécu à une enfance un peu solitaire. tu t'es réfugiée dans les bras du ballet et étonnamment ça a marché.
puis le temps a passé, t'as grandi et alors s'est installée l'ère de la perfection. quand t'as eu seize ans, papa a été nommée ambassadeur d'italie aux états-unis. c'était la fête à la maison, tout le monde était content et il y a eu le déménagement. t'as quitté venise et ses canaux pour t'installer à la villa firenze, résidence officielle de la famille de l'ambassade. c'était pas si mal. washington avait un certain charme, quand on y pensait pas trop longtemps. mais ce n'était pas ta nouvelle ville le problème, c'était ta nouvelle vie.
dès le jour de l’emménagement, la pression sur tes épaules s'est décuplée. tu devais rayonner de perfection sur tous les points. la fille de l'ambassadeur ne pouvait être que parfaite à l'école, bien habillée, polie, et évidemment polyglotte. et c'est vrai que beaucoup auraient aimé avoir tes problèmes, mais devoir excéder de perfection à chaque instant, c'était éreintant. mais ça encore, c'était vivable. le pire, ça a été au moment de choisir ton avenir, vers la fin du lycée.
tu ne t'étais jamais cachée de ta passion pour la danse et de ton envie d'en faire ton métier. papa n'y prêtait pas attention. lui, il voulait que tu ailles à harvard, la meilleure université du monde et que t'y apprennes à devenir un dirigeant. parce que de la même façon que les chiens ne font pas des chats, les ambassadeurs ne font pas des danseurs.
et le combat pour ton futur a été rude. tu disais que t'avais du talent, que tu pouvais réussir. il disait que le ballet n'était qu'un hobby et que lui vivant, tu n'en ferais pas ta vie. alors vous avez fait un compromis. tu passerais les sats pour harvard à l'unique condition de pouvoir étudier la danse en étude mineure.
et voilà où t'en es aujourd'hui. divisée entre les désirs de ton père, que tu n'as pas envie de décevoir et ce que t'aimes vraiment dans la vie. et puis c'est peut-être pas si grave ? tu ne détestes pas la diplomatie dans le fond. les relations internationales, c'est pas si terrible. mais tu peux pas t'empêcher d'y penser. et si t'étais en train de faire la plus grosse erreur de ta vie ? et si t'étais en train de passer à côté de ta chance ? ça te hante à chaque fois que t'enfile ton justaucorps. donc t'essaies de te convaincre que tu peux faire les deux : obtenir ton doctorat en relations internationales et en parallèle, lui prouver que t'as tes chances dans le monde du ballet tu sais pas encore comment t'y prendre, mais tu te promets d'y arriver.
il suffit d'être parfaite, de garder la tête haute, de ne pas se laisser distraire.
sois parfaite, nikoli. toujours plus parfaite.