DAYA GUZMÁN-SYDNER ► lindsey morgan

« Veillez décliner votre identité s'il-vous-plaît. » me demande un homme en costume avec une paire de lunettes sur le nez, en posant son badge de police sur la table face à lui. Il sort un stylo et attend ma réponse pour la retranscrire sur son carnet. « Je m'appelle Dayanara Gloriana Guzmán-Sydner. Je suis née un 15 mars 1993 à Guadalajara dans l'Etat de Jalisco au Mexique. » je lui réponds calmement. J'ai l'habitude de ce genre d'interrogatoires. J'en ai passé plus d'un depuis ma naissance. Constamment surveillée, soupçonnée. Si au départ, ces hommes me faisaient peur, aujourd'hui, il ne m'inspirent rien d'autre que du dédain. « Est-ce que vous confirmez être la fille de El Chapo Guzmán ? » me demande-t-il. Il le sait déjà, mais cela fait partie du processus. Ils me demandent toujours de confirmer ce qu'ils savent déjà, peut-être pour me déstabiliser ou bien parce que c'est le règlement, je n'en sais trop rien. « C'est exact. » que je réponds en me permettant un petit haussement des yeux au ciel. Ou au plafond de cette salle d'interrogation. Je ne compte pas cacher que tout cela m'ennuie profondément. Ils m'ont dérangée au beau milieu d'un séjour en Europe avec mes amis. « Savez-vous pourquoi nous vous avons fait venir ici Mademoiselle Guzmán-Sydner ? » nouvelle question dont j'ai l'habitude. « Absolument pas. » je lâche. Menteuse que je suis. Je sais pourquoi je suis ici, mais je veux qu'ils le disent à voix haute. Je ne veux pas leur donner l'occasion de m'incriminer. « Votre père s'est à nouveau échappé de prison au Mexique il y a quelques semaines. Vous n'étiez pas au courant ? » bien sûr qu'il ne me croit pas. Il n'a aucune raison de me croire, je suis la fille de mon père après tout. L'une des filles. Mon paternel a eu une vingtaine d'enfants, bon nombre d'entre eux illégitimes tout comme moi. Je ne suis que le fruit d'une aventure entre El Chapo et une actrice américaine qui m'aura élevée pratiquement toute seule. « Non, je n'étais pas au courant. » ma réponse lui fait hausser un sourcil. Il soupire et pose son style pour croiser ses bras sur sa poitrine. « Décrivez-moi votre relation avec votre père. » il fait son boulot, il pense bien le faire, mais il ne se rend pas compte qu'il n'est pas le premier à avoir essayé de me faire parler par le passé. Que malgré toutes ses questions, il n'obtiendra rien de moi. « Mon père est allé en prison quelques semaines après ma naissance. Je ne l'ai jamais connu ni rencontré, je n'ai aucun contact avec lui. » je récite par coeur cette phrase que j'ai déjà récité à de maintes reprises. En réalité, j'ai connu mon père. Il s'est échappé pour la première fois quand j'avais plus ou moins douze ans. Il m'a rencontrée, il m'a reconnue, m'a accueillie dans sa famille. Il m'a enseigné son quotidien, m'a initiée à son monde. J'ai passé le plus clair de mon temps entre New-York et le Mexique et lorsque j'ai eu l'âge d'aller à l'université il y a quatre ans, j'ai préféré ne pas écouter ma mère et et vivre ma vie comme je l'entendais. Faire partie de la jet set, fréquenter l'infréquentable. L'année dernière, mon père s'est fait arrêter pour la seconde fois et c'était moins une qu'on me retrouve en sa compagnie. Furieuse, ma mère a voulu me forcer à couper les ponts avec lui, mais j'ai refusé. Depuis elle et moi ne nous parlons plus. Mais j'ai été en quelques sortes obligée de suivre ses ordres puisque la police m'a mise sous surveillance, rendant mes échanges avec mon père presque impossibles. L'agent en face de moi soupire. On l'avait prévenu, cet interrogatoire ne mènerait à rien. Ils surveillent déjà mes appels téléphoniques, mon ordinateur. Parfois, ils me suivent même dans la rue. S'ils voulaient découvrir quelque chose, ce ne serait pas en me faisant venir jusqu'à chez eux pour me poser quelques questions. « Bon, ce sera tout pour moi. » qu'il dit clairement agacé par l'issue de note conversation. Il doit être nouveau.


Deux moins ont passé depuis la dernière arrestation de mon père. Ce coup-ci, il est incarcéré aux Etats-Unis et non au Mexique. Sous haute surveillance, il ne peut plus m'envoyer de l'argent comme il en avait l'habitude, et refusant toujours de me réconcilier avec ma mère, il ne m'aura pas fallu plus de quelques jours pour me retrouver sans un sous. Je me suis soudainement retrouvée plongée dans le monde réel. Adieu l'opulence et l'excès. Mais pas pour très longtemps car j'ai rapidement trouvé une solution de secours, qui n'est autre que l'homme en train de nous servir deux coupes de champagne non loin sur le pont de son yacht. Je lui fais un signe de main accompagné d'un clin d'oeil. Mon nouveau petit ami. Une connaissance de mon père, particulièrement riche. Grâce à lui, je n'ai pas eu à me brûler les ailes. Il subvient à mes besoins, et en échange, je supporte sa jalousie maladive. Je n'ai pas à me plaindre et le considère comme un sauveur, même si je n'éprouve pas vraiment de sentiments amoureux envers lui. Ca viendra, ou pas. L'amour ne paie pas les factures, l'argent si.



Terminées les vacances. La police s'est intéressée à mon couple et pour ne pas attirer de soupçons, mon petit-ami a décidé de mettre de la distance physique entre nous. M'inscrire à Harvard, histoire de donner l'impression que je fais quelque chose de ma vie, autre que de baigner dans le milieu de mon père. Je ne vois pas vraiment ça d'un bon oeil. Il y a quelques années, j'avais refusé de faire des études pour pouvoir passer mes journées au bord d'une piscine ou sur un bateau. Arrêter de jouer la petite-amie parfaite pour devoir jouer l'étudiante studieuse. Une couverture, en attendant qu'il me rende visite tous les mois pour me donner de quoi m'acheter tout ce dont j'ai envie. Il me paie mon loft, bien que je doive résider à Harvard le temps de la première année. D'ailleurs, je vais probablement devoir choisir une confrérie. Mon coeur oscille entre la Mather House et la Cabot, mais mon petit-ami me pousse vers le premier choix. Parce que cette confrérie est composée d'un bon nombre de ses clients. L'occasion pour moi de me faire un peu d'argent de poche en lui rendant ce précieux service. En attendant, j'ai posé mes valises à Vientiane, au Laos, afin de participer au Summer Camp des étudiants de Harvard et peut-être faire quelques connaissances.