Cette journée, je la prévoyais belle, ensoleillée. A Cambridge depuis déjà deux ans, je commençais peu à peu à laisser les ombres du passé derrière moi. On oublie jamais complètement quelqu'un, la mort d'un être cher est une chose qui vous blesse au plus profond de vous-même. Tout a bien failli s'arrêter ce soir-là pourtant il a fallu avancer... Ma cicatrice me rappelle encore cette douleur, ce drame. Elle me rappellera tout ça encore longtemps pourtant ici je vis, je fais mon bonhomme de chemin. Du moins, je pensais y arriver. J'étais partie pour les cours quand au détour d'un couloir, une silhouette attira mon attention. Non, je mens ce n'est pas sa silhouette qui a attiré mon regard. Il se tient là debout de l'autre coté de ce couloir et c'est ce regard qui me percute de plein fouet. Je sens mon souffle s'échapper, me fuir, se bloquer et mes veines se glacer. Mes pieds ne veulent même plus avancer, alors que lui continue de le faire lentement. Je suis sous le choc, je crois que je suis en train de rêver, ou alors est-ce le join que j'ai fumé qui me fait halluciner. Je me retrouve presque nez à nez avec un fantôme du passé. Ma tête me dit "impossible" tu devrais retourner te coucher, tu es dans un sale état mais, ce bruit sourd dans ma poitrine et qui cogne à tout va me dit, non tu ne te trompes pas. Quelques années ont passé mais, il n'a pas tant changé et ses yeux eux, ne peuvent pas changer. De plus, il vient bien de s'arrêter juste en face de moi, non? Je n'arrive à rien lire sur son expression, ni un sourire ni rien d'autre. je dois avoir l'air très bête là, muette et encore plus idiote quand mes doigts fins viennent doucement frôler son visage. Je fais même un pas en arrière quand je sens alors sa peau dessous m'assurant qu'il est tangible et bien là. Mais... est le seul mot capable de franchir mes lèvres...
J’commençais seulement ma nouvelle vie, une vie sérieuse ou presque, bien loin de la déconne que j’ai connu pendant de nombreuses années. J’ai fait le tour du monde, j’en ai vu ses recoins, j’ai adoré, mais il était temps pour moi que j’fasse quelque chose de ma vie, que j’pense à trouver quelque chose qui m’fait vibrer. Depuis mon inscription à Harvard, école choisie pour son prestige en matière d’histoire et d’art, j’prenais un nouveau départ. C’était pas le premier, plutôt le second. Le premier était sans doute la plus grosse erreur de ma vie, je m’étais fait passé pour moi, cependant j’en avais vraiment eu besoin, pour ne pas réellement mourir ou faire un meurtre, tout simplement. A l’autre bout du monde, j’pensais pas me retrouver là, en plein milieu d’un couloir bondé d’étudiant que j’pourrais traverser, comme depuis quelques jours depuis ma rentrée. Mais cette fois-ci, j’étais bloqué, les jambes ancrées dans le sol. Une silhouette, un corps de déesse blonde s’approchait alors de moi. Ce regard, il m’avait tant transpercé il y a des années. J’pensais pas la revoir un jour, ni ici, ni ailleurs. « Salut Faith… » J’allais sûrement me faire gifler, elle et son comportement de feu… Mais pour une fois, j’pouvais pas lui en vouloir, elle aurait raison de le faire. Ma main vient se loger sur la sienne, comme pour être sûr que je rêvais pas. J’prenais une grande respiration en détaillant son visage, elle était toujours aussi mystérieuse, belle et intense.
Lorsque sa main se posa sur la mienne, ce fut comme si ses doigts venaient de me brûler intensément. Je la retirais vivement évitant tout contact dès que je l'entendis prononcer mon prénom. C'était un cauchemar éveillé... Il ne pouvait pas être là, il était mort. Et s'il ne l'était pas pourquoi toutes ces années de silence. Pourtant non j'étais bien éveillée,, il était bien là juste devant moi. Il me regardait simplement. Je sentis une colère sourde monter en moi, mes phalanges se serrer dans ma paume. J'avais deux envies folles, celle de le serrer dans mes bras, l'autre de le frapper, de marteler son torse de coups de poings jusqu'à ce qu'il en porte les marques. De quel droit???? Pourtant l'espace de brèves secondes je restais plantée là sentant en fait des larmes couler sur mes joues. J'étais sous le choc, secouée et tout les souvenirs me remontaient, me sautant à la tronche alors que je n'y étais pas préparée. D'un coup je laissais tomber les affaires qui comblaient mes bras et je me mis à le pousser en arrière avec force. Bordel dégage Jek, putain retourne dans ta tombe de merde enfoiré! Je pense qu'il avait rarement entendu de tels mots dans ma bouche. Je n'avais pas assez de force pour le pousser bien loin c'est là que sans m'en rendre compte ma main s'éleva, battit l'air et vint s'écraser sur la joue de mon ex petit ami. Une gifle puissante que je n'avais pas pu contrôler. C'était quoi? Un jeu, l'envie de me torturer? Il était vivant, n'avait jamais donné signe de vie... Il ne pouvait pas rester le fantôme qu'il m'avait imposé au lieu de revenir dans ma vie. Ma main se posa instinctivement sur mon abdomen qui arborait encore cette vilaine cicatrice du passé. J'avais soudainement l'impression de suffoquer, de partir dans une de mes crises de panique que je n'arrivais pas à contrôler. J'étais en détresse et je tentais de le fuir maladroitement puisque j'entrais de plein fouet dans une autre personne puis deux. Les gens commençaient à nous regarder plus vivement et je ne supportais pas ça. J'avais besoin d'air mais, mon état m'empêchait de trouver la solution, la sortie, l'échappatoire.
Cette décadence, ce flot d’émotions qui traversait son visage, qui traversait ses yeux clairs, j’pouvais voir tout ça. Elle était surprise, elle comprenait pas forcément et voilà que l’incompréhension, la tristesse, laissait place à la colère, au dégout. J’pouvais voir ses doux poings se fermer et j’laissais mes mains glisser sur ceux-ci. J’pouvais sentir ce frisson, entre elle et moi c’était toujours comme avant, sauf que je m’étais fait passé pour mort, bien évidemment, détail non négligeable. Elle pouvait m’frapper, ce ne serait pas la première fois qu’elle le ferait et puis j’pouvais encaisser, j’le méritais même, mais au lieu de ça, elle s’contentait de me pousser. La voilà, la furie que j’avais tant aimé, que j’aimerais toujours pour être honnête. Elle était là cette femme incontrôlable qui en avait fait bavé plus d’un. J’tendais presque la joue, histoire de m’faire battre ou histoire de souffrir, volontairement. J’l’avais abandonné, comme un lâche. J’étais qu’un adolescent stupide guidé par ses envies de voir le monde, retenu par ses obligations et j’l’avais fait terriblement souffrir aux détriments de mes souhaits, de mes envies. J’sentais la gifle s’abattre sur mon visage, j’serrai les mâchoires tout en regardant derrière elle les regards se posant sur nous. J’me concentrais à nouveau sur elle, visiblement la colère avait laissé place à … de l’angoisse ? J’fronçais les sourcils et j’regardais ses mains se mettre à trembler. Aussitôt, j’la saisissais, doucement mais assez fermement pour qu’elle ne m’échappe pas. J’venais nous plaquer dans un endroit discret, à l’abris de tout regard et j’venais l’envelopper dans mes bras. « Viens là… Calme toi. » Elle allait certainement se débattre mais je m’en foutais, j’voulais simplement qu’elle s’apaise.
Chacun des mots que j'avais prononcé, je les pensais. Oui cruellement, je les pensais. Je voulais qu'il retourne sous terre là où trônait la stèle dédiée à mon amour décédé. Qu'il reste un souvenir du passé et pas cette émotion vivement ranimée. J'avais senti ses mains, glissant sur mes poings me révélant sa si tangible présence. Le choc était trop grand, trop soudain. Je me le prenais de plein fouet. Il n'en fallu pas plus pour que tout se mette à dérailler. Bousculade, gifle, regards connectés. La rumeur qui s'élève, les regards qui se détournent. Et telle une libellule folle attirée vers les lumières, me voilà fuyant et cherchant avec désespoir une quelconque échappatoire rapide. Je suffoque, trébuche presque, m'excuse auprès des gens. Ceux-là doivent d'ailleurs me prendre pour une dingue. Je fuis... Jusqu'à ce que je sois stoppé et happée. Des mains se posent sur mes bras, je ne réalise pas exactement ce qui se passe, trop en proie à la panique. Le flot de voix incessant s'éloigne peu à peu alors que le mur d'un couloir à l'écart se cale contre mon dos. Ainsi couvée par le corps d'une personne, lovée dans des bras assez fermes pour m'empêcher de partir en vrille, je cherche à comprendre. Pourquoi, comment? Pourtant, il n'y a aucun son qui n'arrive à sortir de ma gorge. Mon souffle qui s'était fait filant, n'arrive pas à s'apaiser lorsque la voix retentit à nouveau. La sienne, elle n'a pas changée. Me calmer? Lorsque mon visage se relève sur son regard d'acier, je me demande s'il saisit toute l'incompréhension qui doit se lire dans mon regard. Réalisant à quel point tout ce qui se passe est bien réel, je tente de le repousser une fois encore. Je me débats mais, honnêtement regardez-moi! J'y mets bien peu de conviction. Tu n'as pas le droit! Tu ne peux pas me faire ça, pas maintenant... Ma voix se brise en un millier d'éclats pour venir mourir doucement. Je sens la chaleur des larmes me piquer les joues. Des larmes que je suis incapable de contenir. Bien malgré moi, oui malgré ma fierté qui étreint ma poitrine d'être là à pleurer devant lui. Tu étais mort... Et moi aussi... L'enfant ensuite. Peine, douleur, colère sourde. Je devrais me réjouir de le savoir en vie? Seulement je n'y arrive pas. Pourquoi? Il n'y a que ce mot-là... J'ai besoin d'explications.
Cette fille était tellement explosive, j’avais beau essayé d’être neutre, de ne pas provoquer en elle des émotions contradictoires, j’savais qu’elle allait exploser, qu’elle allait passer de la haine et de la tristesse, si elle n’avait pas changé, elle m’en ferait voir de toutes les couleurs. Et j’pouvais pas lui en vouloir, c’est ce que je méritais, clairement et j’doutais qu’elle avait pu changer autant car au fond personne ne changeait vraiment. J’aimais croire que j’avais changé durant toutes ces années de roots et pourtant, j’restais le même, faut croire que le sort ne m’était pas favorable. J’décidais de l’attraper, de la coller contre le mur et de la saisir assez fermement sans lui faire mal pour qu’elle saisisse ce moment, pour me regarder en face, pour comprendre que ce n’était pas un fantôme qui était devant elle mais bel et bien une personne à part entière, qui avait fait partie de sa vie. J’soufflais tout en baissant la tête. Ouais, j’avais été présumé mort, disparu même et j’étais le seul fautif de cette grosse mascarade, j’pouvais me blâmer. « Je sais… je sais… » J’essayais de l’apaiser tant que bien que mal et ça m’faisait mal de voir des larmes déferler sur son visage mais j’fronçais les sourcils, pourquoi avait-elle prononcé le mot ‘maintenant’ ? J’passais mes doigts râpeux sur son doux visage pour en enlever les larmes salines. « Maintenant ? » J’lui demandais presque des explications alors que c’était à moi de lui en fournir. J’posais mon regard dans le sien et j’respirais longuement pour retenir cette détresse bouffante. « J’chui désolé Faith, c’est inexplicable. » Comment lui raconter que j’avais pris mes jambes à mon cou, que j’avais fui cette vie minable et étouffante qui ne me ressemblait pas, comment lui expliquer que je l’avais abandonné et que je m’en voulais encore à l’heure actuelle.
Il me comprimait dans ses bras, comme s'il en avait encore le droit. Comme si rien ne s'était jamais passé. Les larmes coulaient et j'en rageais. Pour rien au monde je ne voulais paraitre fragile à ses yeux. Il avait beau le regarder, parler doucement... Toute l'incompréhension du monde pouvait se lire dans mes yeux. J'étais sous le choc de le voir là, bien vivant, respirant... Je me sentais si mal, j'avais l'impression que mes boyaux se tordaient dans mes entrailles. Il sait? Juste ça? Comment pouvait-il juste me dire ça, que ça. Je sentais ses doigts sur ma joue qui tentaient quoi au juste? De recueillir mes larmes comme s'il avait le pouvoir de les effacer de ce simple geste? Tellement ridicules... Non, il ne pouvait strictement rien y faire et moi non plus. Le voilà interrogateur à présent. Pourquoi maintenant? Sérieux? Tu te le demandes? Tu as été trop long... Non ce n'était pas exactement ce dont je voulais parler. Mais, pourquoi en dire plus, pourquoi le lui dire. Il s'en fichait avant, il s'en ficherait aujourd'hui aussi. J'étais toujours aussi fébrile et agitée. Mes tremblements ne voulaient pas s'en aller. J'étais prête à exploser. Désolé? Inexplicable? C'est loin très loin d'être suffisant. Ma bouche venait de cracher ces mots tel un poison et ma voix de partir dans un aigu que je n'avais pas retenu. Il comptait vraiment s'en sortir avec une telle excuse? Un bête désolé... Alors c'est ce que j'avais été pour lui, quelque chose qui ne valait pas assez la peine. Et sans 'en rendre compte, voilà que je lui martelais l'épaule du poing. Inlassablement, des coups répétés. Lâche-moi... Lâcheeee-moi ou je crie. Je voulais qu'il me lâche, je ne supportais d'être dans ses bras, pas là non. Et qu'importe si les autres le prenait pour un harceleur pervers. Il n'arriverait pas à me faire taire.
Cette situation semblait étrange, non elle l’était, entièrement incompréhensible. Faith était là, entre mes bras, telle une poupée de porcelaine prête à se briser en milles éclats, tremblantes. « Mais de quoi tu parles ? » J’comprenais pas ce qu’elle voulait dire. Mes prunelles cherchaient les siennes qui n’arrêtaient pas de fuir. J’la maintenais sans forcément m’en rendre compte, tout en espérant ne pas lui faire de mal car elle avait assez de douleur psychologique à encaisser. J’pouvais comprendre qu’elle me déteste, c’était tout à fait en son droit, mais là à cet instant, j’saisissais pas tout, il y avait quelque chose que j’ignorais. J’fronçais les sourcils, et voilà que la diablesse resurgissait. J’soufflais tout en laissant tomber mes bras puis je baissais la tête en levant les mains, j’étais résigné, j’la laissais respirer. « J’peux pas m’expliquer si tu ne me laisse pas en placer une. » J’voulais pas être méchant mais c’était limite si j’voyais le poison glisser entre ses dents. Est-ce que j’avais le droit d’en placer une seulement ? A ses yeux, j’pense pas, mais elle voulait une explication non ? J’regardais autour de moi, certains semblaient vouloir approcher mais j’les ravisais d’un simple regard. J’laissais alors à nouveau tomber mes bras et j’enfouissais mes mains dans mes poches. J’la laissais parler, dire ce qu’elle veut, me frapper à nouveau même s’il le fallait.
Jekyll ne comprenait strictement rien à mes paroles et pour cause, il lui était impossible de comprendre. Son départ l'avait inévitablement privé de tout un pan de ma vie qu'il ne pourrait jamais rattraper même s'il le désirait très fort. Mes yeux le fuyaient car bordel je n'avais aucune envie d'expliquer, d'entrer dans les détails tout comme lui n'expliquait strictement rien non plus. Non cette période d'absence resterait une nébuleuse entre nous deux. Bon d'accord, il avait raison je ne lui laissais pas réellement l'occasion d'expliquer quoique ce soit tellement j'étais paniquée. Choquée même. Vous pensez une personne morte et d'un seul coup, elle se retrouve nez à nez avec vous. Et dans mon cas un peu particulier c'était un coup à me faire partir en vrille en moins de deux, comme à cet instant où je lui hurle de me lâcher. Mais, ne comprend-t'-il pas qu'autant de proximité en un coup c'est un peu trop pour moi? J'avais besoin de temps pour me ressaisir. Du temps pour avaler la couleuvre. Des gens avaient voulu approcher mais, étaient reparti aussi vite. Je me décalai alors du mur, il n'envahissait plus mon espace privé. Pourtant j'avais toujours l'impression d'étouffer. Peut-être mais, il t'a fallu toutes ces années pour chercher à venir t'expliquer? Qu'avait-il bien pu arriver pour qu'il attende autant de temps pour venir me retrouver et me dire, je ne suis pas mort Faith? Il y avait bien trop de zones sombres. J'ai besoin de sortir d'ici j'étouffe... finis-je par lâcher en remontant cette fois mon regard droit dans le sien un peu pour l'affronter. Je n'avais plus réellement le choix. Il était bien là et c'était bien lui...