Tout est en bordel (Ivy)

Chaos total. Tout est en bordel. Le lit délaissé au milieu de la nuit. L'appartement que je retrouvais après un moment au poste de police. Et ma tête... Surtout ma tête. Cet appel de Sage. Je décroche  aussitôt. Les nouvelles ne sont pas bonnes. Les nouvelles sont terribles. Je crois qu'au fond de moi je me doutais de l'objet de son appel à la minute où j'ai entendu la tonalité de sa voix, tremblante, chancelante, secouée de sanglots. On ne s'exprime pas ainsi pour dire 'ça y est tout va bien. Elle va bien.' Je le savais au fond de moi, ce qu'elle allait me le dire. Mais je crois qu'on s'y prépare jamais à ça.  On espère toujours. Je veux pas l'entendre. Je veux pas savoir. Non. Non. Non. Elle n'est pas morte. Elle ne peut pas. Pas elle.  Pas Ash. Je sais pas comment j'ai fait pour raccrocher. Je ne sais pas. Je ne sais pas comment j'ai fait pour l'annoncer à Nate. Je l'ai fait pourtant et ça m'a fait penser à Ivy. Faut qu'elle sache. Je sais pas comment j'ai fait pour attraper mes clés. Quitter le loft. Filer vers chez elle. Je sais pas comment je suis arrivé sur le pas de sa porte avec le bazar qui règne dans mon esprit. Je suis incapable de penser. C'est un cauchemar. Je ne veux pas y croire et pourtant il va falloir que je l'annonce à la jeune femme. Mon poing frappe contre le bois de sa porte et j'attends le visage fermé. Je voudrais m'évaporer. Disparaître. La rejoindre. Où qu'elle soit... Ashleigh. Tout est en bordel. Le lit. L'appartement. Ma tête. Ma vie. Ma vie sans elle. Une vie sans vie. Et je viens partager ce bordel avec Ivy. Parce que je sais déjà que le drame va la bouleverser tout autant...

@Ivy L. Martin

On se fait peut être la gueule mais, me filtrer comme tu le fais c'est juste débile ! C'est la sixième fois que j'appelle alors enregistre bien que mon dernier appel était à quinze heure trente sept. Salut ! J'arrive pas à croire qu'elle puisse me faire un coup pareil. Oui, on est fâchée mais, j'fais l'effort de l'appeler merde ! Comment elle peut agir comme ça alors qu'on a passé presque toute notre vie ensemble. Pfff ! Et c'est moi la têtue ? Elle devrait se regarder dans une glace parce que...parce que... AAAAAAAH ! Elle sait très bien que si je n'avais pas eu à garder la petite je serais allée la voir hier dans la journée et cet après midi mais, Landry n'est pas là il faut bien que quelqu'un reste près d'elle non ? Furieuse, je claque la vaisselle dans l'évier alors qu'on frappe à la porte. J'espère que c'est la mère de Landry qui vient récupérer la petite pour que je puisse aller bossé à l'heure cette fois. A bout de souffle, j'ouvre la porte pour tomber sur un Denys blanc comme un mort.Ash est rentée de l'hosto et elle t'a fait la cuisine ? le taquinais-je en m’effaçant pour le laisser entré. Sérieusement, il a l'air au bout de sa vie, ils ont du se disputer ou un truc dans le genre comme d'hab quoi. Je t'arrête tout de suite, je l'ai appelé encore et encore elle me filtre c'est pas à moi que tu dois faire une leçon de moral. Quand elle arrêtera de faire la morte e qu'elle aura grandi un peu qu'elle me fasse signe. J'ai pas envie qu'il me prenne la tête avec ses belles paroles pour nous réconcilier. J'ai fait l'effort so merde !

La porte s'ouvre sur une Ivy souriante qui me détaille un instant en plaisantant aussitôt sur ma tronche. Sauf que je ne réagis pas. Je ne comprends pas. Je ne comprends rien. Elle me parle d'Ash et j'ai la gorge qui me brûle à force de ravaler mes sanglots. Mon envie de crier.  D'hurler. Je m'essaie à une tentative de sourire, ressemblant sûrement davantage à une grimace. Je devrais dire quelque chose. J'entrouve la bouche mais la jeune femme m'arrête aussitôt. Sa voix résonne en écho dans mes oreilles, mon crâne mais encore une fois il me faut redoubler d'efforts pour mettre un sens sur ses paroles. Ivy elle est encore dans l'avant. Son monde ne s'est pas encore effondré. Elle ne sait pas. Pas encore. Alors elle s'exprime. Elle m'explique, m'expose sa vision, se défend, s'imaginant qu'Ash la filtre, qu'elle ne prend pas ses appels par choix. Elle a même ces mots 'quand elle arrêtera de faire la morte'. Je déglutis difficilement. Mon visage se crispe. Je me focalise sur ce que je dois dire. Il faut qu'elle sache. Après je pourrais m'effondrer. Mes mains viennent se poser sur ses épaules et doucement je la pousse jusqu'au canapé, appuyant sur celles-ci ensuite pour qu'elle s'y assoit. Faisant de même, m'asseyant à côté d'elle. Mes doigts viennent chercher les siens. Mon regard accroche le sien. Ne flanchons pas. Faut qu'elle sache. Faut que je parvienne à lui dire. Je vais la briser. Je sais que je vais la briser. Ma tête vacille de gauche à droite pour faire non. J'arrive finalement à articuler : "Je ne suis pas là pour ça." J'inspire. Quelques secondes avant de reprendre. "Elle ne peut pas t'appeller." Ma voix tremble. J'ai pas envie de la prononcer cette vérité qui me bouffe. "Elle ne t'appellera plus. Plus jamais." Doucement. J'avance vers l'inévitable annonce. L'intolérable réalité. "Elle... C'était trop grave Ivy... Ses blessures... Ils n'ont rien pu faire..." Elle est décédée. Non , même à elle, même à Ivy, ces trois mots refusent de sortir de ma bouche...

Denys est bizarre depuis qu'il est renter. Le pire c'est qu'il ne répond même pas à mes taquineries, il ne défend même pas Ashleigh quand je commence à m'énerver sur le fait qu'elle me filtre et ça c'est pas normal, c'est pas Denys. Sans que je m'y attende il pose ses mains sur mes épaules pour me pousser sur le canapé où il s'y installe avec moi. La nervosité me gagne se transformant aussi vite en angoisse, une angoisse qui s'infiltre petit à petit dans mes veines, me figeant sur place comme si mon cerveau essayait de me préparer au pire. Mon regard croise celui de Denys alors qu'il noue nos doigts. C'est pas son genre et ça me fiche encore plus la trouille. Je le laisse parler sans dire un mot jusqu'à ce qu'il lâche cette phrase. Elle... C'était trop grave Ivy... Ses blessures... Ils n'ont rien pu faire... D'un coup, le sms de Lucky refait surface m'annonçant la mort d'Ashleigh elle aussi. Secouant la tête, je me lève d'un bond secouant la tête passant nerveusement ma main dans mes cheveux. Ils disent n'importe quoi c'est juste impossible et je ne veux pas, je ne peux pas juste ! Juste le faite de l'imaginer, d'imaginer que c'est la vérité.... Une douleur insoutenable me frappe de plein fouet rouvrant douloureusement ce trou béant qu'à provoquer en moi la perte de Léa. NON ! Ça te dit qu'on sorte après le boulot ? Il y a un nouveau resto incroyable c'est moi qui invite. lui proposais-je dans un sourire tendre. Un dîner nous fera du bien et puis, on en avait déjà discuter lui et moi puis, il se fera un plaisir de me faire la moral pour que je finisse par pardonner à Ashleigh.

Je peux pas faire ça comme ça. Pas là, debout, sur le pas de la porte, alors j’entre et je la guide vers le canapé, avec cet air grave qui ne me quitte pas. Qui ne me quittera plus jamais probablement. Mine sombre. Yeux vides. Je cherche déjà comment m’y prendre, comment le lui annoncer, comment renverser son monde en la renversant, elle, le moins possible… C’est d’abord de mes mains sur mes épaules que je la fais s’asseoir en douceur. Je pense à Sage pendant quelques secondes, là, songeur, imaginant son calvaire, elle qui a du me l’annoncer, qui a surement du l’annoncer à d’autre. Ce n’est que la deuxième fois que je dois le dire, et pourtant j’y arrive pas. Les mots ne sortent pas. Pas vraiment. Pas clairement. Je prends des raccourcis, j’opte pour des sous entendus, des euphémismes. Parlant du fait qu’elle n’appellera plus jamais, évoquant ses blessures, trop grave, que les docteurs n’avaient rien pu faire… Je pense que ça et l’expression dévastée imprimant chacun de mes traits, ça lui suffirait, qu’elle comprendrait. Un quart de secondes, je vois dans ses yeux de la détresse, de la panique, une lueur de peur qui se met à briller. Et la seconde suivante, Ivy secoue la tête, se lève, s’agite. Elle va s’effondrer ? Elle va hurler ? Elle va me frapper ? Je l’observe et reste bouche béé devant les mots qu’elle laisse échapper ensuite. « Non Ivy… Non… Je… » Ma gorge se noue. Je m’y prends comme un manche. J’y échapperais pas. Faut que je lui dise. Faut qu’ils sortent ces fichus trois mots. ELLE. EST. MORTE. Mais… « Je t’en prie. M’oblige pas à te le dire. M’oblige pas à le dire. » Parce que moi aussi, cette réalité, je veux un peu y échapper.

A cet instant précis, je veux juste qu'il se taise et qu'il parte. Mais, non, il faut vraiment qu'il insiste.  Non Ivy… Non… Je… Je t’en prie. M’oblige pas à te le dire. M’oblige pas à le dire. Comme une enfant, je me bouche les oreilles, je ne veux rien savoir, rien entendre. Je ne peux plus nier les choses mais, je refuse de l'admettre c'est juste insupportable pour moi. Je vois son regard suppliant, la douleur sur son visage, dans ses yeux et ça me tue encore plus. TA GUEULE ! JUSTE NON DENYS ! Je ne veux plus entendre un seul mot venant de lui, je veux qu'il arrête de vouloir m'obliger à l'entendre. Elle est morte... Tout s'impose à moi m'obligeant à y faire face cette fois. Pourquoi il me fait ça ? Si il veut souffrir qu'il souffre seul mais, qu'il ne m'entraîne pas dans son enfer j'en ai assez avec la mienne depuis la perte de Léa. Folle de rage, je balance tout ce qu'il y a sur le meuble au sol. Tout ça c'est de ta putain de faute ! Tu sais comment elle est mais, non, tu voulais jouer le bon samaritain en nous réconciliant et qu'est-ce qu'elle a fait ? Du Karting pour se défouler parce que t'es pas foutu de rester à ta place ! lâchais-je acerbe. C'est injuste certes, mais, j'ai besoin d'un coupable, de me défouler sur quelqu'un d'autre que sur moi-même alors qu'au fond, je sais que les seuls responsables là dedans c'est Ash et moi.

Le déni total. Ou alors c’est ma faute, parce que je suis pas fichu de les dire. Ces trois mots. Ash est morte. Ash est décédée. Ash est partie. Mille mots pour le dire. Mille façon de tourner la chose. Mais dans tous les cas c’était trop pour moi. J’avais essayé par des sous entendus de lui faire comprendre l’horrible vérité, comme pour échapper à l’annonce, et je la suppliais ensuite de comprendre, de ne pas me forcer à le dire, à les prononcer clairement, ces fameux mots qui m’arracheraient la gorge. Ma gorge qui m’élançait déjà de tous ses sanglots que je devais contenir. C’est un exercice périlleux, de révéler à quelqu’un qu’une personne qu’il aime n’est plus là. Et je n’étais pas armé, pas prêt à encaisser ça. Cette réaction. Qu’elle se mette à me gueuler dessus, qu’elle m’ordonne de me taire. « Ivy je… » Ma voix se brise, mais je sais à cet instant précis que la blondinette a compris. Elle sait maintenant. Et c’est avec rage qu’elle envoie valser tout ce qu’elle peut, tout ce qu’elle a autour d’elle, furieuse. C’est ma faute, voilà ce qu’elle me révéle. MA faute, parce que j’avais voulu les réconcilier. MA faute parce qu’elle avait donc chercher à se défouler au karting. « J’aurais du… J’aurais du la retenir… Elle était fatiguée en plus. Je le savais. Elle avait passé sa nuit auprès d’un de ses amis blessé. Elle avait donné son sang pour lui. Elle était crevée… Elle n’avait presque pas dormi… Presque pas mangé. Elle était pas en état… J’aurais du… » Et le film de cette terrible journée, de nos sms, de cette pizza que je lui amène, de ce déjeuner en ma compagnie qu’elle boude, e nos discussions du midi, de sa petite mine fatiguée, du manque de sommeil sur son visage… « J’aurais du faire quelque chose… » Ouais, Ivy elle a raison. C’est ma faute. Ca me frappe à cet instant...

Continuer à nier l'évidence me servirais à quoi ? Les faits sont là et j'ai juste envie de tout briser. Quand je pense à combien on a brisé notre amitié pour des conneries ! J'aurais dû prendre plus sur moi mais, elle est enfin était tellement têtue et ça me blesser de savoir qu'elle me pensait vraiment capable de draguer Denys. Rien que d'y penser ça me donne la nausée. Il me faut un coupable, j'ai besoin de hurler sur quelqu'un et malheureusement Denys se trouve au mauvais endroit, au mauvais moment. Il est là en train de se confondre en excuse m'expliquant comment les choses se sont passées. Finalement ma colère envers lui est justifiée. Non mais quel con ! Evidemment que tu aurais dû faire quelque chose ! Putain, j'y crois pas, j'arrive pas à croire qu'on peut être aussi con ! Quand je pense qu'il aurait pu lui éviter d'allé se tuer... J'ai la haine, la rage contre lui, contre elle, contre moi et putain tout ça pour sauver le cousin de Cole. Non mais, elle est sérieuse ? Quand tu me disais l'aimer à en crever, je pensais pas que tu irais jusque là. ironisais-je sur un ton de mépris. En fait, il vaut mieux pour lui qu'il dégage maintenant avant de dire plus de chose que je ne pense pas.

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