Nico D'Albe de Tormes ► Michelle Trachtenberg

   
   
1er Mai 2017

"Amen"

Les moutons répètent en cœur alors que mon regard bifurque vers le rouquin assis dans le coin de gauche. Je le sais, qu’il m’a vu et je sais qu’il s’efforce de rester sérieux, de ne pas sourire en devinant mon regard sur lui. Son visage m’est inconnu, mais je détaille ses traits subtils, ses légères taches de rousseurs,  ses yeux verts et  tout bien réfléchi c’est un visage  que j’apprécierai voir se déformer un peu. La main de mon père sur mon épaule me ramène à cette sottise qu’est le mariage et d’un mouvement bien trop sur joué pour ne pas être hypocrite j’applaudis ma cousine fraichement mariée. Elle s’avance lentement dans l’allée, tout sourire  et moi, je la suis des yeux comme on regarderait une condamnée à mort s’avancer au bucher. Le visage de mes proches reste fermé et sobre, alors que rang après rang, nous quittons l’église dans une discipline et une bienséance implacable.  Ce cérémonial qu’on nous impose, ce carcan qui nous compresse jusqu’à nous étouffer, j’ai appris à le supporter, c’est un  corset douloureux qu’on trouve sexy une fois admiré. La sévérité, l’arrogance, la prétention  et la sournoiserie  me vont au teint, comme un diable portant pour seul bijou l’ensemble de ses vices. Le parvis est bondé de monde, les limousines et berlines de luxes se succèdent, mon père serre des mains et ma mère prétend qu’elle ne nous déteste pas aujourd’hui. Je pense qu’elle ne m’a jamais souri, ma mère, elle se contentait de me tirer du sol quand je tombais en larme, d’essuyer ma joue sans délicatesse lorsqu’une tache de sirop s’y perdait ou encore de me manifester sa déception quand la perfection ne me réussissait pas, la chercher quand j'avais besoin d'elle revenait à jouer à une partie de cache cache au château.  J’ai toujours eu l’impression qu’elle m’entretenait comme un objet qu’on lui interdisait de jeter. Alors j’ai pris de la place, assez pour qu’elle me voit et en grandissant j’ai appris à combler l’espace qu’elle a laissé en le remplaçant par un trou noir béant que mon père et toute sa bienveillance tentent d’apaiser. Mon père, cet homme qui me porte un amour aussi brillant que mon âme est noire, malgré lui, il a contribué à ce que je suis en m'apprenant que rien ni personne ne pourra être en mesure de se dresser sur mon chemin. Il m'a répété jusqu'à ce que ses mots s’incrustent dans mes os, que je suis Nico D'Albe de Tormes, héritière de la maison d'Albe de Tormes et qu'absolument personne ne me vaut.

Notre voiture arrive et au moment d'y entrer, mes yeux se perdent à nouveau sur le visage de l'inconnu, qui, lui me regarde fixement. Provocation ou insouciance ? Je m'en fiche à vrai dire, j'ai trouvé de quoi amusé mon ennui. Un baiser sur la joue de mon père avant de lui murmurer que je les rejoindrai plus tard, son regard interloqué me fait sourire et devant son insistance à l'égard de ma relation avec ma mère, je laisse échapper un "mère" qui m'écorche les lèvres pour la saluer.
Mes escarpins martyrise les pavés alors que je m'avance vers ma charmante distraction, il me sourit, conquérant et moi, je me délecte de son erreur. Contrairement à ce qu'il pense, il n'a rien décidé et ne décidera de rien si ce n'est de sa façon de faire ce que j'attends de lui.

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Son souffle erratique s'apaise alors que sa tête vient reposer contre mon torse, nos muscles se sont crispés, nos chaires entrechoquées et pourtant je n'ai jamais eu l'impression de le regarder une seule fois. Cette lueur que je cherche dans son regard est absente, il n'a rien, il est banal. Il est une poupée de chiffon que j'ai pris plaisir à manipuler et le jeu fut si aisé qu'il a perdu de son intérêt. Les hommes sont souvent des chiens qui aboient sans mordre et dans ce cas, je suis plus une adepte de la muselière que du biscuit. Il parle et n’arrête pas de parler, persuadé de son charisme et moi, je pense à ce frisson que je n'ai pas eus. Il dépose un baiser sur mon épaule et ses lèvres contre ma peau m'arrachent une grimace de malaise. Je n'ai plus envie d’être là et je n'ai plus envie qu'il soit là.

"On devrait peut être y aller ..."

Peut être oui, ou peut être que tu  devrais juste disparaitre.

"En effet ..."

Je lui réponds distraite finissant de m'habiller prête à ouvrir la portière.

"Je repars demain pour ma remise de diplôme à Harvard, c'est dommage, j'aurai aimé te revoir"

Et moi je n'en ai rien à faire mais curieuse je lui demande quand même

"Comment s'est Harvard ?"

"Un vrai nid de vipères, heureusement que j'en sors"

Qu'il me répond amusé. Je suis déjà loin, l'université de Barcelone m'ennuie, j'y suis sans doute depuis bien trop longtemps et je suppose qu'Harvard, n'aura d'autres choix que de faire de la place pour une reine des vipères.

Vingt Juin 2017

J'ouvre mon courrier d'admission avec flegme et le lit avec un détachement qui pourrait presque passer pour de l'indifférence. Mon père s'est assuré que ma candidature soit placé en haut de la pile et pour ce qui est du reste, mes résultats plus que bons ont suffit. Il lit par dessus mon épaule avant de me féliciter chaudement, ma mère me regarde ne sachant surement pas quoi me dire, pour finir par articuler

"Tu dois partir quand ?"

Je ne lève pas les yeux vers elle et me tourne vers mon père, lui affichant mon plus beau sourire.

"J'aimerai avoir le jet, les vols commerciaux doivent être pleins pour ce soir".

Je suis prise d'un vertige plaisant, l'excitation est à son comble, je sens presque le frisson de l'inconnu parcourir ma peau et je n'ai qu'une hâte : faire d'Havard mon terrain de jeu.