Lucky - Alix : T'as dis qu'on s'croiserait dans nos rêves, moi j'rêve éveillé.

© Kaiji
J'avais deux avantages sur elle : je connaissais son prénom, et j'savais où elle habitait. Avantage non négligeable puisqu'il était sûre qu'elle allait m'voir la hanter tous les jours, toutes les nuits. La croiser à cette soirée Cabot n'avait fait qu'attiser mes instincts bestiaux. J'sais pas pourquoi j'avais autant envie d'la revoir. Peut-être parce qu'elle tuait le temps d'manière efficace. Pt-être parce que j'appréciais ce jeu, et que d'une certaine manière, elle contribuait à entretenir un semblant d'adrénaline en moi. J'peux passer pour un fou, ça n'me fait pas grand chose. N'importe qui aurait été en droit de s'offusquer d'une visite surprise. Mais moi, j'fais ce que je veux, quand j'veux, sans m'préoccuper de quelconques résistances morales ou physiques. Alors j'suis là, en bas de l'immeuble où je l'avais recroisé la dernière fois. Il fait nuit noire mais l'aube naissante laisse se dégager les parfums de rosés. Je n'ai toujours pas dormi, j'ai bien bu, et j'me suis défoncé. Les effets du dernier taz que j'ai pris s'estompent à peine, la cocaïne me tient en haleine et j'ai une furieuse envie d'baiser. J'galère à ouvrir la porte d'en bas, il m'faut un bon coup d'épaule pour réussir à déboiter le loquer, à entrer. Je me fiche de faire du bruit, moi je ne l'entends qu'à moitié, et j'pense pas croiser qui que ce soit à cette heure-ci. Les marches deux part deux, le tee-shirt trempé de vodka, la casquette toujours à l'envers. J'arrive devant la porte de Lucky sans trop réfléchir à ce qui m'amène ici. J'avais envie d'le faire, j'le fais. C'est tout. A moitié appuyé sur le mur à côté tant j'peine à tenir droit, j'me mets à frapper dans sa porte. Elle m'a dit "on se recroisera dans nos rêves les plus fous" et moi j'ai tendance à rêver éveillé.

© Kaiji
J'vais pas m'chercher d'excuses, j'vais pas chercher mille explications vaseuses pour justifier ma présence ici. Stop l'hypocrisie, j'ai juste envie d'elle. J'en ai envie à notre rencontre à Londres, j'en ai eu envie quand on s'est recroisé en bas de l'immeuble, j'en ai eu envie à la soirée Cabot, et j'en ai encore envie maintenant. C'est ce qui m'plait chez elle, elle n'a pas encore réussit à m'lasser et sait parfaitement comment entretenir mes démons, comment m'tenir en haleine. Plein de vodka, le nez irrité, les vètements délabrés, j'cogne à sa porte sans m'préoccuper une seule seconde du fait d'la déranger ou pas. C'est moi, j'suis là, c'est tout ce qui compte, le reste n'a pas la moindre importance. C'est l'avantage d'être foncièrement et totalement égoiste, on n'est inapte à ressentir toute forme de gêne ou d'culpabilité. Puis j'entends la poignet bouger, le verrou se décoincer, et j'souris comme un con complètement satisfait. J'la vois apparaitre dans le battant d'la porte, mes yeux plongent instinctivement dans les siens. J'laisse ma tête tomber contre la plainte et la regarde comme si elle était le plus joli petit déjeuner que j'voyais : "T'as pas idée ...", répondis-je mielleusement, d'une voix grave, cassée par la fatigue, sans feindre de déguiser l'ironie. Quand elle s'pousse pour m'laisser entrer, j'me redresse, me mettant d'plein pieds, avant d'entrer dans son appartement : "Et toi tu parle trop", dis-je calmement et sérieusement, avant d'me tourner vers elle. Non, je n'ai clairement pas envie d'parler, non je n'ai pas envie ni d'résister, ni d'être frustré. C'est aussi ça la beauté du jeu, l'effet de surprise, le décollage sans contrainte ni remord. D'un coup d'un seul, mon bras se tend par dessus son épaule pour pousser la porte brutalement afin qu'elle claque. J'continue le même mouvement, avec la même puissance, pour attraper sa nuque et m'précipiter vers elle en même temps que je la tire vers moi. C'est dans un semblant d'fracas que nos deux corps, collés l'un à l'autre, s'entre-choque contre cette porte fermée. J'réfléchis pas, j'suis pas là pour ça, et j'pense que si elle avait envie d'se prendre la tête, elle ne m'aurait pas laissé entrer. Ma bouche vient immédiatement s'coller à la sienne avec rage, comme si j'évacuais dans ce premier baiser toute la frustration qu'elle avait alimenté en moi. Et c'est de là que ça part. L'attraction, l'explosion. Le fait que mon corps soit entrain de lui dire : j'ai envie de toi, ici, et maintenant.